A Bamako, dans la commune 2, le fils du Président de la République IBK, Karim Keita, fait campagne pour les élections législatives du 29 mars, poursuivi par le fantôme du journaliste Birama Touré, sans doute assassiné il y a quatre ans.
Un article de Nathalie Prevost
Le Mali s’apprête à participer, demain dimanche, à des élections législatives déjà reportées à deux reprises. Le pays est sous le choc de l’enlèvement du chef de file de l’opposition, Souleima Cissé, en campagne dans sa circonscription, mercredi, et la peur de la contagion du coronavirus qui vient de faire ses premières victimes. Des voix s’élèvent, au sein de la société civile et de la classe politique, pour s’indigner du maintien du scrutin dans un tel contexte.
Karim Keita, en butte à l’hostilité des anciens
Plus de quatre ans après la disparition du journaliste du Sphynx, Birama Toure, âgé de 50 ans, probablement mort lors d’un interrogatoire au secret, Karim Keita a été déclaré persona non grata dans les familles fondatrices de Bamako. Début mars, ces clans traditionnels, dont est issu le journaliste, ont fait part de leur lassitude après avoir vainement attendu, pendant des mois, une visite et des explications de la part du fils du Président Ibrahim Boubacar Keita, dont le nom est cité dans la disparition de Birama Touré. Karim Keita, député de la commune 2 de Bamako en lice pour sa réélection, a tenté d’arranger la situation par diverses manœuvres en coulisse s,mais les familles ont campé sur leur position d’appel au boycott de sa liste.
Le 5 mars, les Dravé, les Niaré et les Niakaté se sont réunis à Bagadadji à l’appel du Patriarche Touré. L’objet de la réunion était de statuer sur une position commune concernant le fils du Président, qui n’a pas daigné répondre aux appels répétés à venir s’expliquer devant le Patriarche Touré, une attitude analysée comme un manque de respect à l’égard des familles où est pourtant né le parti au pouvoir. Pire, à l’approche des législatives, des photomontages émanant des partisans du fils du Président avaient circulé sur les réseaux sociaux pour faire croire que les familles fondatrices avaient reçu le candidat. Le Patriarche Touré a donc tenu à clarifier la situation : «Je ne fais interdiction à quiconque de recevoir Karim Keïta chez lui. Mais moi, je m’y refuse. Je ne le reçois ni aujourd’hui, ni demain! »
Le message a été décliné par d’autres participants à la réunion, comme Lahoua Touré, qui n’a pas caché son irritation : « Nous ne voulons plus avoir à faire avec le fils d’IBK. Ses tentatives en vue de trouver un terrain d’entente ont échoué. Et pourquoi insiste-t-il ? Est-ce à cause de son éventuelle implication dans la disparition de Birama ? Nous voulons que toute la lumière soit faite autour de cette affaire ! Que la vérité éclate et que les responsables de la disparition soient jugés et punis selon les lois de la République ! »
Tout sauf Karim
Pour barrer la route à Karim, les jeunes de la Commune 2 ont créé un collectif, baptisé Mouvement Patriotique du 1er mars, présidé par Ibrahima Traoré, ancien leader étudiant. « Nous sommes derrière le Patriarche et souhaitons que justice soit faite. Mais tant que Karim Keita bénéficiera de l’immunité parlementaire, il ne pourra être interpellé par la justice. Alors, nous-nous appliquons à ce qu’il ne soit pas réélu. (…) nous veillerons au bon déroulement du scrutin, dans la transparence. Mais nos actions ne se limiteront pas au processus électoral. Nous continueront sur la même lancée et avec la même détermination jusqu’à la manifestation de la vérité à propos de l’affaire Birama. » Une caravane du MP1 a arpenté la circonscription en musique et aux mots d’ordre « Tout, sauf Karim, A bas Karim ! »
La veille de sa disparition, le journaliste Birama Toure, en pleins préparatifs de son mariage, était venu à la rédaction du Sphynx, un journal d’investigation où il travaillait. Il était accompagné d’un inconnu, très élégant dans un costume léger bien coupé, que certains soupçonnent d’être un agent de la sécurité d’Etat.
Les deux hommes avaient demandé à parler à Adama Drame, le directeur de publication, mais ce dernier était en voyage à Dakar. Ils étaient repartis sans laisser de message.
Le 29 janvier, Birama qui avait publié les bans de son mariage, prévu deux semaines plus tard, était revenu chez lui pour la prière, avant de repartir vers 17h00, après avoir reçu un appel téléphonique, en précisant qu’il resterait dormir chez son frère où il avait ses habitudes à Sébénikoro. Plus personne ne l’a jamais revu.
Inquiète de sa disparition, la famille a forcé la porte de sa chambre deux jours plus tard. Il ne manquait rien. Birama s’était volatilisé, avec ses deux téléphones et sa pièce d’identité. L’un de ses frères l’avait trouvé préoccupé les derniers jours et lui avait demandé s’il avait des ennuis. Le jeune journaliste, de nature peu bavarde, avait répondu par la négative.
Le retour d’Adama Drame
Après la disparition du journaliste, le 29 janvier 2016, Adama Drame, le directeur de publication du Sphynx, réfugié politique en France, était revenu à Bamako le 1er février de la même année. Alertés par un article publié dans un journal local annonçant que Birama était entre les mains d’un « dangereux service de l’Etat », le président de la Maison de la Presse et Adama Drame avaient été aussitôt reçus par le ministre de la Communication, qui avait fait ouvrir une information judiciaire. Drame a été entendu à deux reprises, par la police puis par la gendarmerie.
Le nom de Karim Keita a commencé à circuler : Birama aurait été enlevé après avoir tenté de faire chanter le fils du Président à propos d’une histoire de femme.
Avec le temps, Drame s’est senti menacé à son tour. En effet, il dirige un magazine d’investigation qui ne ménage pas la famille Keita dans ses colonnes. Et si Birama travaillait aussi pour d’autres titres, Le Sphynx était son employeur le plus connu. Le 14 juillet 2018, un camion benne fonce sur Drame et son chauffeur dans les rues de Bamako. Drame avait prévu de quitter le Mali dans un vol du 22 juillet mais il change son billet et part dès le 17.
Depuis lors, ce journaliste courageux n’avait plus remis pied au Mali.