Afrique, les entreprises françaises ne vont pas si mal

La France est-elle vraiment en recul économique en Afrique ? Le rapport « Relancer la présence économique française en Afrique », écrit par Hervé Gaymard, répond à cette question de façon résolument positive

Hervé Gaymard a choisi de commencer par un état des lieux, à rebours de trois mythes : celui du retrait des entreprises françaises, celui de leur toute puissance (qui trouve son origine dans la Françafrique des indépendances) et celui de l’ascension inexorable de la puissance chinoise.

Un déclin soudain, mais relatif

Non, plaide-t-il, la France ne décline par économiquement en Afrique. Elle progresse, en valeur absolue et son déclin est relatif, bien que soudain et massif. « La baisse de parts de marché ne correspond pas à un retrait mais à une forte augmentation de la concurrence dans un contexte d’accroissement de la taille des marchés. » La réalité est, d’ailleurs, géographiquement contrastée : « 50% du commerce total de la France avec le continent africain s’effectue avec le trio Algérie-Maroc-Tunisie, suivi par un 2e trio, les principaux marchés du continent : Afrique du Sud-Nigéria-Égypte. »

Si l’image de la France sur le continent se dégrade fortement auprès des leaders d’opinion,les entreprises françaises, notamment les plus connues, sont cependant plébiscitées. En effet, elles contribuent de façon importante aux recettes fiscales, dépassant selon l’auteur l’aide publique au développement. Elles offrent des centaines de milliers d’emplois formels, souvent dans de bonnes conditions sociales, et des opportunités de mobilité sociale à des jeunes Africains. Elles n’hésitent pas à confier les rênes de leurs activités, aux niveaux les plus élevés, à des salariés qui ont grandi sur le sol africain. « Ce mouvement d’africanisation des cadres, déjà engagé, mérite donc d’être mis en avant et poursuivi »

L »Allemagne, premier concurrent

Contrairement aux idées reçues, la Chine n’est pas le plus grand concurrent de la France. La présence économique des autres émergents (Inde, Turquie, Emirats-Arabes-Unis, Arabie Saoudite, Brésil, Russie) doit être prise au sérieux, certes. Les concurrents panafricains se structurent, logiquement, surtout dans le secteur bancaire (notamment le Maroc).

Mais la vraie concurrence de la France est européenne. Et surtout, allemande. « La perte récente par la France du statut de premier fournisseur européen du continent africain au profit de l’Allemagne, davantage que la montée de la Chine (…) doit amener à s’interroger. De manière significative, c’est vers l’investissement et vers une présence durable sur le continent, bien articulée avec les politiques de développement (…) que les ambitions allemandes sont les plus fortes. (…) L’Allemagne est désormais le pays le plus populaire chez les leaders d’opinion en Afrique francophone », écrit l’auteur.

Pour Hervé Gaymard, la France doit s’inspirer de cette stratégie et, pour s’inscrire dans le long terme, à l’horizon 2050, investir sur les enjeux sectoriels et sur l’intégration régionale des marchés. Car à long terme, la France a un intérêt national à maintenir et accroître sa présence économique en privilégiant « les cycles longs internes plutôt que les secousses dues aux fluctuations des cours internationaux des matières premières. »

L’espoir d’une croissance à 6%

Après une décennie à 5% de croissance annuelle moyenne, le continent a enregistré un ralentissement à partir de 2011 avec la chute du prix du pétrole. Dans les toutes prochaines années, les conditions internationales de financement orientent négativement la perspective, estime Hervé Gaymard, mais  il estime que la croissance devrait se stabiliser a minima à 4% à long terme et atteindre, peut-être, 6 à 7% avec des efforts d’investissement dans les infrastructures sectorielles.

L’énergie, est, selon lui, la priorité, au regard de la relation étroite entre accès à l’énergie et croissance du PIB par habitant. Ensuite, même si le continent s’urbanise à grande vitesse, la production et l’emploi africains restent très largement agricoles, et « la structuration des chaînes de valeur (transformation, distribution, vente) et l’amélioration des connexions entre villes et campagnes constituent un besoin concret pour les économies africaines – et une opportunité concrète pour les entreprises françaises, notamment dans le secteur de l’agro-industrie. » Enfin, les innovations liées au numériques sont indispensables au développement du continent.

Un vaste programme !

De l’aide à l’investissement

« Il faut une articulation accrue, souligne l’auteur du rapport, de notre politique économique extérieure et de notre politique de développement, et peut-être un dépassement de la notion d’aide au développement, précisément héritée des années 1950-60, pour aller vers  l’investissement  pour le développement, afin d’assumer nos intérêts économiques nationaux, tout en cherchant à le faire coïncider avec celui des pays partenaires. » 

Le rapport dessine enfin plusieurs pistes très concrètes pour renforcer la capacité d’action des entreprises françaises en Afrique :

  • Reconstruire un outil d’expertise technique français de rang mondial dans les années 2020, en réorientant progressivement un milliard d’euros par an d’ici dix ans de dépenses existantes. Encore une fois, l’Allemagne est citée en exemple par l’auteur, avec 2 milliards d’euros par an de subventions de l’Etat au budget de la GIZ contre quelques dizaines de millions d’euros pour Expertise France. Le Japon dépense 10 fois plus que la France sur ce poste.
  • Concentrer les efforts sur 3 à 5 grands défis pour lesquels la France pourrait proposer une solution intégrée d’investissement pour le développement (par exemple, la mise en valeur du fleuve Sénégal ou la création d’un axe urbain Abidjan-Lagos.)
  • Développer le réseau d’enseignement en français à l’étranger dans les pays non-francophones. Créer un système de bourses financées par les entreprises françaises pour former les techniciens et ingénieurs africains et promouvoir les élites africaines.
  • Continuer à améliorer le climat des affaires par le renforcement du droit.
  • Au niveau de l’UE, mieux associer le secteur privé à la préparation du post-Cotonou et entamer la négociation d’un accord commercial de continent à continent.
  • Accompagner l’intégration économique et monétaire régionale au même niveau financier que l’Allemagne.
  • Faciliter une meilleure contribution de nos outils d’aide au développement (via l’Agence Française de Développement)  au rayonnement économique français par un raccourcissement du cycle des projets et une meilleure circulation de l’information. 
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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