Dans une analyse pertinente, la lettre « Maghreb Confidentiel » explique la négociation difficile qui s’est engagée entre Kaïs Saïed, arrivé en tète au premier tour des élections présidentielles et les islamistes d’Ennahdha qui dominaient jusqu’alors l’Islam politique tunisien

Kaïs Saïed, se demande Maghreb Confidentiel, serait-il le fameux « oiseau rare » dont le leader islamiste, Rached Ghannouchi, espérait la venue à lors des élections présidentielles? On en peut pas naturellement aller si loin.

Professeur de droit constitutionnel brillant et populaire, le favori des élections présidentielles tunisiennes est d’abord un homme indépendant, sans mouvement ni clan, à la démarche gaullienne et sans concession. On est loin en tout cas de la stratégie réformiste prudente de Rahed Ghannouchi, le leader de Ennahdha, qui cherchait depuis 2011 à se faire accepter par la classe politique « laïque » pour éviter un sort à la Morsi, le président égyptien destitué en 2013 puis emprisonné.

On a vu les Nahdhaouis tisser des alliances successives avec l’ancien président Beji Caïd Essebsi en 2014, puis avec son Premier ministre Youssef Chahed tout récemment. Quitte, il faut l’admettre, à mettre beaucoup de vin dans son eau, en reniant l’héritage islamiste et en se positionnant comme « des démocrates musulmans », clone des démocrates chrétiens européens.

La revanche des salafistes

Tout autre est la stratégie de Kaïs Saied qui s’appuie sur des forces hétérogènes, dont la principale est la jeunesse éduquée mais marginalisée de la Tunisie de l’intérieur, ces chômeurs diplômés qui furent le fer de lance de la mobilisation populaire contre Ben Ali en 2011 et qui ont le sentiment d’être oubliés par les gouvernements qui se sont succédés depuis, fussent-ils dirigés par les Frères Musulmans d’Ennahdha.

La femme de Kaîs Saied est une magistrate moderniste qui ne porte pas le voile

Il est clair que des groupes salafistes, héritiers des ligues de la Révolution du printemps arabe de triste réputation, ont appuyé la candidature de Kaïs Saied, qui les a séduits autant par le radicalisme sur les questions de société héritage, homosexualité, peine de mort) que par ses plaidoyers pour la démocratie locale. Le profil de son épouse qui ne porte pas le voile et travaille comme magistrate, est à mille lieux de la vision salafiste de la femme.

Kaïs Saied, « une alternative porteuse »

Il n’empêche, le mouvement Ennahda avait évidemment repéré ce professeur atypique et populaire auprès de cette jeunesse qui ne se rendait plus aux urnes. Des études internes, dont Maghreb Intelligence a eu connaissance, pu consulter, soulignaient dès avril l’avantage de ce candidat sans parti, malléable et constituant donc une « alternative stratégique porteuse ». Mais Rached Ghannouchi, dont le seul horizon était de devenir le président de l’Assemblée et depuis le perchoir, un arbitre décisif du jeu politique, soutenait le premier ministre Youssef Chahed.

Ce qui a certainement nui au score du candidat investi par la « choura » d’Ennahda, Abdelfattah Mourou, arrivé seulement en troisième avec 13% des voix position derrière Sayed et Karoui..

Après le choc que fut le résultat du premier tour, Ennahdha a du se ranger dès le 20 septembre derrière Saïed. « Ceci, note Maghreb confidentiel, afin de se remettre en phase avec son électorat évaporé, partiellement capté par le candidat, et de s’inviter dans une future coalition ». Et dajouter »Ennahda pourrait donc créer, autour de Kaïs Saïed, une nouvelle coalition semblable à la « troïka » qui dirigea la Tunisie de 2011 à 2014. Quitte à isoler le président à Carthage, comme Ennahda le fit si bien avec Moncef Marzouki ».

On le voit, les spéculations les plus acrobatiques vont bon train chez les proches de Ghannouchi qui ont du mal à admettre leur échec stratégique. Hélas pour eux, l’Histoire ne repasse jamais les plats.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)