L’Union Africaine se doit d’encourager les pratiques démocratiques. Pourquoi avoir nommé à la présidence de cette institution Mohamed Ould Abdel Aziz, le chef d’Etat mauritanien qui a cadenassé et pillé son pays ? Un haut fonctionnaire mauritanien, sous le pseudonyme de Cheikh Diallo, dénonce dans le magazine Afrique Asie l’imposture de l’actuel président de l’Union Africaine.
Les dirigeants africains ont rapidement pris conscience des changements engendrés par la chute du mur de Berlin et la fin de l’ère bipolaire en adoptant, en juillet 1990, la Déclaration sur la situation politique et socio-économique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent dans le monde. Ils se sont en particulier engagés, par cette Déclaration, à promouvoir la démocratisation des sociétés africaines et à poursuivre la consolidation des institutions démocratiques. Le processus d’adaptation des institutions africaines a été couronné par la création, en 2002, de l’Union africaine dont l’Acte constitutif érige la démocratie, la participation populaire et la bonne gouvernance en principes fondamentaux (…)
L’Union africaine méprisée
L’Union africaine doit, au moins, encourager les bonnes pratiques et veiller à ce que ces pratiques confortent les valeurs convenues. Elle doit en particulier éviter scrupuleusement d’accorder des primes à ceux qui violent allègrement ses principes de base et ses décisions. C’est ce qu’elle vient malheureusement de faire en octroyant sa présidence en exercice à un militaire, l’actuel président mauritanien, qui possède à son « actif » un coup d’état. Ce dont il s’est enorgueilli dans un discours prononcé en août 2013 à Nema, dans le Sud-est de la Mauritanie.
Son coup d’état a été mené le 6 août 2008 contre l’un des rares chefs d’état africains à avoir accédé au pouvoir à l’issue d’un processus électoral démocratique exemplaire mené sous l’égide d’Organisations internationales, dont l’Union africaine. Ce coup d’état a été vivement condamné le lendemain par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine (CPS) dans une décision par laquelle il a exigé « le retour à l’ordre constitutionnel et le rétablissement sans délai des institutions que le peuple mauritanien s’est démocratiquement choisies. »
Le CPS est revenu à la charge le 22 septembre 2008 en mettant en garde « les auteurs du coup d’état et leurs soutiens civils » et en déclarant « nulles et de nul effet toutes les mesures de nature constitutionnelle, institutionnelle et législative prises par les autorités militaires et découlant du coup d’état du 6 août 2008″. Le président Aziz a traité avec le plus grand mépris l’Union africaine, ses mécanismes compétents et ses émissaires. Il a rejeté toutes les décisions du CPS et celles de la Conférence des Chefs d’état et de gouvernement et imposé son propre agenda.
Un coup de force blanchi
Le président Abdoulaye Wade du Sénégal, qui a soutenu le coup d’état dès le premier jour, lui a offert, avec la bénédiction de puissances non africaines, un cadre alternatif à celui de l’Union africaine en conviant, en mai 2009, les parties prenantes à la crise née du coup d’état à des négociations à Dakar. L’Accord-cadre, conclu le 4 juin à l’issue de ces négociations, a prévu une transition consensuelle, greffée sur l’ordre constitutionnel.
L’Union africaine a parrainé cet Accord essentiellement imposé par les puissances non africaines et son CPS s’est empressé, sur cette base, de lever la suspension de la Mauritanie avant la mise en œuvre de ses dispositions principales. Tirant les leçons de cette mansuétude inhabituelle, le président Aziz a immédiatement torpillé l’Accord et organisé une mascarade électorale à laquelle il s’est présenté, en violation des dispositions de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Il a évidemment gagné les élections et s’est proclamé président de la République. Il a aussitôt renié les dispositions de l’Accord de Dakar relatives à la période postélectorale, en particulier celles prévoyant d’engager un dialogue inclusif en vue d’apaiser le climat politique et de rétablir la confiance entre tous les acteurs politiques.
Le président mauritanien gère, depuis lors, le pays de manière solitaire et autoritaire en violation de l’esprit et de la lettre de plusieurs autres instruments de l’OUA/Union africaine. Il a ainsi décidé illégalement en 2011 de proroger le mandat du Parlement et des Conseils municipaux au mépris des dispositions de la Charte africaine de la démocratie, que la Mauritanie de l’ère démocratique a été le premier pays à avoir ratifiées, qui stipule que les Etats Parties ont l’obligation d’organiser des élections régulières, libres et transparentes. D’ailleurs l’une des Chambres du Parlement, le Sénat, n’a toujours aucune légitimité, car le mandat de deux tiers de ses membres a expiré. Ce qui crée un casse-tête juridique inextricable car la loi prévoit le renouvellement, tous les deux ans, du tiers des membres de cette Chambre.
Main basse sur la Mauritanie
La Charte africaine de la démocratie engage également les Etats Parties à assurer « le contrôle du pouvoir civil constitutionnel sur les forces armées et de sécurité. » Or la Mauritanie est dirigée, depuis le 6 août 2008, par la même Junte militaire dont les membres continuent de contrôler tous les rouages de la vie politique. Le Chef de cette Junte, que l’Union africaine vient de designer comme Président en exercice, a mis en place un système de racket dont le seul but est d’assurer son enrichissement personnel et celui de sa tribu en violation des dispositions de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption.
Aziz ne lésine sur aucun moyen pour s’enrichir et enrichir ses proches. Les marchés publics sont octroyés de gré à gré à des prête-noms ou des courtisans appartenant à sa propre tribu ou, parfois, à sa région. Le domaine privé de l’Etat est accaparé par le Chef de l’Etat et son entourage immédiat. Les ressources halieutiques et minières sont systématiquement pillées à son profit et les dépenses publiques sont effectuées sur la base de ses instructions orales, en dehors de contrôle du Parlement. Cette mainmise tribale sur l’Etat et sur les ressources nationales a produit ses effets de manière spectaculaire. D’ores et déjà trente-sept sur les cinquante principaux hommes d’affaires du pays et huit sur les dix principaux importateurs de produits alimentaires appartiennent à la tribu du Chef de l’Etat, selon l’un de ses anciens Ministres (1). Pourtant cette tribu est, sur le plan numérique, l’une des moins importantes de la centaine de tribus arabo-berbères qui forment la composante arabe du peuple mauritanien et l’une des toutes dernières à avoir émigré vers la Mauritanie en provenance du Maroc.
La famille de l’actuel Chef de l’Etat mauritanien est originaire de la région de Chaouech au Maroc et il est lui-même né au Sénégal d’un père marocain. Sa famille s’est installée en Mauritanie après l’indépendance. En plus de la mainmise sur les ressources naturelles, l’emprise tribale a été étendue aux principaux leviers de l’Etat et au Parlement, où elle compte une dizaine de « représentants ». Jamais auparavant une formation tribale, quel que soit son poids démographique, n’a pu compter plus de trois parlementaires dans une législature et cette tribu, de manière particulière, ne comptait, bon an mal an, qu’un seul député.
Déstabilisation au Mali
Le nouveau Président en exercice de l’Organisation continentale assume en outre une lourde responsabilité dans la déstabilisation du Mali au mépris des règles de bon voisinage et des dispositions du Pacte de non-agression et de défense commune de l’Union africaine qui engagent les Etats africains à éviter que leurs territoires soient utilisés «pour encourager ou commettre des actes de subversion, d’hostilité, d’agression et autres pratiques hostiles qui pourraient menacer l’intégrité territoriale et la souveraineté d’un autre Etat membre ». Or il est de notoriété publique que la Mauritanie abrite et soutient, depuis 2009, les mouvements séparatistes qui ont dévasté le Mali et gravement mis en danger son unité nationale. Le Chef de l’Etat mauritanien a entrepris une démarche officielle auprès du Gouvernement français, après le déclenchement de l’Opération Serval, pour demander que Kidal reste soustraite à l’autorité de l’Etat malien et sous le contrôle du Mouvement national de libération de l’Azawad. Un butin de guerre en quelque sorte pour un Mouvement qui a été pourtant très tôt mis sur la touche par les groupuscules narcoterroristes. Mais le nouveau Président de l’Union Africaine a probablement des passerelles avec ces groupuscules. En tout cas il a reçu au grand jour, au Palais présidentiel, des ressortissants maliens recherchés par Interpol pour le rôle présumé dans le crime organisé et le trafic de la drogue. Il a été d’ailleurs accusé par un parlementaire français, Noel Mamère, d’être lui-même impliqué dans le trafic des stupéfiants. Et l’affaire l’opposant à ce parlementaire est pendante devant la Justice française.
Les accusations du parlementaire ont été corroborés par de graves allégations, étayées par des enregistrements sonores et d’autres éléments factuels, avancées par un ressortissant malien qui accuse le Chef de l’Etat mauritanien d’avoir été complice de blanchiment d’argent avec un « groupe criminel organisé » (au sens de la Convention des Nations Unies contre la criminalité organisée) basé au Ghana. Le Chef de l’Etat a reconnu dans une déclaration faite en août dernier, à Nema, l’authenticité des enregistrements sonores. Il a simplement dit, « à sa décharge », qu’il n’était pas encore Chef d’état. Comme si le blanchiment d’argent et le crime organisé étaient licites pour ceux qui n’exercent pas la fonction de Chef d’Etat ! Ces soupçons de connivence avec le crime organisé sont confortés par la grâce présidentielle accordée en juillet 2011 à des barons de la drogue (2).
Le fils Aziz, la gachette facile
La balle qui a grièvement blessé le Chef de la Junte mauritanienne le 13 octobre 2012 soulève aussi beaucoup d’interrogations. Jusqu’à ce jour aucune explication plausible n’a été fournie. Quelques mois auparavant (Janvier 2012), le fils du dictateur a tiré à bout portant sur une jeune fille au cours d’une soirée mondaine, la blessant grièvement. La victime est paralysée à vie. Le coupable a payé l’équivalent de 120 € de frais de justice et l’affaire a été classée sans suite !
C’est donc ce personnage qui sera le visage et la voix de l’Afrique pendant les douze prochains mois. Paradoxalement la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, instance suprême de l’Union africaine, avait adopté le 4 février 2009 une décision directement inspirée par le coup d’état perpétré par ce dernier. Elle y exprimait sa grave préoccupation face à « la résurgence du fléau des coups d’Etat » et estimait qu’il s’agissait « d’une dangereuse régression politique et d’un grave recul dans les processus démocratiques ». Le coup d’état en Mauritanie avait été suivi de changements anticonstitutionnels en Guinée, en Guinée-Bissau, à Madagascar et au Niger. Cinq ans seulement après, et comme frappée par une amnésie collective, non seulement l’Union Africaine donne une nouvelle fois raison au président Julius Nyerere qui traita sa devancière de « syndicat de Chefs d’Etat » mais elle se discrédite en outre car les temps ont changé et ce qui était possible en 1975, année de l’accession d’Idi Amin Dada, cet autre « tyran de village » comme le qualifia, au péril de sa vie, l’écrivain Dennis Hill, à la présidence de l’OUA, n’est plus acceptable aujourd’hui.
Certes l’Afrique du Nord traverse une période de crise et le Chef de l’Etat mauritanien n’a été élu que par défaut. Car aucun autre Chef d’Etat de la sous région n’avait fait le déplacement à Addis Abeba. Mais l’Afrique n’aurait pas dû se lier par un formalisme juridique stérile. Pour éviter le discrédit qu’elle regrettera et donc cette tache indélébile par laquelle elle vient de souiller son image et la symbolique qu’elle représente pour les peuples d’Afrique, la sagesse était de passer à la Région suivante dans l’ordre et de revenir vers l’Afrique du Nord le jour où elle aurait un candidat crédible et digne. Par cette décision c’est l’honneur de l’Afrique qui est aujourd’hui perdu. Mais, à la différence de la citation par laquelle l’écrivain allemand Heinrich Böll débute son célèbre roman, l’action et les personnages en question ne sont pas imaginaires mais hélas bien réels.
* Cheikh Diallo est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire mauritanien
Notes :
1) « Nous et le processus boutiquier » Cheikh Ould Horma, Journal en ligne Arayalmostenir du 26 janvier 2014
2) Alakhbar | Mauritanie – Drogue: les réseaux et le pouvoir de Aziz