Haut cadre formé à la rude école du Bourguibisme et qui n’a jamais fait allégeance à Ben Ali qu’il a servi jusqu’en 2003, le nouveau ministre délégué à la sécurité, Ridha Sfar Gandoura, cherche à trouver des soutiens pour neutraliser les sympathisants d’ Ennhadha au sein de son ministère. Et ils sont nombreux, dont le ministre en titre, Lotfi Ben Jeddou
A peine nommé ministre délégué à la sécurité en février dernier, Ridha Sfar Gandoura, a lancé un ultimatum à son Premier Ministre, Mehdi Jomâa : soit le gouvernement évinçait à la tète des grandes directions du ministère de l’Intérieur les hommes promus par les gouvernements dirigés par Ennhadha, soit lui même quittait ses fonctions. Le verdict est tombé, le samedi 8 mars, tout en demi teinte. Deux hauts cadres du ministère de l’Intérieur, le directeur général de la Sureté, Wahid Toujani, et le directeur des services spéciaux, Mehrez Jouari, réputés proches d’Ennhadha, ont été bel et bien été démissionnés. Mais les deux hauts fonctionnaires qui les ont remplacé ne sont pas pour autant des ennemis déclarés du mouvement islamiste.
La montée des périls
Le nouveau Premier ministre -« le Bayrou tunisien », ironise un dirigeant politique- reste l’homme d’un consensus prudent. Mehdi Jomâa n’a-t-il pas maintenu en fonctions le ministre de l’Intérieur en titre, Ben Jeddou, qui officiait déjà sous les gouvernements islamistes précédents et qui n’a pas su protéger, malgré les nombreux signaux d’alarme, les deux personnalités de gauche assassinées en 2013 en pleine rue? « On ne sait pas trop bien où Jomaa se situe, confie un des anciens patrons du ministère de l’Intérieur, il faudra bien qu’il tranche ».
Dans sa tentative d’épurer le ministère de l’Intérieur, qui reste la colonne vertébrale du régime tunisien et une véritable boite noire, le nouveau ministre délégué cherche des soutiens. Des contacts ont été pris, ces dernières semaines, entre les amis de Sfar, souvent des admirateurs de Bourguiba, et le ministère français de l’Intérieur. Des émissaires venus de Tunis ont expliqué à la DCRI, le service de contre espionnage français, la gravité de la situation en Tunisie. Dans la foulée, une rencontre devait avoir lieu, le jeudi 13 mars, entre Ridha Sfar Gandouna et son homologue Manuel Valls, longuement préparée par les services de Valls.
Bertrand Delanoe dans l’ombre
Le profil de Ridha Sfar Gandoura a tout pour séduire le ministre français. On se souvient que ce dernier, après l’assassinat de Chokri Belaid, en février 2013, avait dénoncé « le fascisme islamique » et appelé à soutenir « les démocrates en Tunisie». Autant dire que cette déclaration ‘avait guère plu à Ghannouchi, le leader d’Ennhadha, et à ses amis. Surtout, cette prise de position tranchait avec la ligne du ministère français des Affaires Etrangères où l’on souhaite dialoguer avec toutes les composantes de la société tunisienne, y compris les islamistes, reçus régulièrement aussi bien Quai d’Orsay qu’à l’ambassade de France.
Il ne faut pas négliger le rôle de Bertrand Delanoe, qui après avoir jadis soutenu Ben Ali, se prend aujourd’hui pour le « monsieur Tunisie » français. On l’a vu sur toutes les photos à la droite de François Hollande lors du dernier voyage de ce dernier à Tunis. Or le maire de Paris ne cache pas ses liens avec Mustapha Ben Jaffar, président de l’Assemblée Constituante et surtout l’allié, depuis octobre 2011, des islamistes d’Ennhadha. Cet ancien opposant à Ben Ali est même un des possibles candidats que des islamistes, minoritaires dans le pays, pourraient mettre en avant la présidentielle à venir.
Sécuriser les frontières
Les troubles qui sont apparus, ces derniers jours, à la frontière entre la Libye au bord de la guerre pétrolière et la Tunisie ont obligé Paris et Tunis à remettre le voyage du ministre délégué de la sécurité nationale, Ridha Sfar Gandoura. Un nouveau rendez vous a été pris pour la fin du mois ; Le ministre tunisien devrait accompagner le Premier ministre, Mehdi Jomâa, lors du voyage officiel qu’il a prévu à Paris.
Au menu de la rencontre entre les deux ministres de l’Intérieur français et tunisien, figurait justement le dossier de la sécurité aux frontières. Ridha Sfar Gandoura avait l’intention de demander à la France de l’aider à financer un plan pour équiper les postes frontaliers avec l’Algérie et la Libye. Des crédits européens existent pour ce type de projet que la France est à même de déclencher.
Un autre dossier devait être évoqué au cours de la rencontre entre Valls et Sfar, celui de la formation des policiers tunisiens. Ce qui est cocasse, c’est que, lors de sa fameuse déclaration à l’Assemblée Nationale en janvier 2011, en plein soulèvement populaire, Michèle Alliot Marie, alors ministre de l’Intérieur, avait préconisé une telle coopération. C’était alors ni le lieu, ni le moment, alors que le président Ben Ali faisait tirer sur des manifestants sans défense.
Il est clair que le contexte a radicalement changé. Face à une mouvance djihadiste naissante, qui menace la transition tunisienne, la question de la formation des forces spéciales tunisiennes se repose avec acuité. « L’Europe et la France ont là une belle occasion de s’engager aux cotés de la Révolution tunisienne », explique un haut cadre du ministère tunisien de l’intérieur.
Nouvel élan
Encore en pointillés, ce rapprochement entre Paris et Tunis intervient après des années de mauvaise coopération sécuritaire entre la France et la Tunisie. On se souvient que lors de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence en 2007, le régime de Ben Ali avait suspendu toute coopération en matière de terrorisme. A l’origine de cette décision extravagante, on trouvait la parution à Paris de l’Audace, journal d’opposition fort bien informé et pluraliste qui avait le don de mettre l’ancien président dans une colère noire.
Rappelons que le fondateur de ce media courageux, Slim Bagga, qui donnait la parole à tous les courants de l’opposition, y compris les islamistes, est aujourd’hui condamné pour diffamation en première instance à seize mois de prison par des magistrats nostalgiques de l’ère Ben Ali !