Charles Ceccaldi-Raynaud, haut fonctionnaire au ministère français de lIntérieur pendant la guerre dAlgérie, s’est éteint le 18 juillet à Toulouse à l’âge de 94. Sadek Sellam lui rend hommage
Ce fils d’un ancien combattant de la première guerre mondiale était né à Bastia en 1925. Son père est décédé des suites d’une maladie à évolution lente provoquée les gaz utilisés par les Allemands. Il est élevé par sa mère, institutrice nommée à Oujda, au Maroc, où il grandit avec les musulmans.
Après le baccalauréat, il passe une année à la faculté de droit de Rabat, avant de sinscrire à l’université d’Alger en 1945. En 1950, il soutient une thèse de doctorat en droit sur l’économie coopérative, dont la version publiée est préfacée élogieusement par le gouverneur général socialiste Marcel-Edmond Naegelen.
En 1952, il est reçu premier au concours des commissaires de police, ce qui lui permet d’être nommé au commissariat d’Hussein Dey, dans la banlieue est d’Alger. Les autres, se retrouvent sur les Hauts Plateaux, ou dans les Aurès, comme le commissaire Paoussel, l’auteur de « Etre commissaire en Algérie » (Riveneuve, 2004) qui a interrogé le chef de la zone 1, Mustafa Ben Boulaïd en février 1955.
Dès le début de la guerre d’Algérie, s’est posé l’épineux problème de la torture, qui met Ceccaldi-Raynaud aux premières loges. Il a eu un rôle héroïque au moment de la grave « affaire Zeddour », du nom de l’intellectuel et militant oranais, rentré du Caire où il participa aux préparatifs de l’insurrection, et arrêté par la DST début novembre 1954. La police déclare la « fuite » du prévenu. Mais quelques semaines plus tard, la mer rejette un corps intact reconnu comme étant celui de Zeddour.
François Mitterrand, faussaire
Ceccaldi-Raynaud était alors détaché au gouvernement général, où il était chargé de la rédaction des textes de loi. Mal vu de Jacques Soustelle, qui lui reproche de diriger la puissante fédération de la SFIO du Grand-Alger et tente de l’éloigner dans le commissariat de Zéralda, Ceccaldi-Raynaud reçoit secrètement chez lui sur les hauteurs d’Alger, les parents de Zeddour qu’il aide à porter à plainte. Il n’a aucun mal à identifier le tortionnaire qui a a étranglé Zeddour avant de jeter, au milieu de la nuit, en haute mer, le corps lesté de 70 kgs de plomb. Alors que la procédure judiciare traînait en longueur, Ceccaldi est à l’origine de la fuite qui permet à l’Express d’annoncer l’affaire à laquelle les étudiants algériens assureront une grande médiatisation notamment dans la presse arabe.
Si la plainte de la famille Zeddour n’aboutit jamais, c’est parce que le directeur de la süreté en Algérie, Jean Vaujour a décidé d’étouffer l’affaire, avant d’être aidé par le Garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet, un certain François Mitterrand qui a couvert une falsification de l’enquête de l’identité judiciaire.
Dès l’arrivée de Guy Mollet à Alger le 6 février 1956, Ceccaldi le met au courant de l’affaire. Le lendemain, le président du conseil du Front Républicain ordonne au commissaire divisionnaire Gaston Pontal, le directeur de la DST en Algérie, de prendre le premier avion pour la métropole.
Avant cette grave affaire, Ceccaldi avait été associé aux premières enquêtes sur la généralisation de la pratique de la torture. L’inspecteur de l’administration Vuillaume le met au courant des résultats de son enquête de mars 1955. Choqué par les recommandations de cet inspecteur, qui conseillait la continuation de la torture, à condition que cela ne laisse pas de traces, le directeur général de la police nationale, Jean Mairey, authentique socialiste et ancien résistant, se rend lui-même en Algérie où il rencontre rapidement Ceccaldi. Le chef de la police interroge le commissaire : « J’ai une question simple à vous poser. Répondez par oui, ou par non. La torture est-elle pratiquée en Algérie ? »
Réponse : « Oui, Monsieur le Directeur ! ».
Ceccaldi s’était fait remarquer lors d’une réunion des commissaires de police provoquée en novembre 1954 par Vaujour qui ordonna que « l’ordre républicain soit assuré ».
Ceccaldi précise : «… mais avec des méthodes républicaines… ».
En souvenir de cette franchise, Mairey l’amène avec lui au ministère de l’Intérieur pour faire approuver sa proposition de rattacher les polices d’Algérie à la place Beauvau.
Quand Albert Camus est venu proposé la « trêve civile », en janvier 1956, le gouvernement général charge ce commissaire humaniste et érudit d’assurer sa sécurité.
Guy Mollet est alerté par lui sur la généralisation de la torture. Dans une note secrète de janvier 1957, il insiste sur la transformation de la villa Sésini, sur les hauteurs d’Alger,en centre de tortures, en rappelant que cette résidence de style mauresque avait été le siège du consulat…d’Allemagne. « Il est symptomatique que des légionnaires allemands expérimentent les méthodes de la Gestapo dans les locaux de l’ancien consulat d’Allemagne… », s’inquiète-t-il.
En 1957, en vertu des « pouvoirs spéciaux » de mars 1956, le ministre-résident, Robert Lacoste (persuadé qu’une victoire militaire allait augmenter ses chances à l’élection présidentielle) accorde les pleins pouvoirs à Alger à la 10 Division Parachutiste du général Massu, Ceccaldi se trouve nommé, malgré lui, à la tête du « centre de tri » de Béni-Messous, par le colonel Trinquier. Cet adjoint de Massu, qui mit en place les DPU (dispositif de protection urbaine, calqué sur un système allemand instituant sur le mouchardage), a failli lui tirer dessus en apprenant que sur les 1000 prévenus envoyés au camp, 400 furent libérés par Ceccaldi, car il n’y avait que 600 places.
Ce dangereux commissaire socialiste, à qui des prévenus algériens doivent la vie sauve, devient la bête noire des colonels des paras. Il était dans le collimateur du colonel Godard, quand celui-ci est passé du commandement du secteur d’Alger-Sahel à la direction de la sûreté. Peu de temps avant l’agitation du 13 mai 1958, Godard signe un ordre d’arrestation de Ceccaldi. Il vit alors dans quasi-clandestinité, persuadé qu’il était qu’une arrestation était synonyme d’exécution.
Le 4 juin 1958, au moment où De Gaulle proclamait son fameux « je vous ai compris… » sur le balcon du gouvernement général, Ceccaldi , déguisé en postier, embarquait pour Marseille.
« J’ai du changer de bord politique, pour ne pas avoir à changer sur l’Algérie… », me dira-t-il en me recevant chaleureusement dans sa résidence de Balma près de Toulouse, en avril 2017.
Il venait de publier son livre « La guerre perdue d’Algérie » (Alfabarre, 2016), qu’il m’a demandé de préfacer. Ce témoignage, touchant par son courage et sa sincérité, a été écrit pratiquement sans documents. Durant cette inoubliable soirée passée avec lui, j’ai eu le privilège d’écouter des récits rendus très précis dès qu’il parcourait des pièces d’archives qui stimulaient sa mémoire.
Si les jouranux qui ont annoncé sa disparition ont rappelé sa carrière politique dans les Hauts-de-Seine, les Algériens, pour leur part, se souviendront surtout de son rôle pendant leur guerre de libération, qui devrait lui valoir l’équivalent du titre de « juste parmi ces nations ».
D’autant qu’il a toujours manifesté son attachement à l’Algérie, notamment quandil a amené lui-même les aides collectés à Puteaux pour secourir les victimes du tremblement de terre de Boumerdès.
Quant aux musulmans de Puteaux, ils ont encore en mémoire la facilité avec laquelle il a donné suite à leur demande d’ouverture d’un lieu de culte, à un moment où les travailleurs revenus à la prière peinaient à convaincre les autorités locales. Cette facilité doit beaucoup à ses souvenirs d’enfance et d’adolescence passées à Oujda avec des musulmans.
A ce titre, il mérite la prière qui invoque les « béndictions de la Thora , de l’Evangile et du Coran… ».