Petit coup de déprime Hôtel de Brienne, où le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian vient de subir une sourde défaite. Non pas, au Mali, sur le terrain de l’opération Serval, ni même en Centrafrique au sein de l’opération Sangaris. Non, Le Drian a perdu une bataille dans la guerre feutrée qui fait rage dans les antichambres du pouvoir élyséen. En pleine tempête Gayet-Trierweiler, le 17 janvier dernier, l’Elysée a en effet prolongé d’un an les fonctions de l’ennemi juré du Ministre de la Défense, le chef d’état-major particulier de François Hollande, le général Benoit Puga. A 61 ans, le chef légionnaire préféré du Président devait quitter son poste cet été. Mais en vertu d’un décret présidentiel publié au Journal Officiel, le père de la guerre au Mali restera dans ses bureaux du 14 rue de l’Elysée, l’annexe du Château, au moins jusqu’en août 2015.
Jean-Yves le Drian avait pourtant fait état de sa préférence pour un remplacement rapide de Puga par le général Didier Castres, le patron opérationnel de l’opération Serval avec lequel il a construit une relation de confiance. Mais c’était sans compter la passion un rien contre-nature qu’éprouve François Hollande pour son militaire. « Le général Puga a un don très habile pour rassurer le chef de l’Etat en toutes circonstances , note-t-on à l’Hôtel de Brienne. A partir de là, nous partions battus ».
Le ministre breton n’a pas que négocier une compensation : avoir la haute main sur la nomination d’un autre galonné d’importance, le chef d’Etat-Major des Armées, le CEMA comme l’on dit dans le jargon. Il a pu y placer un homme à lui, le général Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon. Frère cadet du vendéen Philippe de Villiers, le nouveau CEMA ne fait pas de politique. « Au contraire, lui sait, que l’armée n’a pas à dicter sa loi aux politiques », grince un proche du Ministre de la Défense. Sous-entendu, à la différence du général Puga, réputé mener le chef de l’Etat par le bout du nez.
Etrange cette alchimie qui lie le chef de l’Etat socialiste à un légionnaire-parachutiste dont le CV contient tout ce qui habituellement irrite la gauche. A commencer par un profil idéologique très marqué à droite. Voire à l’ultra-droite.
L’ascendance du général Puga reste en effet lourde à porter. Le militaire qui murmure à l’oreille d’Hollande est l’un des sept enfants du colonel de cavalerie Hubert Puga, qui a passé trois mois dans un cachot à Fresnes pour sa participation au putsch d’Alger en 1961. Condamné à cinq ans de prison avec sursis à la fin de la guerre d’Algérie et exclu de l’armée, Puga père se reconvertira dans les ventes d’armes à Creusot-Loire en tant que responsable des ventes de chars français aux dictatures d’Amérique du Sud. Son décès en 2010 a été longuement salué par le Bulletin des amis de Raoul Salan, du nom du chef de l’OAS dont il était membre. Et l’enterrement religieux s’est déroulé à Saint-Nicolas du Chardonnet, sous le rite de la Fraternité Saint Pie X, les catholiques traditionalistes
Très Algérie Française, les Puga demeurent en effet de fidèles paroissiens de feu Monseigneur Lefèvre. Le légionnaire du Président est assidu aux offices de Saint-Nicolas du Chardonnet, au sein de laquelle officie d’ailleurs son propre frère, l’abbé Denis Puga.
Le dimanche, le général Puga assiste aux homélies qui pourfendent «le mariage pour tous, la réforme-phare du Président Hollande, régulièrement qualifiée en chaire « d’ignominie ». Et le lundi, le même haut gradé peaufine les plans de marche de l’opération Serval qu’il présentera au chef de l’Etat. « La vie privée des collaborateurs du Président, comme celle du président, ne concerne que les intéressés », fait-on savoir au service de presse du Château.
Soit. Mais il y a quelques mois, les hommes du Président ont pourtant connu une alerte désagréable. En juin dernier, l’Arsenal une publication sur internet lié à l’organisation du Lys Noir, un groupuscule formé de nostalgiques de La Cagoule, de Pétain et de la Collaboration cite nommément le général Puga, comme camarades de lutte, susceptible de prendre la tête d’un putsch imminent ! « Ceux qui évacuent d’un revers de main, toute possibilité de coup d’état militaire en France feraient bien de réviser leur classique », professe le fanzine d’ultra-droite. Emoi à l’hôtel de Brienne. La DPSD, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, en clair le service secret chargé de surveiller le personnel, ouvre une enquête, supervisé par le ministre Le Drian en personne. Las ! Il s’agit d’une grossière manipulation. Selon le journaliste Fredéric Haziza dans « Vol au-dessus d’un nid de fachos », son livre-enquête sur l’extrême-droite, Le Lys Noir brandit le nom de Puga en étendard « pour enrôler des sous-officiers et des officiers subalternes autour de son mouvement ». Puga est mis hors de cause dans l’affaire du putsch virtuel. Mais reste sous discrète surveillance du cabinet du ministre pour ses relations avec d’autres hauts gradés à l’œuvre dans les manifs contre le mariage pour tous. « Certains officiers comme son ami intime le général Bruno Dary, l’ancien gouverneur militaire de Paris reconverti aujourd’hui comme conseiller en logistique de « La Manif pour tous » posent problème », explique pudiquement un proche de Le Drian.
François Hollande lui, a déjà passé l’éponge. Il n’avait pas vraiment le choix. Pouvait-il se permettre de prendre du champ avec son chef d’Etat-Major en pleine guerre du Mali, une opération concoctée presque en solitaire par le général Puga en personne.
Benoit Puga est un baroudeur féru d’Afrique noire, continent qu’il a connu dès 1978 en sautant sur Kolwezi en compagnie des 400 légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi, avant de diriger les opérations Almandin à Bangui et Pélican au Congo-Kinshasa en 1996-199. Pas étonnant dès lors qu’il ait commencé à élaborer ses plans de débarquement au Mali dès l’automne 2012… au moment même où François Hollande tenait la première conférence de presse de son mandat en affirmant qu’il n’avait nulle intention d’intervenir militairement au Sahel. D’ailleurs, comment légitimer une intervention militaire française contre les islamistes locaux sans mandat des Nations-Unies ?
Début janvier 2013, le général Puga souffle au chef de l’Etat le moyen de rendre légal l’opération: il suffit, dit-il, que Dioncounda Traoré, le président malien d’alors, demande officiellement l’intervention de la France contre les islamistes sur son sol. Hollande est séduit. Traoré s’exécute. L’opération Serval peut débuter. Et qu’importe si Traoré a seulement fait allusion à une intervention aérienne. Pour Puga, il fallait de toute façon envoyer des troupes au sol. « Cela faisait partie des plans de l’intervention depuis déjà deux mois », assure un familier du dossier. Et qu’importe si plusieurs otages français dont l’ingénieur d’Areva Daniel Larribe, sont alors retenus par les djihadistes. Le général fait dans l’intérêt supérieur de la Nation. Pas dans la sensiblerie.
Les familles des soldats tués dans l’embuscade de la vallée d’Uzbin, en Afghanistan en août 2008 le savent mieux que quiconque. A l’époque, le général Puga est le responsable des opérations au sein de l’Etat-major. Pour lui, malgré les dix victimes françaises, « l’opération a été réussie : n’en déplaise à certains tacticiens en herbe ou en chambre, cingle publiquement notre chef légionnaire, l’adversaire a été repoussé, il a pris une sacrée raclée (sic) ». C’est maintenant au juge d’instruction Fréderic Digne, chargé d’enquêter sur les circonstances du drame afghan de confirmer ou non, l’optimisme va-t-en guerre du militaire préféré du Président.