Jean Ping: « l’état de démence » du régime gabonais

Voici le discours qu’a prononcé Jean Ping, principal opposant au régime gabonais, à Libreville le 29 mars dernier


« Depuis le 31 août 2016, notre lutte pour la libération du Gabon et le triomphe de l’État de droit, démocratique et républicain, a été menée sans relâche avec détermination et engagement, en affrontant toutes les embûches auxquelles nous avons dû faire face.

Digne peuple gabonais,
Nous tenons toujours notre destin commun entre nos mains. Je voudrais que nous soyons, chaque jour, toujours plus nombreux à avoir cette conviction en partage.
Ce régime nous a montré ses pires facettes.

En effet, mes chers compatriotes,
Que penser de la volonté délibérée de la Cour constitutionnelle de ne pas faire reprendre, conformément aux exigences de la loi, l’élection dans les 21 bureaux de vote qu’elle a annulée à dessein au 2ème arrondissement de Libreville ?
Que penser de son refus systématique et volontaire de procéder à la confrontation des procès verbaux, bureau de vote par bureau de vote de la province du Haut-Ogooué ?
Que penser d’un pouvoir qui, en dépit du serment de protection du peuple gabonais prononcé par le Président de la République, ainsi que l’exige la Constitution, s’est rendu coupable du massacre des populations civiles non armées dont le seul tort a été de croire à la vertu du bulletin de vote et de célébrer la victoire de l’alternance et du changement tant attendue ?
Que penser d’un pouvoir qui n’hésite pas à arrêter et à détenir sans jugement, dans des conditions inhumaines, des citoyens dont le seul tort est de croire qu’il n’y a point de démocratie sans garantie des libertés fondamentales ?
Que penser d’un pouvoir dont la seule réponse aux revendications légitimes des différentes catégories sociales, se résume à l’usage disproportionné de la violence policière, révélant un peu plus la démence qui s’est invitée au sommet de l’Etat ?
Que penser d’un pouvoir qui, après avoir mis en place un système de prédation implacable des finances publiques, s’acharne contre des entreprises, par des redressements fiscaux à tout vent, et des arnaques de nature à causer l’effondrement de notre économie déjà mal en point ?
Mais si l’adversité est si grande, nous pouvons dire aujourd’hui que nous nous sommes rapprochés de notre but : la fin de l’illégitimité, de l’usurpation du pouvoir et des coups d’Etat permanents, institutionnel et militaro-électoral.


Mes chers compatriotes,
A tous les niveaux, social, économique, politique et culturel, qu’il s’agisse de politique intérieure ou de politique extérieure, la situation de notre pays n’a cessé de se dégrader profondément.
Les efforts déployés par les putschistes pour maquiller les faits et leurs forfaits ne convainquent personne.
Aujourd’hui, tous les travestissements de la réalité ne trompent plus, ni au Gabon, ni à l’étranger. Tout au plus, ils ne font qu’accroître le discrédit sur le Gabon et les Gabonais.
Au plan interne, les perspectives sont illisibles et frappées du sceau de la précarité, 
une précarité qui accable les ménages, les entreprises et les administrations
publiques. 
La création de richesse est inexistante, le chômage est désespérant et chacun voit que le climat social est un véritable chaudron. Notre vie au quotidien est compromise par la peur, l’incertitude du lendemain et l’insatisfaction de nos besoins, y compris les plus élémentaires.
Au plan international, pour mesurer le niveau de l’incompétence, de l’immaturité et de la désinvolture dans la conduite des affaires de l’État, relevons ici que notre pays vient d’être privé de son droit de vote à l’Assemblée Générale de l’ONU, pour défaut de paiement de ses contributions. 
Que dire de nos ambassades qui sont presque toutes en cessation de paiement ! Il faut que tout cela cesse.
Alors que le pays se trouve au bord du chaos, il se susurre qu’un projet absurde et hasardeux d’une nouvelle révision de la Constitution, est en préparation.
Ce projet est une énième déstabilisation des institutions de notre pays. 
Il vise, par une manœuvre de pure circonstance, à transférer à une autre personnalité que celle que désigne la Constitution, en l’occurrence au Président de l’Assemblée Nationale au lieu du Président du Sénat, la charge d’assurer l’intérim, en cas de vacance de la Présidence de la République.

Je prends la communauté nationale et internationale à témoin pour rappeler avec la plus grande fermeté que cette félonie, cette forfaiture qui en rajoute à l’instabilité constitutionnelle récurrente, envisagée par les thuriféraires de ce régime en place, va à l’encontre d’un principe général de droit bien connu et établi dans le monde entier ; c’est-à-dire ce principe général qui interdit que les éléments constitutifs d’une situation juridique en cours ne puissent faire l’objet d’une modification rétroactive. 

La loi ne dispose que pour l’avenir, c’est le principe bien connu de la non rétroactivité de la loi !
S’agissant de ce mandat, de surcroît usurpé, rien ne peut justifier que la vacance du pouvoir qui s’y rattache fasse, une fois de plus, l’objet d’un tripatouillage. Il se révèle en fait être uniquement opportuniste.
Je voudrais le dire avec force : cette nouvelle tricherie inadmissible ne résoudra en rien la crise dramatique que traverse le Gabon. Elle ne fera que l’exacerber. Et nous continuerons à déployer toutes nos forces pour nous opposer à tout projet qui bafoue la souveraineté du peuple gabonais. 
En réalité, et le monde entier le sait, il n’y a pas d’autre alternative que celle que je représente en ma qualité de Président élu de la République gabonaise.

En effet, je suis le Président que vous avez souverainement élu avec plus de 65% de suffrages. Ce n’est pas en tentant de nier la réalité des faits que ces faits cessent d’exister. 
Devant le peuple gabonais et la Communauté internationale, je rejette vivement cette nouvelle tentative éhontée de corrompre la lettre et l’esprit de nos institutions. 

Mes chers compatriotes,
Depuis le 24 octobre 2018, j’ai observé la réserve qui s’impose lorsqu’il s’agit d’aborder certains sujets graves. La santé de chacun de nous fait partie de ces sujets 
qui appellent à la retenue, parce qu’ils touchent à la dignité humaine.
Il en est ainsi de la santé de Monsieur Ali Bongo, une question qui alimente les 
conversations depuis le mois d’octobre dernier.
Le peuple gabonais a désormais suffisamment d’éléments d’analyse pour se forger quelques certitudes.
Depuis plusieurs mois, l’opinion nationale et internationale se tourne vers moi, attendant de savoir ce que je pense de cette question précise.

Mon opinion, à cet égard, est guidée par deux considérations.
La première tient, comme je viens de l’indiquer, au plus grand respect que j’accorde à la dignité humaine. Mon analyse de l’état de santé de Monsieur Ali Bongo reste attachée au respect de cette dignité humaine. 
Néanmoins, comme chacun de vous, j’ai noté, et cela saute aux yeux, que les facultés de celui qui nous a été présenté comme étant Ali Bongo semblent 
considérablement affectées.
La deuxième considération, qui demeure constante chez moi, ainsi d’ailleurs que dans l’esprit du peuple gabonais, est que Monsieur Ali Bongo reste l’incarnation de l’usurpation du pouvoir et des malheurs du pays.


C’est en qualité d’usurpateur qu’il se maintient à la tête de l’État, depuis que vous, peuple gabonais, m’avez confié le 27 août 2016, les destinées du Gabon, notre pays.
C’est à moi, Jean PING, que le peuple souverain a conféré la légitimité de la charge de Président de la République.
Mes chers compatriotes,
L’état de santé de Monsieur Ali Bongo ne saurait, d’aucune manière, occulter le problème principal qui divise notre pays, altère l’unité nationale et prive le Gabon de la sérénité nécessaire à son développement.
Ce problème qu’il nous faut absolument résoudre est celui de l’illégitimité et de la fin de l’usurpation du pouvoir au sommet de l’État depuis 2016.
Comme le plus grand nombre d’entre vous, la priorité des priorités est de mettre fin à cette usurpation du pouvoir.
Je le redis solennellement : il est impérieux pour le Gabon, notre chère patrie, de sortir de cette impasse et de mettre un terme à cette imposture qui n’a que trop duré.
Et c’est dans la perspective de cette restauration de la légitimité démocratique, que je renouvelle mon appel au Rassemblement du peuple gabonais autour des valeurs d’Union, de Travail et de Justice qui constituent la matrice de notre République.
Nos ancêtres nous observent, notre responsabilité à l’égard des générations 
actuelles et futures est engagée.

Le temps est venu pour chacun de nous de comprendre qu’en dehors de la 
restauration de la vérité des urnes que le monde entier connaît, il n’y a point de salut. 
C’est un impératif national.
Je saisis cette occasion pour réitérer également mon adhésion à la mise en œuvre de toutes les garanties nécessaires qui accompagneront la passation pacifique du pouvoir que le Gabon et la Communauté internationale attendent.

Mes chers compatriotes,
Croyez-moi bien, je suis conscient des devoirs qui m’incombent au service de notre pays.
J’y suis pleinement préparé, et les suffrages que vous avez majoritairement exprimés en ma faveur m’ont infiniment conforté dans ma détermination de me mettre irrévocablement au service des Gabonaises et des Gabonais.
Je prie avec vous tous pour que Dieu bénisse notre patrie.
Vive la Nouvelle République ! 
Vive le Gabon !