Au Bénin, la démocrature de Patrice Talon est en marche.

Elu confortablement président de la République du Bénin, le 20 mars 2016, Patrice Talon s’est engagé dans l’inquiétante voie de la démocrature qui prétend se conformer aux principes démocratiques tout en organisant des pratiques dictatoriales.

La préparation des élections législatives du 28 avril 2019 est en cela très révélatrice. Quant à la Cour africaine des droits de l’homme d’Arusha, elle vient de stigmatiser, dans un arrêt du 29 mars 2019, une dérive qui éloigne le régime actuel de l’État de droit.

En 2016, Patrice Talon était le candidat de « la rupture et de la justice indépendante ». Il avait suscité beaucoup d’espoirs. Il est vrai que sa réussite professionnelle fondée sur un management moderne, un sens aigu des affaires et un respect des lois du travail ainsi que son opposition mouvementée bien que tardive au président Thomas Boni Yayi, pouvaient apparaître comme des gages de rupture avec la mauvaise gouvernance de ses prédécesseurs,  ayant laissé se développer la corruption, le népotisme et le clientélisme. La déception du double quinquennat de Thomas Boni Yayi (2006-2016) et les quasi lettres de cachet dont il avait fait l’objet, même lors de son exil parisien, avaient assuré à Patrice Talon une popularité qui allait bien au-delà des faubourgs de Cotonou ou de Porto-Novo.
La dictature sous les aspects de la démocratie
Comme beaucoup de ses collègues chefs d’État africains, Patrice Talon a été vite tenté par un autoritarisme, renforcé par une paranoïa typiquement béninoise qui remonte à Mathieu Kerekou et Nicéphore Soglo. Comme lui-même en avait beaucoup souffert, lors du second quinquennat de son ex ami Thomas Boni Yayi, les actuels opposants à Patrice Talon sont devenus des « ennemis de la République » et les principales figures de proue subissent à la fois moultes tracasseries professionnelles, restriction à la liberté d’action et ennuis judiciaires notamment avec la nouvelle juridiction spéciale, créée par une loi du 2 juillet 2018.

Cette Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) est certes destinée à lutter contre la corruption, le terrorisme et les trafics en tous genres, mais son caractère particulier et dérogatoire en fait aussi un instrument de la répression politique. Le leader de l’opposition, et homme d’affaires fortuné, Sébastien Ajavon, en a fait l’expérience. Comme jadis Patrice Talon, Sébastien Ajavon a dû se résoudre à un exil parisien. Le 29 mars 2019, la Cour africaine des droits de l’homme a rendu justice à Sébastien Ajavon et jeter le discrédit sur la juridiction d’exception qu’est la CRIET.


La justice béninoise en question


Sur un recours des conseils de Sébastien Ajavon tendant à faire annuler l’arrêt du 18 octobre 2018 de la CRIET prononçant une peine de 20 ans de prison avec un mandat d’arrêt international, pour une affaire fortement contestée de trafic de cocaïne, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a jugé avec sévérité la justice béninoise. Dans son arrêt du 29 mars 2019, la Cour d’Arusha, à l’unanimité des juges, condamne l’arrêt du 18 octobre 2018 de la CRIET.

La Cour d’Arusha relève que les grands principes du droit pénal avaient été bafoués comme le droit à un procès équitable, la possibilité de l’Appel, la présomption d’innocence, le respect des droits de la défense, et la règle « non bis in idem » selon laquelle nul ne peut être poursuivi et condamné pénalement une seconde fois pour des mêmes faits. La Cour d’Arusha revient également sur la compétence sujette à caution de la CRIET et ordonne à la justice béninoise d’annuler l’arrêt du 18 octobre 2018, dans un délai de six mois, et fait droit à des dommages et intérêts pour le requérant. La défaite du pouvoir béninois est cinglante, mais il n’est pas sûr qu’il aquiescera. Le Garde des sceaux et ancien avocat de Patrice Talon, Séverin Quenum, semble bien rester inflexible.


Les élections législatives confisquées


Les élections législatives programmées le 28 avril 2019 ont rarement suscité autant de passions dans ce pays, jadis appelé « la quartier latin de l’Afrique », tant les professeurs agrégés de droit et les éminents juristes sont nombreux et d’une compétence mondialement reconnue.
Les 83 députés sont élus au scrutin de liste avec répartition à la proportionnelle. Avec ce type de scrutin, la multiplication des partis est prévisible et la majorité gouvernementale plus difficile à réunir. Fallait-Il pour autant ne retenir que deux partis soutenant Patrice Talon pour arriver à cette fin ?


Il y eut d’abord les modifications du code électoral, comme celles qui a augmenté sans commune mesure la caution pour participer à l’élection et le taux national de 10% des voix exigé pour avoir des élus. La Commission électorale nationale autonome (CENA) a ensuite fait valoir des conditions prévues par la loi pour être candidat, mais difficiles à satisfaire comme le certificat de conformité délivré par le ministère de l’intérieur. Le respect de la loi s’avére parfois un parcours du combattant. Finalement, les partis de l’opposition ne seront pas admis à participer au scrutin du 28 avril prochain. Seuls l’Union progressiste et le Bloc républicain, proches de Patrice Talon, enverront des députés à l’Assemblée nationale. Le chef de l’État aura alors les mains libres pour réviser la Constitution, comme pour l’instauration du mandat unique présidentiel.

L’  » exigence morale » sera au rendez-vous mais à quel prix ?

L’ancien Premier ministre Lionel Zinsou et l’ancien ambassadeur du Bénin à Paris devenu le coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique  du président Macron et futur ambassadeur de la France, Jules-Armand Aniambossou, connaissent évidemment très bien les uns et le autres, pourront-ils éviter une crise majeure dans ce pays que l’on citait souvent en exemple ?