Dans le cadre des législatives tunisiennes qui ont lieu dimanche prochain, les citoyens de la diaspora tunisienne étaient présents samedi 18 octobre au pavillon Wagram à Paris. Dix huit listes étaient présentes. Chacune a été conviée par l’organisme chargé de veiller à la régularité du scrutin d’aménager un stand et d’échanger directement avec le public. Malgré des débats vifs et pas toujours audibles, Mondafrique a recueilli plusieurs témoignages, qui traduisent un certain désarroi face aux choix électoraux
Un grand rassemblement des listes qui se disputent les suffrages des Tunisiens de France a eu lieu, samedi18 octobre, au pavillon Wagram en plein coeur de Paris. Dès neuf heures du matin, les militants du parti islamiste Ennahdha arrivent parmi les premiers. Ils dénotent par leur air sérieux et soucieux et par leur organisation irréprochable. En montant les escaliers à la recherche d’interlocuteurs, une jeune femme voilée accueille la journaliste que je suis avec un grand sourire et tend le dossier de presse. Leur emplacement stratégique, au début des escaliers, rend le passage par leur stand inévitable ! Coïncidence, à leur côté se trouve le stand du Mouvement Destourien, créé par Abderrahim Zouari, ancien ministre sous Ben Ali et candidat à la présidentielle en décembre, qui revendique fièrement l’héritage bourguibiste. Bourguiba contre Ghannouchi, le leader d’Ennadha, voici bien aujourd’hui le clivage central de la vie politique en Tunisie, jusqu’aux bords de la Seine.
Marzouki, favori de la base d’Ennahdha
Petit à petit, les drapeaux et logos commencent à prendre place partout dans ce pavillon devenu tunisien pour l’occasion. L’endroit se remplit, les discussions s’enflamment et la cacophonie devient générale. Si le concept de réunion-débat est intéressant, le bruit, lui, est assourdissant. Avec stands et débats organisés dans un même espace, les intervenants ont un mal fou à se faire entendre. La démocratie en Tunisie est-elle condamnée à rimer avec cacophonie? Une militante me confie discrètement « Au sein d’Ennahdha, nous souhaitons 1000 fois plus travailler avec le CPR de Moncef Mazourki que tout le monde décrie ». Il est vrai que les islamistes n’ont pas choisi encore leur candidat pour la présidentielle. Les dirigeants d’Ennahdha ne veulent plus majoritairement du président de transition, Moncef Marzouki, totalement incontrolable et colérique. En revanche, la base du mouvement est favorable à l’actuel chef de l’Etat, séduite par son nationalisme et son populisme.
Pourtant, tous n’ont pas d’avis aussi tranché et la majorité des citoyens rencontrés lors de ce forum ne montraient pas d’engagement particulier. Thierry Brésillon, journaliste pour Rue89, déclarait récemment à la soirée « ciné Tunisie » organisée par le site participatif parisien : « 80% de mes amis tunisiens, bien que politisés, ne savent pas encore pour qui ils iront voter ».
Les témoignages receuillis par Mondafrique
Zed, dessinateur tunisien, 30 ans :
« Je ne sais pas encore à quel candidat mon choix ira. Je voterai certainement « utile » car je cherche juste à éviter le pire. Actuellement, il y a un déchirement en Tunisie entre le vote utile et le vote « du cœur » ». Il ajoute qu’il voit deux principales tendances : ceux qui soutiennent Ennahdha, et ceux qui se définissent en opposition à Ennahdha.
« On voit bien que le processus démocratique prend beaucoup plus de temps que ce qui avait été annoncé au départ. Pendant 2 ans, c’était une cour de récréation ; la constitution a été bâclée ! L’ancien système est encore là ! Ils vendent tous du rêve… Personne ne cible les vrais problèmes. Ce sont toujours les mêmes familles qui gouvernent. Ce n’est certainement pas leur faute car la Tunisie est gérée de l’extérieur et les partis politiques ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Le problème aujourd’hui est que les gens ne votent même pas pour leurs propres intérêts, parce qu’ils ne savent pas ce que sont leurs intérêts, et puis les gens qui se présentent ne sont pas à la hauteur… Mais malgré la déception, j’irai voter ! »
Marouen Falfel : 31 ans, consultant en services financiers à Paris, et militant pour le parti Nidaa Tounes :
« Je me présente sur une liste jeune pour représenter aujourd’hui les tunisiens de France. Je suis convaincu que seul l’espoir pourra nous faire sortir de la crise économique, sociale et sécuritaire. Actuellement, ce que je ressens par rapport aux tunisiens, c’est un manque terrible de confiance dans la politique et dans la chose publique. Notre premier axe est de rétablir cette confiance. Nous sommes parfaitement conscients que le citoyen ne pourra faire confiance que si il est écouté. Il faut que les politiques respectent leurs engagements, que la situation matérielle, sociale et sécuritaire s’améliore. Notre objectif est de réaliser les objectifs de la révolution, c’est-à-dire combattre le chômage, les inégalités entre les régions et les catégories sociales, assurer l’ascension sociale, apporter le développement et répartir les fruits de ce développement entre tous ! Aujourd’hui, la Tunisie est face à un moment historique où les citoyens doivent se mobiliser, malgré le fait que c’est dur, malgré le manque de confiance, l’espoir est là !
Amal.F, 22 ans, étudiante dans une institution prestigieuse et militante au sein du parti Ennahdha :
Amal est française d’origine tunisienne :
« Après la révolution, j’ai senti que tout était à construire, le terrain était vierge et le climat favorable pour ancrer notre pouvoir. J’ai choisi de m’impliquer dans la scène politique tunisienne, car tout est à bâtir, tout est frais (…)
Ennahdha est devenue très vite ma famille d’adoption, l’ambiance est y très fraternelle. Intégrer Ennahdha, c’est intégrer une grande famille ».
Lorsque on l’interroge sur le caractère sectaire de ce mouvement, elle rebondie en me racontant leur quotidien depuis 3 ans : « Dans ce parti, il y a d’un côté la façade politique et l’image. D’un autre côté, le quotidien marqué par beaucoup de formations et travail. J’ai beaucoup lu pendant ces 3 ans. Les membres m’ont encouragé et accueilli à bras ouverts. Ici, j’ai retrouvé une identité ».
Sous cet air enfantin, elle lève les yeux en ajoutant : « Ce que je souhaite pour les tunisiens, c’est que tout le monde puisse travailler ensemble, même quand ils sont en désaccord. Travailler ensemble malgré les différences est notre plus gros défi »
Ali Bouatour, 23 ans, étudiant :
« Sincèrement, je ne connais aucun candidat de ceux qui se représentent. Je suis venu les rencontrer aujourd’hui afin de leur poser des questions sur des points bien précis. J’en ai un peu marre des discours politiques et de la langue de bois. J’ai à peu près une idée du candidat que je choisirai, mais ce forum va me permettre de valider ou non mon choix. Je n’exclus pas de changer d’avis !»
Il nous fait part de ses inquiétudes tout en précisant qu’il reste optimiste « Je me demande également pourquoi tant de partis en jeu alors que nous ne sommes que 10 millions de tunisiens. Tout le monde cherche à se démarquer des deux grands partis (Ennahdha et Nidaa Tounes), ne serait-il pas plus astucieux que les autres micro-partis se rassemblent pour former un seul bloc d’opposition ? Ils pourront sinon faire un effort de clarification dans les programmes électoraux qui sont très peu détaillés, on a l’impression de n’avoir que des grandes lignes, et je suis ici aujourd’hui pour comprendre la manière avec laquelle ils comptent tous stopper le chômage et éradiquer le terrorisme… Le discours politique manque de fond et de feuille de route »
Aya Fayal, 30 ans, étudiante, en recherche d’emploi :
« Je fais partie de l’association « Uni T* », membre organisateur de ce forum. Je suis là aujourd’hui car c’est la dernière occasion pour s’informer auprès des têtes de liste. J’ai tout de même une idée du candidat que je vais élire, mais je suis prête à changer d’avis. » Interrogée sur la lisibilité des projets des candidats, Aya me confie qu’elle s’aperçoit qu’il y a réellement peu de différences en termes de projets. Avant d’ajouter, comme pour se rattraper « Depuis 2011, rien n’a changé, du coup ces élections vont permettre à tous, y compris ceux qui regrettent leurs choix, de rectifier. Nous sommes une démocratie, le pouvoir et l’avenir sont entre les mains du peuple, profitons-en ! »