Egypte: Macron parti, la répression a repris!

A peine Emmanuel Macron envolé pour Chypre, quatre des huit personnalités de la société civile, reçues le 29 janvier durant deux heures par le président français à l’ambassade de France au Caire, sont devenues la cible d’une plainte abusive.Une chronique de Rabha Attaf.

Déposée le lendemain du départ d’Emmanuel Macron par un sombre avocat connu pour ses accointances avec les services de sécurité, la plainte contre quatre militants des droits humains ne s’est pas fait attendre. L’attaque est violente : « offense à l’État égyptien », « atteinte à la sûreté de l’État », ainsi que « menace à la sécurité nationale » et « aux grands intérêts du pays ».

La réponse du loup à la bergère

Ces accusations ne ciblent pas n’importe qui ! Elles visent les directeurs des ONG connues internationalement pour être les fers de lance de la défense des droits humains en Egypte : Mohamed Lotfy, de la Commission Egyptienne pour les Droits et Libertés (ECRF), Mohamed Zaree, du bureau de l’Institut d’Études des Droits de l’Homme du Caire (CIHRS), Gamal Eid, du Réseau Arabe d’Information sur les Droits de l’Homme (ANHRI), et Gasser Abdel-Razaq, de l’Initiative Égyptienne pour les Droits de la Personne (EIPR). Déjà frappés d’interdiction de voyage depuis 2016, en même temps que 26 autres défenseurs des droits humains ou économiques et sociaux, ils risquent d’être condamnés à des peines de prison ferme si le procureur général du Caire décide de suivre cette plainte.

L’ECRF se distingue notamment par son travail continu sur les disparitions forcées depuis 2013 -recensement minutieux des victimes et accompagnement juridique de leurs familles. Travail de plaidoyer oblige, Mohamed Lotfy est aussi, comme ses coaccusés, un habitué des chancelleries occidentales. Il a d’ailleurs reçu, en décembre dernier, le prix franco-allemand pour les droits de l’homme et l’Etat de droit. Son engagement indéfectible lui avait précédemment valu de voir son épouse, Amal Fathi, jetée en prison, en mai 2018, pour avoir posté sur sa page Facebook une vidéo dénonçant le harcèlement sexuel dont sont quotidiennement victimes les Égyptiennes, et la passivité des autorités. Elle a finalement recouvré sa liberté fin décembre dernier, mais avec interdiction de quitter son domicile, sauf pour se rendre chez le médecin afin de renouveler son traitement médical.

Le CIHRS avait, quant à lui, cosigné avec la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, l’Observatoire des Armements et la Ligue des Droits de l’Homme, un rapport explosif, rendu public en juin dernier, sur les livraisons d’armes à l’Egypte, intitulé « Egypte, une répression made in France » ( https://mondafrique.com/egypte-une-repression-made-in-france/ ). Par ailleurs, son directeur général, Bahei Eddine Hassan, réfugié à Paris avec sa famille depuis 2016, avait publié « Un appel au président Macron », peu avant la visite d’Al-Sissi à Paris d’octobre 2017, pour demander à la France de cesser tout soutien inconditionnel au dictateur égyptien.

Des arrestations à répétition

L’EIPR, plus spécialisée dans la lutte contre les discriminations de genre et la liberté d’expression, est aussi dans le collimateur depuis plusieurs années. Hossam Bahgat, son fondateur et ex-directeur, avait été arrêté en novembre 2015, après avoir signé un article publié par Mada Masr -l’un des derniers sites indépendants égyptiens devant sa survie à la délocalisation de son serveur et à la mise en place d’accès « en miroir » pour son lectorat égyptien. Ce journaliste d’investigation avait révélé une tentative déjouée de coup d’État militaire. Suite au tollé international provoqué par son arrestation, il avait été, à l’époque, remis rapidement en liberté, après avoir toutefois signé un document l’engageant à ne plus écrire sur l’armée égyptienne sans autorisation officielle préalable. Dix mois après, il était de nouveau arrêté dans le cadre d’un coup de filet dirigé, en septembre 2016, contre quarante et une ONG accusées « d’exercice illégal » et de « percevoir des fonds de l’étranger ».

Parmi les huit personnes déférées, à l’époque, devant la Cour d’assise du Caire, figuraient déjà Mohamed Lotfy, Mohamed Zaree, Bahei Eddine Hassan et Gamal Eid. Ce dernier est un avocat chevronné très en vue dans le monde arabe. Il a fondé l’ANHRI en 2003 pour promouvoir la liberté d’expression au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et fournir une assistance juridique aux journalistes et bloggers victimes de répression. A l’époque, ces défenseurs des droits humains avaient été condamnés, ainsi que quatre co-inculpés, au gel des avoirs personnels et familiaux, le tout assorti d’une interdiction de voyager.

Malgré cet acharnement judiciaire et les multiples menaces anonymes dont ils font l’objet, ces figures emblématiques de la défense des droits humains en Egypte ont continué leurs activités respectives. Le lendemain de leur rencontre à l’ambassade de France, Mohamed Zaree avait résumé leurs échanges avec Macron  dans une interview publiée par Mada Masr. L’un après l’autre, lui-même et ses confrères ont informé le président français du blocage de plus de 500 sites web, des condamnations à la peine capitale de milliers d’opposants, des conditions de détention inhumaines, des disparitions forcées, des violations commises lors de l’élection présidentielle à l’encontre des adversaires d’Al-Sissi (cfhttps://mondafrique.com/egypte-election-presidentielle-plebiscitaire/), ou encore des arrestations effectuées, deux jours avant l’arrivée de Macron au Caire, au siège du parti Al-Karama où avait lieu une commémoration de la « révolution du 25janvier ». Sans oublier la réforme de la Constitution en cours pour permettre au maréchal Al-Sissi de briguer un 3ème mandat… voire même une présidence à vie !

Pas étonnant donc que ces quatre « chevaliers » des droits humains soient de nouveau menacés d’être traînés devant les tribunaux. Car cette méthode de harcèlement judiciaire est devenue monnaie courante en Egypte à l’égard de toute voix dissidente. Elle a pour effet direct de déclencher l’hydre des médias publics et privés, tous acquis au régime. Depuis le dépôt de cette plainte, au prétexte qu’ils auraient « répandu des fausses nouvelles » auprès du chef de l’État français « pour nuire à la réputation internationale de l’Égypte et à l’intérêt national de l’Égypte »Mohamed Lotfy, Mohamed Zaree, Gamal Eid et Gasser Abdel-Razaq subissent, en effet, une avalanche de calomnies et d’attaques verbales inouïes, y compris sur les réseaux sociaux et jusque sur leurs téléphones, se faisant traiter de « traîtres », « d’agents de l’étranger », etc. 

Un camouflet pour Emmanuel Macron

Le message est clair : interdit de parler des droits humains avec un président étranger en visite officielle, au risque d’être poursuivi pour trahison. D ‘où la réaction expresse des autorités égyptienne contre les « invités » de Macron et donc aussi un sérieux camouflet pour ce dernier. En effet, ses propos concernant les droits des personnes durant la conférence de presse présidentielle crispèrent immédiatement Al-Sissi. « La stabilité et la paix durable vont de pair avec le respect des libertés de chacun, de la dignité de chacun et d’un État de droit », avait lancé Macron à son hôte qui venait de faire une envolée confuse sur les défis de l’Egypte qu’on ne saurait réduire à une question de « droits de l’homme » ou de « bloggers » [emprisonnés, ndlr].

« Nous ne sommes pas l’Europe ou les Etats-Unis (…), on ne peut pas imposer un seul chemin », rétorqua fermement Al-Sissi, avant de se justifier par sa tirade habituelle sur le terrorisme, précisant qu’il avait évité une guerre civile au pays, et été élu par la volonté du peuple ! Une manière de signifier à Macron qu’il ne saurait tolérer aucune ingérence dans SES affaires, y compris dans le cadre d’un « partenariat stratégique ». Dès lors, les menaces exercées contre les défenseurs des droits humains, à peine Macron parti d’Egypte, sont révélatrices de la mégalomanie d’un maréchal percevant le renforcement des relations économiques entre la France et l’Égypte comme une garantie d’impunité !

Est-ce un hasard du calendrier ? Le reporter-photographe amateur, Ahmed Gamal Ziada, connu pour sa couverture du massacre de la place Rabiaa Al-Adawiya d’août 2013, a été kidnappé à l’aéroport du Caire, par des agents d’un service de sécurité en civil, l’après midi du 30 janvier. Il était de retour de Tunis où il avait participé à un atelier de formation au journalisme. Depuis, il a tout simplement disparu ! Auparavant, Ahmad Gamal Ziada avait été arrêté en décembre 2013, alors qu’il couvrait le mouvement contestataire des étudiants pro-Morsi de l’université d’Al-Azhar au Caire. Il était accusé, avec 54 coinculpés, de « vandalisme », « assaut contre la police » et « participation à une assemblée illégale ». Après 500 jours de détention préventive dans des conditions abominables, il fut finalement relaxé en avril 2015, suite à des pressions internationales, dont la France. C’est dire à quel point, aujourd’hui, les conseils de « l’ami Macron » resteront lettre morte !

Rabha Attaf, grand reporter spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient

Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.