Au Gabon où les institutions étatiques sont entièrement acquises au chef de l’exécutif, le doute semble avoir changé de camp. La mainmise d’Ali Bongo sur le parti à la tête du pays n’est plus ce qu’elle était, et le président voit son pouvoir se fissurer dangereusement.
Contestations, désertions, démissions : les défections de membres du Parti Démocratique Gabonais (PDG), au pouvoir depuis 53 ans, se font de plus en plus nombreuses. Responsable selon les Gabonais d’un contexte socio-économique des plus désastreux, Ali Bongo Ondimba ne fait plus, et loin s’en faut, l’unanimité dans son parti. Cette défiance du peuple a trouvé une expression au sein même de sa famille, dans son fief adoptif du Haut-Ogooué. Cette famille qui, lors des élections présidentielles anticipées d’août 2009, s’était mobilisée et soudée autour de lui pour le porter coûte que coûte aux plus hautes responsabilités de l’Etat, se détourne, et pire, décide de le combattre. Quand on sait l’importance que revêt, en Afrique plus qu’ailleurs, le soutien de la famille, du clan, on comprend qu’Ali Bongo est un homme de plus en plus seul.
La médiation ratée d’Ali Bongo
Le départ de Léon Paul Ngoulakia, le 20 octobre dernier, a fait l’effet d’une déflagration au sein du parti. Cousin d’Ali Bongo Ondimba, membre influent de la famille présidentielle et personnalité éminente du PDG, ce quinquagénaire, homme de réseaux, ancien directeur de la Caisse de Stabilisation et de Péréquation (CAISTAB) et ex-patron des services de renseignements gabonais, évoque des raisons personnelles. Mais selon une de nos sources proche de la famille, cette décision, mûrie depuis trois ou quatre ans, est la résultante d’antagonismes forts entre les deux hommes. Elle découle des plaintes incessantes de la famille quant à la gestion calamiteuse, irresponsable et budgétivore du Gabon par Ali Bongo. Et particulièrement l’impuissance du chef de l’Etat face à la mainmise de son directeur de cabinet Maixent Accrombessi Nkani sur toutes les mannes financières du pays.
Désemparé, Ali Bongo tente alors une médiation en convoquant les « sages » de sa province d’adoption pour ramener son cousin à la raison. Mais ces derniers lui opposent une fin de non-recevoir, à travers le frère aîné de feu Omar Bongo, Fidèle Anjouat, patriarche de la famille. Par ce geste, l’on comprend que les notables de la province du Haut-Ogooué, tous membres du PDG, ont pris fait et cause pour Léon Paul Ngoulakia. D’autres démissions de hauts cadres sont désormais à craindre pour Ali Bongo, lequel voit le nombre de ses partisans se réduire comme peau de chagrin.
Un remaniement en forme de fuite en avant
Ajoutons à cela la plainte à Nantes de la demi-sœur d’Ali, Onaïda, qui réclame la production d’un acte de naissance original prouvant sa filiation biologique avec feu leur père. L’audience prévue le 24 septembre 2015 a été reportée suite à une demande des avocats du chef de l’Etat gabonais. Faut-il y voir un aveu de l’absence d’acte de naissance? Les Gabonais y croient fermement. La dégradation vertigineuse des indices socio économiques, le Plan Stratégique Emergent (PSE) au point mort mais cher au « prince » Ali et à son directeur de cabinet le béninois Maixent Accrombessi « Nkani » (comme l’indique en langue téké ce nom gabonais qu’il s’est choisi au terme d’une naturalisation qui en interroge plus d’un), l’asphyxie du peuple, la confiscation des pouvoirs et des ressources financières par le couple présidentiel Ali Bongo Ondimba et Maixent Accrombessi Nkani disloquent le PDG.
Depuis le remaniement ministériel du 11 septembre 2015, le président de la République gabonaise, Ali Bongo, et son Premier ministre Daniel Ona Ondo, n’osent affronter les parlementaires pour le discours de politique générale et le vote de confiance qui doit intervenir au plus tard 45 jours après la formation du nouveau gouvernement. Autant dire que la prochaine semaine se déroulera sous haute tension pour l’exécutif, qui arrive à la fin du délai constitutionnel, selon l’article 28 de la Loi fondamentale gabonaise. D’après certaines indiscrétions, le Premier Ministre Ona Ondo aurait proposé à chacun des parlementaires frondeurs une somme de 80 millions de FCFA (soit l’équivalent de 120 000 euros) pour permettre le discours de politique général de son gouvernement. Sans succès !
H&M, prêt à contester
Les parlementaires concernés sont membres d’un courant contestataire radical au sein du parti au pouvoir : Héritage et Modernité (H&M). Guidé par ses leaders Alexandre Barro Chambrier (fils d’un des pères fondateurs du PDG avec feu Omar Bongo) et Michel Menga’M’essono, tonitruant et séditieux député de Cocobeach (circonscription de Libreville), ce courant qui compte plus d’une centaine de membres (élus et hauts cadres) mène la vie dure au gouvernement à travers le travail des parlementaires. On notera particulièrement le discours prononcé le 27 juin 2015 à l’Assemblée Nationale par Alexandre Barro Chambrier. Le député y fustigeait une gestion opaque des ressources du pays, une absence de cap, des projets pharamineux et sans réalisation concrète, et un manque de dialogue avec les citoyens gabonais. Il mettait en avant la paralysie du pays et appelait Ali Bongo à ouvrir la discussion avec l’ensemble des forces d’opposition et la société civile pour apaiser le pays.
En sus, Héritage & Modernité pointe régulièrement l’absence de démocratie au sein du parti et prône l’organisation de primaires pour désigner le candidat à la présidentielle de 2016. Ali Bongo Ondimba n’est donc plus le « candidat naturel » du PDG. Conséquences directes de cette insoumission, les membres de H&M ont été évincés du gouvernement Ona Ondo 3, tandis qu’était arrêté arbitrairement l’un de leurs cadres, Serge Maurice Mabiala, par ailleurs ancien directeur adjoint de cabinet d’Ali Bongo et ancien ministre de la Fonction Publique.
2009, une élection arrangée ?
A l’instar de Héritage & Modernité, de Léon Paul Ngoulakia, on peut relever le départ détonnant de Jean-François Ntoutoume Emane (JFNE), ancien Premier ministre de feu Omar Bongo Ondimba, ancien maire de Libreville et relégué au second plan par le « prince » Ali comme Président du Conseil des Sages (entité nébuleuse aux fonctions peu définies). Lors de son annonce le 2 octobre dernier devant une foule médusée, JFNE demande pardon au peuple gabonais. Il qualifie le Plan stratégique Emergent (PSGE), programme phare du président, de « coquille vide » et de « poupée vaudou ». Il rêve désormais d’un Gabon débarrassé d’Ali Bongo pour sortir le pays de « la bêtise et de la stupidité ».
Au cours de son allocution, il avouera avoir consenti à la tricherie de l’élection d’Ali Bongo en 2009. Jean François Ntoutoume Emane vient alors renforcer les propos de Chambrier Père, cofondateur du PDG, lors d’un rassemblement de soutien à Serge Maurice Mabiala devant les locaux de la Direction de Recherche Générale (DGR) : selon le vieux dignitaire, l’élection d’Ali Bongo Ondimba se serait alors décidée dans une des villas du quartier huppé de la Sablière, à Libreville, plutôt que dans les urnes.