Elle est assise sur les marches de sa maison de Vancouver et elle pleure. Autour d’elle, son mari Rocco Lizzorno et sa proche famille. En face plusieurs caméras de télévision, des photographes et des journalistes.
Elle c’est Teema -Fatima- Kurdi, la tante des enfants dont le monde entier a vu les corps, morts, sur une plage turque. Présentatrices et présentateurs de télévision sont, eux aussi, émus aux larmes en présentant les images. La déclaration de cette dame très digne qui raconte le calvaire de son frère survivant fait la une de toutes les éditions.
Le Canada est bouleversé !
Le Canada vient de prendre conscience que de l’Atlantique au Pacifique, il est, lui aussi, en première ligne. Jusque là, les médias de cet immense pays étaient quelque peu condescendants vis à vis de l’Europe dont on laissait entendre qu’elle ne semblait pas être à la hauteur de sa tâche. La veille de l’horrible photo que les principaux journaux avaient mise à la une, et alors que les journaux télévisés diffusaient sans arrêt des images de Grèce ou de Hongrie, le Premier Ministre Harper, le conservateur en campagne électorale fédérale, affirmait que la solution n’était pas humanitaire mais militaire…. D’abord défaire EI -l’état islamique- et le Canada a envoyé des avions qui bombardent en Syrie et en Irak…. quant à l’aide humanitaire le premier ministre sortant rappelait que, per capita, son pays était le 1er contributeur mondial pour l’aide internationale aux réfugiés.
Entre deux sanglots, Teema Kurdi rappelle que son frère et sa famille errait depuis trois ans entre Damas, Kobane et la Turquie…. Elle s’est même portée garante pour eux en engageant des économies. Elle a écrit au Ministre fédéral qui ne nie pas avoir reçu sa lettre pour expliquer le cas particulier. L’immigration fédérale a refusé l’entrée à la famille kurde syrienne. Elle raconte que la famille du petit Kurdi avait sans doute décidé de s’y prendre autrement et elle dit regretter de leur avoir fait parvenir de l’argent pour qu’ils entreprennent le voyage fatal
Joutes électorales
La campagne électorale s’en est trouvée changée et les opposants tirent depuis à boulets rouges sur Stephen Harper. Justin Trudeau -libéral de centre droit- et Thomas Mulcair -NPD social démocrate- n’hésitent pas à se livrer à la surenchère quant au nombre de réfugiés que le Canada peut accueillir. 15.000 d’un coté, 25.000 de l’autre/ Le premier ministre, lui, ne fait pas de promesse de ce type et s’en tient à son discours initial: il continue de privilégier “la sécurité” -la lutte contre DAECH- à l’accueil des réfugiés. “Pour aider les migrants, il faut aussi vaincre “l’état islamique” martèle t il….
Du coté des provinces -le Québec, la Nouvelle Ecosse et l’Ontario notamment- on affiche officiellement des propositions d’accueil beaucoup plus importantes que celles faites à Ottawa mais, sur ce dossier, c’est le gouvernement fédéral qui décide à la fois pour le nombre et surtout pour les règles à mettre en place. Les maires des grandes villes canadiennes se mobilisent également, à l’initiative du Maire de Montréal, Denis Coderre, et envisagent de se coordonner pour faire pression sur le premier ministre fédéral “il y a quatre millions de déplacés, dit il. Il ne faut pas ce soit l’histoire d’une journée: on en fait pas assez”.
Et c’est un fait que depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir l’accueil des réfugiés s’est fait sensiblement plus difficile….. Dans les années 1970/1980 les gouvernements canadiens avaient accueillis à bras ouverts 60.000 réfugiés vietnamiens. On est bien loin de ce chiffre aujourd’hui. Les promesses gouvernementales sont d’accueillir 23.000 réfugiés syriens et irakiens jusqu’à la fin de 2018….. Depuis seuls 2374 sont arrivés. C’est dire le fossé entre les promesses et la réalité: il faudrait doubler ce chiffre pour que les promesses puissent être tenues….
Les réticences au programme d’admission sont illustrées par le fait que la majorité des dossiers sont pourtant, comme celui de la famille Kurdi, des dossiers parrainés. Il apparaît ainsi que ce sont bien des verrous politiques et administratifs qui freinent l’ensemble du processus.
39% des canadiens accueillants
Les conservateurs, dans cette période électorale, se sentent confortés par le sondages: seuls 39% de leurs électeurs sont prêts à accueillir davantage de réfugiés. Ils sont 62% du cotés des électeurs libéraux et néo démocrates à souhaiter que le Canada en fasse davantage. 37% des conservateurs croient même que plusieurs des demandeurs d’asile sont des réfugiés bidons. 58% des électeurs conservateurs pensent également que le Canada n’a pas à s’impliquer dans cette crise.
Cela dit une manifestation est convoquée cet après midi dans la plupart des grandes villes du Canada. Ces manifestations seront le témoignage de la mobilisation citoyenne que l’on sent poindre un peu partout pour aider les gens que les chaînes de télévision continuent à montrer en permanence dans leur exode européen. Chaque chaîne a maintenant son envoyé spécial qui relaie l’exaspération des canadiens les plus mobilisés. Le Canada est un pays d’immigration et tous les groupes ethniques qui, d’une façon ou d’un autre, ont eu à vivre des drames similaires sont ici des relais d’opinion extrêmement forts. C’est le cas notamment des descendants de boat-people qui se mobilisent au même titre que la communauté syrienne très présente dans les médias.
La presse ce matin rappelle qu’à l’époque des boat-people ce sont les maires des grandes villes -et notammant la mairesse d’Ottawa, la capitale fédérale- qui ont réussi à infléchir la politique du Canada. C’est tres exactement ce qu’esperent ceux qui se mobilisent.