Au Niger, les manifestations anti Charlie Hebdo ont dégénéré en de violents affrontements. Un pouvoir vacillant a profité du chaos généralisé pour réprimer l’opposition. Récit.
Eruption spontanée, contagion des idées de Boko Haram, expression d’un ras-le-bol anti-Issoufou, complot politique ? Les émeutes qui ont éclaté vendredi et samedi au Niger, suivies dimanche d’une manifestation interdite de l’opposition, ont jeté le pays dans la stupeur et l’incompréhension. Dix morts, plus de 40 églises incendiées de Zinder à Niamey, des écoles chrétiennes détruites, des bars pillés, des kiosques de la société de téléphonie Orange et le drapeau français brûlés, ainsi que des locaux du PNDS au pouvoir et la résidence secondaire du ministre des Affaires étrangères. Cet inventaire à la Prévert recouvre trois cibles principales : la France, les lieux chrétiens et le parti au pouvoir.
Zinder, fief conservateur
Tout a commencé vendredi à Agadez et Zinder, après la prière. Zinder, deuxième ville et ancienne capitale du pays, est réputée frondeuse. Il s’agit en outre d’un fief de l’opposition à Mahamadou Issoufou, l’un des plus durs. Ville aux 1000 mosquées, Zinder est profondément conservatrice. Elle a d’ailleurs donné du fil à retordre aux Français, lors de la colonisation. Boko Haram et ses fumeuses diatribes sectaires la traversent discrètement. N’est-on pas à deux pas de la frontière du Nigeria? Vendredi, comme une traînée de poudre, dès la prière terminée, les jeunes ont scandé Allah W’akbar et entrepris de ravager la ville, le centre culturel français, le siège du parti au pouvoir, des locaux des forces de défense et de sécurité mais surtout les bars et les églises chrétiennes. Des maisons abritant des chrétiens ont même été attaquées. Les voisins se sont activés pour sauver leurs amis.
A Agadez, le mouvement a plus vite tourné court, non sans détruire le siège du parti au pouvoir, reflet de l’impopularité de son sulfureux responsable régional : Sherif Abidine. Vendredi soir, le Niger se couche avec la gueule de bois. Mais rien ne se passe. Le président ne s’adresse pas à la Nation, ne convoque pas les oulemas. Cheikh Djabiri Ismael, l’imam de la Grande Mosquée, qui a accompagné le Président à Paris pour la marche républicaine du 11 janvier, n’a pas pu guider la prière : les fidèles l’ont récusé.
Le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou, menace les manifestants à la télévision. La chienlit ne passera pas !
Mais la seule disposition prise par les autorités, c’est l’interdiction du prêche prévu le samedi matin à 8h00 à la Grande Mosquée, au cœur d’un quartier populaire. La police est là. Et lorsqu’un petit groupe d’une cinquantaine de personnes se présente pour ce prêche, dédié à la vie du Prophète, il est chassé par la police, à coups de grenades lacrymogènes.
Des badauds s’arrêtent, stupéfaits, ôtent leur chemise et se préparent pour le coup de poing. Deux heures plus tard, ils sont 150, et la foule grossit encore davantage. Un policier est pris à partie, jeté sur l’esplanade et roué de coups, malgré ses supplications. Comme à Zinder, les badauds, dans tous les quartiers populaires de la ville, attaquent les églises, les symboles chrétiens, les bars, les lieux de prostitution. Une signature de l’inspiration izaliste de ces émeutes.
Mais les jeunes gens qui cassent et brûlent en profitent pour piller. Ils boivent l’alcool et l’emportent avec eux, comme les bancs, les tables, une borne fontaine, des vivres. Bref, tout ce qui peut se piller. Une agence bancaire aurait d’ailleurs été prise pour cible dans le quartier Katacko.
Attaques contre des églises
A l’école Mission évangélique du quartier Banifandou, tout a brûlé : l’école, les cahiers, les livres des enfants. Les enseignants sont tous chrétiens. Ils ont tous été mis à l’abri par leurs voisins. L’école est fermée pour le moment, le temps d’arranger les lieux. Shérif, musulman, parent de trois élèves, a rendu visite au pasteur, le lendemain des émeutes : « Je n’osais pas le regarder. J’avais honte. »
Au Niger on n’a jamais attaqué des églises. C’est la première fois.
Maradi, Magaria, Mirriah, Takieta, Gouré, Matameye. Le feu a éclaté partout. Comme s’il couvait.
Samedi soir, le Président prononce un discours martial. Les Nigériens espéraient qu’il expliquerait Charlie, qu’il s’excuserait auprès d’eux d’avoir entraîné l’imam de la Grande Mosquée dans une marche parisienne où furent brandies des caricatures du Prophète. Mais non. Mahamadou Issoufou préfère la chicotte. « Les responsables de ces actes seront identifiés et châtiés, conformément à la loi », affirme-t-il.
La faute à l’opposition
Dimanche, les partis de l’opposition avaient prévu de manifester. Ils avaient déposé leur demande depuis une semaine. Dans le contexte insurrectionnel de la capitale, l’autorisation leur est finalement refusée. Ils essayent quand même de marcher, à quelques centaines. Reçoivent des grenades lacrymogènes, se replient au siège du MNSD Nassara où la police les poursuit, et leur lance des grenades lacrymogènes sous la porte.
90 militants sont arrêtés, dont plusieurs leaders des trois principaux partis de l’opposition, notamment Soumana Sanda et Oumarou Dogari, les proches de Hama Amadou, qui subissent arrestations et emprisonnements à répétition depuis plusieurs mois. Les journalistes essuient eux aussi les foudres des autorités.
Lundi, les organisations socioprofessionnelles de la presse nigérienne retrouvent les accents de l’époque de la dérive autoritaire du Président Tandja, en 2009.
«Samedi matin vers 10 heures, alors que les violentes manifestations anti Charlie Hebdo plongeaient la capitale dans le chaos, des éléments de la police ont eu le temps, non pas de protéger les citoyens et leurs biens, mais de se présenter au groupe de presse Radio Télévision Ténéré pour faire arrêter les programmes en cours sans aucune autorisation.» L’ordre venait « d’en haut », ont dit sans plus de précisions les policiers. Le groupe Dounia, pourtant dirigé depuis son rachat par le conseiller en communication du chef de l’Etat, essuie également des tirs de gaz lacrymogènes. Le dimanche, 8 journalistes qui couvrent la manifestation interdite sont pris à partie et tabassés par la police et la garde nationale. Le même jour, le groupe de presse Bonferey est envahi par la police qui investit les lieux et matraque un réalisateur et un journaliste.
Les journalistes, furieux, annoncent un boycott des activités des forces de défense et de sécurité, supposées les protéger pendant les manifestations, et une action « Ecran noir et silence radio » pour le 20 janvier à 20 heures. Une plainte est également déposée. Qu’à cela ne tienne : les autorités ont trouvé les auteurs de ce désastre. L’opposition, évidemment, qui complote à l’insurrection pour renverser le pouvoir.
Le ministre des Affaires Etrangères, Mohamed Bazoum, dont la maison a été incendiée à Gouré, près de Zinder, accuse le leader zindérois Mahamane Ousmane, réputé « marabout » d’être le propriétaire d’un bar, voire d’une maison de passes, qui serait la seule à n’avoir pas été détruite. En réalité, l’établissement est fermé depuis des mois.
Un deuil national de trois jours a été décrété lundi. Cela n’a pas empêché le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou, de faire la nique au MNSD : l’aile dissidente, animée par Albadé Abouba, vient de voir son congrès validé mardi. Histoire de faire encore un peu monter la tension.