Après l’attaque terroriste contre le musée du Bardo, vingt deus morts et des dizaines de blessés,la transition démocratique tunisienne est désormais menacée. Surtout si les menaces de l’Etat Islamique d’autres attentats venaient à se réaliser
L’attaque terroriste qui s’est produite à Tunis mercredi et qui a causé au moins vingt deux morts et des dizaines de blessés- « dont six français », comme disent les médias de façon répétitive- fragilise considérablement la transition démocratique qui a lieu depuis quatre ans en Tunisie, berceau du printemps arabe. Entre une Libye en plein chaos où se sont réfugié des centaines de militants salafistes tunisiens sur armés et l’Algérie où le pouvoir est anesthésié par une lutte sans fin pour la succession de Bouteflika, la Tunisie qui, hélas, n’est pas une ile, est exposée plus que jamais.
Au sein des forces sécuritaires, les inquiétudes étaient fortes déja durant les scrutins législatif et présidentiel de l’automne dernier. La police et l’armée tunisiennes étaient parvenues à déjouer un projet d’attentat contre l’ambassadeur américain. Le groupe terroriste savait tout sur les habitudes du diplomate à La Marsa, une charmante commune dans la banlieue nord de Tunis. Jusqu’au salon de coiffure qu’il fréquentait.
L’été dernier, les force sécuritaires avaient surpris, au peid de l’immeuble occupé par Hamma Hammami, le leader de la gauche tunisienne, un commando de tueurs dans un faux taxi qui avait pris la fuite. Depuis, l’innombrables caches d’arme ont été découvertes et il y a deux jours encore, un groupe djihadiste de neuf personnes était interpellé dans le grand Tunis.
Frontières poreuses
Depuis le début du ois de mars, nous indique notre correspondant à Tunis, Gilles Dohès, les forces de l’ordre tunisiennes ont exhumé une quantité impressionnante d’armes de guerre qui avaient été enterrées dans les environs de Ben Guerdane, à un jet de pierre de la frontière avec la Libye. L’armée tunisienne a ainsi déterré une vingtaine de RPG, quarante mines anti-char, des grenades, des détonateurs, 23 000 cartouches pour fusil d’assaut, des Kalachnikovs…
Il y a deux semaines, un convoi de camions a passé en force le passage frontalier de Ras Jedir (toujours dans les environs de Ben Guerdane). Côté tunisien, le débat a consisté à pointer le nombre exact de camions, 100 pour les uns, 80 ou 50 pour les autres, dont le ministère de la Défense, pour lequel il n’était donc pas nécessaire de s’alarmer. Mais personne n’a contesté la véracité de l’évènement. Le ministère de la Défense, encore lui et quand il ne fanfaronne pas en annonçant un taux d’arrestations record, s’est voulu rassurant et a annoncé qu’après inspection le contenu des camions s’était avéré constitué pour l’essentiel d’appareils électroménagers et de tapis. Rien que du licite et de l’inoffensif donc. Les Tunisiens peuvent respirer.
Mais dans la soirée du dimanche 9 février, une patrouille de la Garde nationale tunisienne qui était en mission de contrôle — toujours dans les parages de Ras Jedir — et qui avait pénétrée « par erreur » en territoire libyen, a été enlevée par les forces de la coalition Fajr Libya… avant d’être « libérée » aux premières heures de lundi… l’épisode n’a suscité aucun commentaire officiel. On le comprend.
Sans établir de lien de causalité entre ces différents évènements, il semble cependant manifeste que la surveillance frontalière et le respect de l’intégrité territoriale entre les deux pays souffre de dangereux aléas, pour ne pas dire davantage. A qui ces armes étaient-elles destinées ? Mystère. Mais si les propriétaires d’un tel arsenal ont pris la décision de l’enterrer du côté tunisien c’est bien parce qu’ils l’y croyaient à l’abri, ce qui en dit déjà suffisamment long sur leur perception ou leur connaissance de la douane tunisienne.
Tunis, base arrière
Mais pour la première fois, les attaques terroristes ont eu lieu au coeur de la capitale tunisienne, alors que ces dernières semaines, les affrontements entre l’armée et les groupes armés embryonnaires avaient lieu dans les montagnes proches de la frontière algérienne à Kasserine ou Sidi Bouzid. « La Tunisie des oubliés » saignée par la crise et qui n’a rien vu venir depuis la Révolution a produit des monstres. Tout comme les banlieues françaises délaissées ont fabriqué des Kouachi et des Coulibaly.
Les services de renseignement français suivent de près la situation tunisienne qui les inquiète. La circulation des hommes et des armes entre les deux pays est très intense. Les frères Kouachi avaient séjourné en Tunisie en 2011 et 2012, une période de transition compliquée où les services tunisiens, dument alertés, n’étaient pas parvenus à les suivre à la trace. Ces derniers mois, des centaines de kalachnikovs, indique-t-on de bonne source, seraient passées clandestinement en France, notamment par voie de mer.
Nostalgie des années Ben Ali
Les élites tunisiennes, qui n’ont pas voulu ou su voir la gravité de la situation dans la Tunisie majoritaire de l’intérieur, doivent cesser de se livrer à des jeux politiciens qui aujourd’hui discréditent la démocratie naissante et paralysent l’action politique. Ainsi les guerres d’influence que se livrent différent clans autour du président Beji Caïd Essebsi sont dangereuses, alors que le pays a besoin d’un pouvoir éxécutif fort. Le fait que l’enjeu de ces chicayas concerne la place qu’il faille attribuer au propre fils du chef de l’Etat au sein du mouvement Nida Tounes a quelque chose de pathétique, un peu comme la répétition du népotisme qui rêgnait, hier, sous le régime de Ben Ali.
Certes, la réussite de la classe politique à Tunis est d’être parvenu à un compromis historique avec le mouvement islamiste qui a permis d’adopter une constitution consensuelle et progressiste. L’échec des gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, islamistes ou pas, est le bilan économique et social désastreux qui alimente les révoltes à l’intérieur du pays, renforce les périls terroristes et nourrit la nostalgie des années Ben Ali, lorsque l’ordre rêgnait et que l’économie fonctionnait. Nous voici face à une transition démocratique inachevée, qui suppose un sursaut politique fort, sous peine de basculer dans des errements autoritaires.