Alors que la tension est extrêmement vive à Diffa, la région orientale du Niger, à deux pas de la zone où sévit la secte islamiste Boko Haram, les autorités nigérianes, plus cyniques que jamais, tentent de débaucher des électeurs parmi les réfugiés, à moins de deux semaines de l’élection présidentielle au Nigeria.
3A Diffa, à l’est du Niger, toute la ville est sur le qui-vive, bruissant de rumeurs d’attaques, tandis que Boko Haram est bien visible sur la rive Sud de la Komadougou et face au pont de Doutchi, qui font frontière avec le Nigeria. Personne ne sait si une attaque du Niger, qui serait inédite, figure sur l’agenda de l’imprévisible groupe armé. Mais on sait en revanche que les petits soldats de Boko Haram sont nombreux au Niger, recrutés soit pour de l’argent (une moto, un mariage), soit pour le plaisir de la guerre. Ils sont plus d’une centaine de détenus de Boko Haram à la prison de haute sécurité de Koutoukallé, à l’Ouest du pays.
La duplicité de l’armée nigériane
Quelques meurtres ont déjà été imputés à la secte, côté nigérien, représailles exercées contre des miliciens ou exécutions de commerçants ayant refusé de s’acquitter de l’impôt révolutionnaire. De même, on sait que les combattants de Boko Haram ont souvent traversé le Niger pour se rendre au Mali, avant Serval. Ces « renforcements de compétences » à la mode terroriste restent d’actualité. Tout récemment, Moktar Belmoktar aurait envoyé son équipe vidéo au Nigeria.
A Diffa, plus de 100 000 réfugiés et retournés sont installés pêle-mêle, le plus souvent dans des familles d’accueil. Les camps créés depuis quelques semaines pour faire face à un afflux croissant ne rencontrent pas un grand succès. On estime à 7 à 800 personnes seulement le nombre de réfugiés vivant à Gagamari. Dans cette foule, majoritairement d’ethnie kanourie, il y a, vraisemblablement, quelques islamistes infiltrés. Impossible de contrôler les mouvements transfrontaliers, encore nombreux, malgré les menaces.
Des soldats français déployés dans le cadre de Barkhane ont réalisé la semaine dernière une cartographie des Occidentaux et humanitaires à évacuer en cas d’urgence. Ces hommes sont supposés « huiler » la laborieuse coordination militaire entre Niger, Nigeria, Tchad et Cameroun, jusqu’ici purement théorique. Le Niger est bien conscient de son impuissance à faire face seul, militairement, à une possible offensive de la secte islamiste.
Depuis quelques jours, l’armée tchadienne bombarde Boko Haram au Nigeria, prélude, selon certains observateurs, à une intervention au sol. Le Cameroun supportait jusque-là l’essentiel de l’effort militaire dans la région. Contrainte de se réorganiser, la secte pourrait se déplacer dans d’autres villes. Le dispositif de Diffa est supposé l’empêcher de pénétrer au Niger.
L’armée nigériane a perdu tout crédit dans sa capacité à protéger les populations vivant dans cette zone proche du lac Tchad. A plusieurs reprises, des cadres de commandement nigériens ont raconté avoir alerté leurs homologues nigérians de l’imminence d’attaques contre des villages précis, sans que ces informations n’entraînent aucune action des Nigérians. De même, les Nigériens s’étonnent de voir des soldats nigérians trouver refuge de leur côté de la frontière, avec des armes encore garnies de toutes leurs cartouches. Les autorités nigériennes s’interrogent donc sur la sincérité de leur encombrant voisin à mener la guerre contre Boko Haram. Le Nigeria semble avoir bel et bien abandonné ces populations du Nord à leur triste sort.
Rapatriement d’électeurs
Mais cela n’empêche pas le gouvernement de Jonathan Goodluck de se rappeler leur existence à l’approche des élections. Depuis novembre, plusieurs délégations se sont succédé à Diffa, pour tenter de convaincre les réfugiés de rentrer au pays. Le 16 janvier, 20 bus acheminés à Diffa par le gouverneur de Borno sont venus chercher 800 réfugiés nigérians installés au camp de Gagamari pour les ramener à Maiduguri, moyennant une prime de 10 000 nairas à l’arrivée. Alors que le gouvernorat de Diffa s’était opposé dans un premier temps à l’arrivée de ces bus sur le territoire du Niger, un coup de fil de Niamey, en très haut lieu, a ouvert le passage aux bus.
A la première escale, généreusement dotés de 1000 nairas chacun, beaucoup de réfugiés ont compris que les promesses ne seraient pas tenues et ont cherché un moyen de rentrer au Niger. D’autres ont espéré jusqu’à l’arrivée à Maiduguri. Mais l’accueil promis n’était pas au rendez-vous.
Sur son blog, le HCR cite Mamadou, 40 ans, de Chétimari: « beaucoup nous expliquent qu’ils ne désirent pas retourner au Nigeria pour l’instant. Si on les ramène, ce n’est que pour des raisons politiques. Les élections s’annonçant, on veut bien les utiliser. Quand il était question de leur sécurité, personne ne leur est venu en aide. Certains sont partis mais nous savons qu’ils vont revenir dès qu’ils ne trouveront pas ce qu’on leur a promis ou se retrouvent abandonnés ou se sentent à nouveau en insécurité ».
Le 16 janvier, le HCR a exprimé publiquement des réserves sur cette opération, compte tenu de la précarité de la situation sécuritaire dans l’Etat de Borno, et rappelé toutes les parties à respecter leurs obligations. Le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, a promis de mettre un terme à ces manœuvres de rapatriement, tandis que le HCR travaille actuellement sur un projet de camp de transit, permettant aux réfugiés munis de papiers qui le souhaitent de rentrer au Nigeria par un chemin plus sûr. Mais les autorités nigérianes ne désarment pas. La semaine dernière, une quarantaine de sacs de riz à l’effigie du président candidat à sa succession sont arrivés à Diffa. Un appât sans doute insuffisant pour motiver des populations terrifiées, ayant fui leurs villages en flammes, au péril de leur vie souvent, et bien décidées à ne plus jamais regarder derrière elles.
Tous les récits concordent et dessinent un tableau sinistre, dans lequel des terroristes bourrés d’amphétamines, ivres de destruction, détruisent tout sur leur passage, tuent tous les hommes à leur portée, s’emparent des jeunes garçons et des jeunes filles, pour faire des soldats des premiers et des épouses des secondes, séquestrent les femmes plus âgées et pillent toutes les vivres.