Le peuple algérien savait, en effet, que, sur le plan strictement militaire, il ne pouvait pas gagner contre l’une des plus puissantes armées du monde, l’armée coloniale française. C’est pourquoi il a eu le réalisme de recourir à une arme plus puissante, la diplomatie, en vue d’expliquer et de convaincre de la justesse de sa lutte pour l’indépendance.
Arezki Ighemat, Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)
Les relations entre l’Algérie et la France restent déterminées, dans une grande mesure, par 132 années de colonisation française accompagnée, du côté français, par l’expropriation, l’exploitation, l’humiliation, l’injustice, la destruction culturelle ,… et, du côté algérien, par une résilience farouche du peuple qui, depuis 1830, et pendant les siècles qui précèdent, a montré que, en dépit de ses moyens rudimentaires, il a résisté à toutes les tentatives qui portaient atteinte à sa souveraineté territoriale, sa religion, sa culture, sa langue, et sa dignité humaine.
“France and Algeria are like an old couple who have been married for many years, has atremendous bust up, divorce, and then decide to make up. Emotion will never be altogether completely straightforward” , écrivait le Time magazine, lors de la visite du président Giscard d’Estaing en Algérie en 1975 en compagnie du président Boumediene
C’est ce travail soutenu d’explication de la cause ou de la « question » algérienne, comme on l’appelait alors, sur la scène internationale qui a pu compenser la faiblesse des moyens militaires de l’Algérie et qui a montré que la force militaire n’est pas toujours celle qui gagne, mais que la force de la conviction et de la diplomatie peut, dans certains cas, comme dans le cas algérien, l’emporter sur la puissance militaire.
Après l’indépendance—et pendant les deux premières décennies qui l’ont suivie (1962-1980)—l’Algérie a continué à utiliser la diplomatie et est arrivée à s’ériger en un pays respecté ayant contribué à défendre les « damnés de la Terre (notamment en offrant l’hospitalité aux mouvements de libération nationale, parmi lesquels, le mouvement palestinien, ce qui lui avait valu le titre de « Mecca of the Revolution », appellation d’Amilcar Cabral, leader du Mouvement de Libération de l’Angola)
L’Algérie a su résoudre les conflits entre Etats (libération des otages américains en Iran en 1981 grâce à la médiation algérienne ; résolution des conflits inter-Africains, etc) et contribuer à établir un Nouvel Ordre Economique International. Cependant, lorsqu’on regarde ce qui se passe la France et l’Algérie, on a l’impression que cette leçon d’histoire n’a pas été retenue. Les deux pays concernés ne sont pas prêts à se mettre autour d’une table et, comme ils l’avaient fait à Evian en 1962, pour régler leurs différends. i
Ls deux pays veulent—par ces bruits, ces virulents échanges verbaux et écrits au niveau officiel et au niveau des médias—faire oublier leurs problèmes internes. Ils veulent faire croire que, par ces ultimatums lancés d’un côté et de l’autre, ils vont, au final, réduire l’intensité et l’âpreté des problèmes intérieurs de chacun des deux pays. Cela est une illusion. Voyons pourquoi!
L’immigré, voici l’ennemi!
L’attitude française et sa posture depuis quelques mois vis-à-vis de l’Algérie est, à notre avis, largement déterminée par les problèmes intérieurs que le Pouvoir français rencontre ces dernières années. L’un de ces problèmes est la montée vertigineuse de l’extrême droite et le programme politique qu’elle envisage de mettre en œuvre si elle venait à prendre le pouvoir en 2027 : réduction, voire arrêt de l’immigration d’origine maghrébine, en particulier algérienne, par le biais de la réduction (voire la suppression) des visas d’entrée et de l’encouragement du retour des émigrés déjà installés en France ; révision des accords de coopération algéro-français, etc.
Ce sont ces mesures que l’extrême droite entend appliquer si elle remporte les élections municipales de 2026 (soit dans un an) et surtout les élections présidentielles de 2027. Déjà aux élections européennes de 2024, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement National (anciennement Front National) avait remporté 31,4% des voix (soit environ un tiers du total), ce qui a poussé le Président Macron à dissoudre l’Assemblée Nationale française.
La deuxième raison qui explique les réactions du gouvernement français aux différends actuels avec son ancienne colonie est l’expansion de l’islamophobie et du racisme anti-musulman. Cette haine du Maghrébin, et surtout de l’Algérien, ne date pas d’aujourd’hui, mais elle s’est accentuée de façon exponentielle ces dernières années, et plus encore depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023
Le malaise algérien
L’Algérie, de son côté, a aussi vu ses problèmes intérieurs s’intensifier au cours de ces deux dernières décennies, notamment depuis le hirak de 2019 qui a secoué le système algérien et l’a acculé à adopter une politique plus musclée à l’égard de la société civile. Le pouvoir d’achat des citoyens se détériore en raison de l’inflation intérieure; les biens de première nécessité sont devenus des biens de luxe; les entreprises ne sont maintenues en vie grâce à la rente pétroliè; l’injustice et l’inégalité sont croissantes entre les citoyens, encouragée par le clientélisme et le clanisme.
Reste le conflit avec le Maroc qui devient chronique et qui porte, entre autres—mais pas seulement—sur les positions divergentes du Maroc et de l’Algérie sur le Sahara Occidental. L’effet le plus notablet de ce conflit est la baisse, voire l’absence totale de relations économiques et diplomatiques entre les deux pays, mais il y a aussi les problèmes humains entre les deux peuples liés par l’histoire, la sociologie, la culture, les langues, la religion, etc.
Le Pouvoir algérien utilise tous les stratagèmes possibles pour effacer cette image qui lui colle sur le dos en invoquant notamment la fameuse « main étrangère » (yed al kharijya). Ce qui n’est pas tout à fait faux. Reste que les échecs du régime sont toujours là et ne feront que s’accentuer si le Pouvoir algérien pêche par manque de lucidité.
« Ma teqderch tgheti chems bel gherbal » (« On ne peut pas cacher le soleil avec un tamis »).
Le seul moyen durable de résoudre les conflits entre Etats reste la diplomatie—la ‘soft power’ comme on aime l’appeler parfois—et la coopération dans le respect mutuel des intérêts et de la souveraineté de chacun. C’est le sens véhiculé par la première épigraphe placée tout en haut de cet article, citée par l’historien britannique Alistair Horne dans son fameux ouvrage « A Savage War for Peace, Algeria 1954-1962 », que je traduis : « La France et l’Algérie sont comme un vieux couple marié depuis plusieurs années, qui a connu des batailles importantes, a divorcé, et a décidé de renouer leurs relations à nouveau. L’émotion ne sera jamais totalement absente dans leurs relations ; et cela ne sera jamais totalement facile ».
La tâche n’est pas si aisée parce que le sang a coulé. Le célèbre écrivain algérien Mouloud Feraoun dans son Journal 1955-1962: « Un pont métallique, un pont extrêmement glacial, a été établi au cours d’un siècle d’histoire franco-algérienne. Ce pont est similaire au Sirat [le pont, qui, dans l’eschatologie musulmane, sépare et relie l’enfer et le paradis, et que les vertueux traversent sans difficultés pour rejoindre le paradis tandis que les non vertueux tombent en travers et n’arrivent donc pas au paradis] qui conduit à l’endroit de repos pour les élus [de Dieu] ; ce pont est aussi fragile qu’une corde, aussi aiguisé qu’une épée et il est graduellement tacheté du sang noir des pécheurs. Une lame de feu se tient en face de ce siècle ; elle est teintée du sang des hommes ; celui des combattants et des victimes. In fine, ce pont formera une ligne sanglante de punitions à travers une page inutile ».