Notre portrait du président de l’Autorité Palestinienne (AP), Mahmoud Abbas

On aura eu de tout, en partage, depuis le 7 octobre : l’horreur, le dégoût, la colère, plus un double complexe de culpabilité à l’égard des Palestiniens comme des Israéliens. Mais on n’avait pas encore éprouvé de honte, en tout cas pas de pareille à celle que nous fait subir le président de l’Autorité Palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, connu également sous le surnom d’Abou Mazen. Ce dirigeant palestinien inamovible paraît trahir la cause qu’il devrait pourtant servir !

Xavier Houzel

Yasser Arafat et Mahmoud Abbas

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D’abord, nul ne comprend l’insistance du personnage à conserver les rênes à la fois de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dont il a été réélu président en 2018, et celles de l’AP, qu’il dirige depuis 2005 ; il est déjà entré dans sa quatre-vingt-dixième année ! Et voilà qu’il se comporte ensuite en monarque, en désignant soudain par décret présidentiel son successeur[i] à la tête de l’AP ( mais en cas de vacance seulement).

Abou Mazen a participé avec Yasser Arafat (Abou Ammar) à la création du parti Fatah, la principale composante de l’OLP, dont il a pris la présidence en 2003 – il avait jusqu’alors rempli, pendant près de trois quarts de siècle la tâche ingrate mais cruciale de « collecteur de fonds ».

Ni terroriste, ni guerrier

Poignée de main historique lors de la signature des accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993

À tout seigneur, tout honneur: il nous faut en revanche verser à son crédit le fait qu’il n’ait rien d’un terroriste ni même d’un guerrier, profil qui lui aura permis de jouer un premier rôle dans la négociation des Accords d’Oslo, qu’il signe en 1993  tant que membre du Comité exécutif palestinien. Il publiera « Le Chemin d’Oslo ». Le mérite qu’il s’approprie dans cet ouvrage explique pourquoi il est nommé secrétaire général de l’OLP, en 1996.

Encore fallait-il, après « Oslo », transformer l’essai par des accords définitifs. Les Palestiniens suscitent un tollé en réclamant, au sommet de Camp David, en juillet 2000, le respect du droit au retour des réfugiés, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies.  Le refus israélien entraîne un regain de violence. Mais Abbas est opposé à toute violence, ce qu’il affiche en se désolidarisant ouvertement d’Arafat.

La posture qu’il adopte alors fait de lui l’interlocuteur idéal et durable des Israéliens et des Américains. Les négociations qui devaient conduire à la création d’un État Palestinien tournent court. L’Intifada reprend de plus belle. Dans un dernier sursaut, en janvier 2001, lors de nouveaux pourparlers à Taba, en Égypte, le gouvernement israélien de Barak fait une importante concession : « …le désir de retour devra être mis en œuvre  d’une manière compatible avec l’existence de l’État d’Israël, patrie du peuple juif, et la création de l’État de Palestine. » Mais survient l’électrochoc du 11 septembre 2001, dans lequel les Fedayin palestiniens n’ont pourtant rien à voir ! Les Américains sont survoltés et terriblement inquiets dans une ambiance internationale surchauffée ; Abbas n’est plus l’homme de la situation, il manque d’épaisseur !

La main tendue de Sharon à Abbas

Le général Ariel Sharon succède au premier ministre travailliste Ehud Barak et décide, de conserve avec Arafat – avec lequel il communique via Tsipi Livni et Bassam Abou Sharif – de poursuivre secrètement les travaux de Taba, mais en les délocalisant en France, où l’ancien président Giscard d’Estaing accepte d’en devenir en quelque sorte le modérateur[ii]. Abbas, qui avait été le premier  artisan d’un « canal secret » direct entre Israéliens et Palestiniens, est écarté ce coup-là, ce qui a pour effet de le rendre furieux, et les Américains plus encore, quand ils l’apprennent. L’épisode ne durera pas longtemps : Washington s’en plaint auprès de la présidence française que Chirac vient d’emporter : Giscard d’Estaing n’aura plus le temps de s’occuper d’Affaires israélo-palestiniennes, car on lui demande de rédiger sans désemparer la « Constitution » de l’Europe de demain et il doit s’y atteler. D’autres réunions se tiendront encore mais à Istanbul, et puis l’effort s’estompera – la tentative avortera.

 Entre 2002 et 2004, c’est l’anarchie. Arafat est pratiquement assiégé par l’armée israélienne à Ramallah. Mahmoud Abbas, qui est devenu Premier ministre, le 19 mars 2003, avec des pouvoirs étendus concédés sous la pression des États-Unis, qui exigent un négociateur plus fréquentable que n’est un Yasser Arafat qualifié de terroriste, se montre pourtant incapable de relancer le projet national palestinien.

À la mort d’Arafat, en novembre 2004, le même Abbas, qui est à la manœuvre, remporte l’élection présidentielle du 9 janvier 2005. Le 8 février suivant, il rencontre, ensemble, le Premier ministre Sharon, le président Égyptien Hosni Moubarak et le roi Abdallah II. Les négociations visent à une stabilisation de la situation ; elles marqueront la fin de la seconde intifada. Mais c’est plutôt un enlisement qu’autre chose.

Deux ans plus tard, Sharon sera victime d’attaques cérébrales et plongé dans le coma.

Le surgissement du Hamas

Le mouvement du Hamas comble le vide créé par la disparition d’Arafat ! Le Hamas se définit comme un parti de résistance fondé pour libérer la Palestine de l’occupation israélienne,, quitte à ce que ce soit par la force – ce à quoi Abbas s’oppose ostensiblement, ce qui fait que les deux partis ne peuvent pas s’entendre même cosmétiquement ; le groupe est constitué d’une branche politique et d’une branche armée. En 2006, ce parti va gagner les élections législatives, victoire que le Fatah va farouchement lui contester. Il s’ensuivra un bref conflit inter partes, suivi de l’éviction de l’Autorité nationale palestinienne de l’enclave de Gaza et, en réalité, de la dépossession personnelle de Mahmoud Abbas de ses prérogatives, qu’il croyait absolues par rapport au Territoire.

Ainsi, et pendant plus de dix ans, la situation va stagner et les problèmes vont empirer –  les colons coloniseront, les esprits se radicaliseront, les blocus se multiplieront, les tunnels se creuseront et les armes s’empileront. À Damas, en 2008, le chef (politique) du Hamas, Khaled Mechaal, donnera pourtant une interview à Renaud Girard du Figaro, au cours de laquelle il reconnaît l’État d’Israël – du bout des lèvres mais il le dit – ce qui devrait naturellement rester subordonné à la réciprocité et qui sous-entend « une reprise immédiate des négociations ». Mais personne n’en veut. Entre temps, Abbas s’est installé, occupé à continuer de collecter ses fonds auprès du Qatar sous l’œil goguenard cette fois-ci de Benjamin Netanyahou. Et cela continue depuis lors.

Ainsi, le 3 janvier 2009, les Israéliens enverront des troupes à Gaza dans le cadre de l’opération « Plomb durci » d’une deuxième guerre de Gaza, qui fait 1300 morts. Le blocus de Gaza est renforcé : les verrous qui seront installés finiront par sauter le 7 octobre 2023 – tellement la pression est devenue forte !

Et ce fut, ainsi de suite, entre guerre et paix et entre chiens et chats sans le moindre souci de construire un avenir commun. Le 6 décembre 2017, le président des États-Unis, Donald Trump, reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël ; il donne instruction d’y déplacer l’ambassade américaine.

Le séisme du 7 octobre

Quarante-deux Français et Franco-Israéliens ont été tués lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre

Jusqu’à un jour de février 2020, lorsque Mahmoud Abbas paraît vouloir faire un premier pas vers le Hamas en dépêchant une délégation à Gaza pour tenter une  réconciliation. En janvier 2021, il affirme même être parvenu à un accord avec le Hamas pour l’organisation d’élections présidentielles et parlementaires. C’était à n’y pas croire, avec un tel degré de faux-semblants, mais bon…

Quand, à la stupeur du monde entier, des milliers d’extrémistes déferleront par-dessus les clôtures, le 7 octobre 2023, certains en attendent l’explosion des dissentiments internes entre Palestiniens ; d’autres, en Cisjordanie, se diront que les attentats du 7 octobre pourraient les débarrasser du Hamas au prix de quelques chiquenaudes ; tel maître-espion israélien pense que ce sera utile pour justifier les déplacements de population, mais pas encore dans les proportions qu’on va constater. Du monde entier pourtant viendront les appels à la retenue, mais en vain!

L’invective de Caton l’ancien appliquée à Gaza était dans toutes les bouches, i.e. : Carthago delenda est, ceterum censeo Carthaginem esse delendam (« La Palestine doit être anéantie, de plus, je conseille de détruire Gaza »). Désunis, les Palestiniens ne se sortiront jamais de l’impasse dans laquelle ils se sont enfermés, à moins de se réconcilier pour pouvoir enfin tendre d’une main ferme et unanime à Israël le rameau de la Paix. 

Hamas/Fatah, l’impossible réconciliation 

Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh (3e à droite), et le haut fonctionnaire Khaled Meshaal (2e à droite), rencontrent Nasser al-Qudwa (2e à gauche) et Samir al-Mashrawi (3e à gauche), du Fatah, au Qatar, le 22 novembre 2023

Les invitations vont donc fuser pour tenter de réconcilier au moins le Hamas et le Fatah.

De Moscou d’abord :  la Russie invite toutes les factions palestiniennes (douze d’entre elles répondent à l’appel) à se réunir à Moscou, le 26 février 2024.

De Pékin, ensuite : la Chine accueille pour le week-end du 20 juillet de hauts responsables des deux principaux mouvements palestiniens, le Fatah et le Hamas. Mahmoud Abbas est invité mais il ne vient pas. N revanche, il se précipite à Ankara, mais seul : « J’ai décidé, dit-il, de me rendre à Gaza avec d’autres dirigeants frères palestiniens[iii] », déclare-t-il le 15 août devant les députés turcs qui l’acclament debout ! Bien sûr, il ne s’y rendra pas !

Du Caire, enfin : le Fatah et le Hamas, en plus de 12 autres organisations palestiniennes, qui avaient déjà signé, le 23 juillet 2024, sous l’égide de la Chine, un accord « d’unité nationale » dans le but de mettre fin à la division entre les deux principales factions[iv], réitèrent solennellement leurs engagements, le 9 octobre 2024 ! Un Mahmoud Abbas brille par son absence cependant !

Le président de l’Autorité Palestinienne n’a organisé sa succession à la dernière minute que dans la perspective d’une « vacance » du pouvoir, alors que c’est  plutôt « en cas de carence » que celle-ci mériterait d’être déclenchée dans la plus grande urgence ! Pis encore, la bonne exécution des accords de cessez-le-feu en cours d’exécution est tributaire d’aménagements très précis concernant au moins leur dernière phase, s’agissant de l’administration future de Gaza. 

Cee n’est qu’à la seule et unique condition d’un accord tripartite entre l’Autorité Palestinienne (rénovée), l’ensemble des factions palestiniennes (à commencer par le Hamas) et Israël que les conditions en seront satisfaites. Sinon les hostilités pourraient redémarrer illico ; et c’est très probablement ce qui va arriver à la plus grande satisfaction des faucons tant américains qu’Israéliens.

Une telle situation de désunion dure depuis 19 ans, faute d’élections entre temps. Et c’est là que se situe le nœud Gordien que l’on voudrait trancher. Ne pas le faire est une faute ; mais il faudrait pour y parvenir « un jugement de Salomon ». Il y va de la Paix dans toute la Région comme il en va de la solution à deux États, de la reconstruction de Gaza et bientôt de l’honneur de l’État Hébreu, dont les excès deviennent de plus en plus préoccupants.

Mahmoud Abbas, un quasi traitre

Mahmoud Abbas est un traître à sa Patrie. Il est déjà mis en cause par de graves accusations de malversations massives en même temps que ses deux fils. Il est surtout la  honte de ses frères Palestiniens et celle de tous les gens de bien, Juifs ou Arabes ou ni l’un ni l’autre. J’hésiterai pourtant à le condamner trop vite, parce qu’il ne peut être que manipulé contre sa volonté ou bien être en état de démence et alors être irresponsable de ses actes.

Tout le monde sait quelle est la dernière proposition du président Trump concernant l’affaire de Gaza, détruite à 75%, et du trop-plein de Palestiniens dans cette enclave et ailleurs, i.e. : les déverser en Jordanie et en Égypte ! On sait également qu’il entend supprimer les aides et les prêts américains à l’étranger, quoique à l’exception notable de l’Égypte et d’Israël.

La Jordanie, qui a le plus grand besoin des programmes de l’USAID, sera durement « touchée par la mesure[v]». Si aucune solution n’était trouvée pour gérer Gaza dans un arrangement acceptable pour la communauté internationale (à commencer par Israël), Trump pourrait essayer de négocier l’aide à la Jordanie en échange de l’hébergement des Palestiniens de Gaza ; et ce serait catastrophique !

Donald Trump a également déclaré qu’il voulait relocaliser certains Palestiniens de Gaza en Égypte. Il lui suffirait de menacer Le Caire d’entreprendre les travaux du Canal Ben Gourion voire de soustraire les eaux territoriales de Gaza de toute emprise permettant le développement et le transport harmonieux du Gaz égyptien en Méditerranée Orientale pour que le président Sissi se mette à réfléchir aux possibilités du Sinaï d’accueillir des habitants supplémentaires.

En quête d’un compromis

En plus du sentiment de honte, qui est diffus et qui est consubstantiel à la personne de Mahmoud Abbas, il y finalement un énorme étonnement ! Avant l’actuel cessez-le-feu, Mahmoud Abbas a refusé plusieurs solutions pour gérer la bande de Gaza qui auraient réduit l’emprise exclusive du Hamas sur Gaza.

Les dirigeants du Fatah avaient entamé des pourparlers avec le Hamas, lesquels avaient abouti, d’une part, à un accord  sur la gestion de l’enclave par un comité administratif social avec le consentement des factions mais sans leur implication active et leur leadership politique et, d’autre part, à l’architecture constitutionnelle d’un État palestinien géré par un gouvernement uni et technocratique. Mais Abbas avait opposé son veto aux deux options, ce qui a conduit à un transfert de facto de la bande de Gaza au Hamas par l’armée israélienne. Un compromis pour faire progresser les négociations à venir en faveur de l’État palestinien sera difficile à trouver à cause d’un tel défaut d’unité dans le camp palestinien.

Et l’on finit par se demander à qui ce crime profite.

 

(1er février 2025)

 

XH

[i] https://www.lefigaro.fr/international/mahmoud-abbas-nomme-un-successeur-a-la-tete-de-l-autorite-palestinienne-20241129

[ii] Plusieurs sessions se tiendront rue de Bénouville à Paris, au domicile de l’ancien président de la fin de 2001 au milieu de 2002 ; Majallie Whbee représentant Sharon et Maher El-Kurd parlant pour Arafat. Les Américains interviennent auprès de la présidence française que Chirac a emporté en mai : Valéry Giscard d’Estaing n’aura plus le temps de s’occuper des Affaires israélo-palestiniennes, car on lui a demandé de rédiger sans désemparer la constitution de l’Europe de demain et i doit s’y atteler. D’autres réunions se tiendront encore mais à Istanbul, puis l’effort s’estompera. Sharon lui-même accentuera la pression d’Israël sur l’Autorité palestinienne en contraignant Arafat à ne pas quitter Ramallah (jusqu’à la brève maladie qui lui a coûté la mort en 2004, à Clamart.)

[iii] « J’irai. (ajoute-t-il) Même si cela doit me coûter la vie. Notre vie ne vaut pas plus que celle d’un enfant. La victoire ou le martyre », martèle-t-il, après dix-sept ans d’absence et alors que nul n’a pu pénétrer dans le territoire palestinien isolé depuis le début de la guerre, hormis les travailleurs humanitaires… « Gaza nous appartient et nous n’accepterons aucune proposition visant à la diviser », avant d préciser qu’il entend  se rendre ensuite « à Jérusalem, notre capitale éternelle »

[iv] Ainsi que la formation d’un « gouvernement intérimaire de réconciliation nationale » qui « exercera son pouvoir sur l’ensemble des territoires palestiniens unifiés, à savoir la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. »

[v] L’administration Biden avait accepté en décembre de renouveler l’accord annuel de subvention américaine de 845,1 millions de dollars au budget général du Royaume. La Jordanie bénéficie également d’un accord supplémentaire de 362 millions de dollars dans le cadre de la stratégie 2020-2025 de l’USAID, qui finance des projets de développement économique, de gouvernance et de services publics essentiels. La Jordanie ne peut pas se permettre une réduction supplémentaire de l’aide. Le pays accueille déjà plus de 621 000 réfugiés de Syrie, en plus des anciens réfugiés d’Irak. L’année dernière, le Programme alimentaire mondial a réduit l’aide de 40 % aux réfugiés en Jordanie, y compris l’aide suspendue pour environ 100 000 réfugiés et une réduction de 30 % de ses niveaux d’aide pour les 310 000 restants. L’économie jordanienne souffre déjà de la baisse des prix des engrais et de l’impact négatif du conflit au Moyen-Orient sur les revenus du tourisme.

Le pays est également confronté à une série de défis en matière de sécurité et de risques de déstabilisation, notamment liés à ses frontières et à ses liens démographiques avec la Syrie et la Cisjordanie palestinienne.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)