A travers des clips, des graffitis et de précieux documents d’archives, l’Institut du Monde arabe rend hommage au « Hip-Hop ». De ses origines new yorkaises jusqu’aux capitales arabes qui ont porté les printemps révolutionnaires
Pour la première fois en France, la culture Hip-Hop s’expose à l’Institut du monde arabe : en une quarantaine d’année, le mouvement, né dans le Bronx dans les années 1970, tout d’abord marginal et underground, a peu à peu conquis les continents et gagné ses lettres de noblesse.
L’IMA ouvre donc ses portes à des artistes emblématiques qui, aux États-Unis, en France et dans le monde arabe, incarnent ce phénomène planétaire, sous de multiples formes : la musique, l’écriture, le graffiti, le tag, la danse, la mode, la photographie ou encore le cinéma. Le « son » n’a pas été oublié – l’exposition est mise en musique, avec une bande originale concoctée spécialement pour l’occasion -, au même titre que le graff. Le public dispose d’un mur pour bomber et tagguer librement… Près d’une centaine d’œuvres d’artistes américains, français et arabes sont proposées mise en perspective grâce à des documents d’archives et des vidéos saisissantes, dans une scénographie unique, très ludique et interactive, le tout sur plus de 1000 m2.
Révolte et création
Cette expo est donc une forme consécration : elle reconnaît au mouvement Hip Hop un véritable statut de médium artistique, à portée sociale et politique sans pour autant ignorer sa dimension subversive. C’est le paradoxe de l’entreprise menée par l’IMA : circonscrire en un lieu officiel, aussi prestigieux soit-il, un mouvement synonyme de liberté, de contestation, de subversion. « Nous avons fait attention de ne pas institutionnaliser le hip-hop, prévient Aurélie Clemente-Ruiz, l’une des commissaires de l’exposition. Nous nous sommes vraiment attachés à offrir une vision vivante de ce courant. »
Un défi qu’a dû relever le rappeur Akhenaton, directeur artistique de l’exposition : présenter le Hip Hop à la fois comme un élan de révolte ET un élan créateur, et rappeler qu’avant d’être un moyen d’intégration sociale il fut un moyen d’expression marginal, contestataire, subversif.
« Le sampling permanent »
Akhenaton précise que « Les a priori sur le hip-hop sont malheureusement toujours d’actualité, c’est pourquoi il est important de dire tout ce qu’il a apporté à la culture d’aujourd’hui » . Au départ, le rap était le reflet d’une ultra-minorité « ce qui est marrant c’est de voir comment l’ultra-minorité des années 80 est devenue l’ultra-majorité dans les années 2000. »
Le Hip Hop s’est imposé car il était accessible car ne nécessitant pas une formation musicale et incorporant toutes les formes de cultures existantes. Akhenaton le revendique : « le Hip Hop c’est une discipline de sampling permanent, ce qui nous entoure on l’observe, on le voit, on l’incorpore. Ça peut être des sons, des tenues, des jeux de lumières et d’autres musiques. Il est exactement comme une éponge, il absorbe tout, le déforme, le réinvente, se l’approprie ».
Le rappeur Akhenaton, directeur artistique de l’exposition
Et pour illustrer cette idée, rien ne vaut la Bande démo géniale sur les différentes techniques inventées par les DJ… projetée dans l’une des salles et devant laquelle des grappes d’adolescent s’extasient… avant de bidouiller sur les platines mise à disposition des visiteurs.
Sous la bande démo de DJ Viktor, les jeunes s’entraînent.
Ainsi, à sa manière, avec ses propres codes, le Hip-Hop s’est inscrit dans la grande histoire d’un style devenu universel. L’ambition de cette exposition est de retracer l’histoire de cette culture, de sa genèse aux États-Unis dans les années 1970, en passant par sa ré-appropriation en France dans les années 1980, à son développement dans les rues arabes des printemps révolutionnaires grâce aux résaux sociaux.
Le Bronx à la source
Dès l’entrée de l’expo, le spectacle s’impose : une imposante collection de radiocassettes typiques des années 1980 (les fameux « ghetto-blasters ») repeintes par d’illustres grapheurs vient rappeler les origines américaines du hip-hop.
Les ghetto-blasters, radiocassettes typiques des années 70-80
Pour comprendre d’où vient le hip Hop il faut remonter jusqu’à son berceau : le bronx, ce quartier défavorisé de New York et sa communauté afro-américaine qui, au tournant des années 1970 et 1980, s’appropria les modes d’expression les plus accessibles : la musique, la danse, le graffiti. « Lors de ce qu’on appelait les ‘block party’, les gens installaient des platines dans la rue et y faisaient la fête. Parmi ces pionniers du son hip-hop figurent des noms aujourd’hui érigés en totem : Afrika Bambaataa, apôtre de la Zulu Nation, ou encore Grandmaster Flash, le père du « scratch ». « Leurs mots d’ordre étaient alors ‘paix, amour et unité’, rappelle Aurélie Clemente-Ruiz, co-organisatrice de l’expo. Les 10 premières années furent plutôt festives. Ce n’est que plus tard que le mouvement est devenu engagé, notamment avec le rap. »
La France et le rap « trop violent »
Dans les années 1990, c’est au tour de la France, et plus particulièrement Marseille et la région parisienne, de contracter le virus. Selon le même processus, les débuts sont récréatifs (l’occasion de voir les photos de premières soirées hip-hop du club parisien Le Globo) avant de se politiser. « Il y a alors dans les périphéries urbaines un contexte social qui favorise un discours plus revendicatif », commente la commissaire. Portés par l’émergence des radios libres, les groupes de rap essaiment au-delà des banlieues, envahissent les bacs des disquaires et commencent à squatter les émissions de télévision. Ils s’appellent Assassin, La Cliqua, NTM, La Rumeur… Dans le paysage musical hexagonal, la rudesse de leurs propos détonne et fait les choux gras des titres de la presse nationale, tel « Le Monde » qui, à l’époque, se demande si le rap n’est pas « trop violent » : les articles sont exposés, qui témoignent. Mais aussi, et c’est très émouvant, les brouillons des textes griffonnés par les jeunes rappeurs sur des pages arrrachées à des cahiers d’écoliers, et qui donneront les tubes que l’on connaît…
Vecteur des printemps arabes
De l’autre côté de la Méditerranée, il faudra cependant plus de temps pour que le hip-hop sorte de la clandestinité. « Au Maghreb, on voit, dès les années 1990, l’apparition de rappeurs, de grapheurs et de danseurs soumis aux pratiques amateurs qui font l’essence du hip-hop, commente Aurélie Clemente-Ruiz. Mais le mouvement restera longtemps du domaine de l’underground. C’est à l’aube des printemps arabes que la donne change. À partir des années 2010, des rappeurs ont commencé à montrer leur visage. »
L’avènement d’Internet est déterminant. Les artistes arabes, davantage connectés, se mettent à interagir. Un rappeur du Caire a pu alors travailler avec un musicien de Beyrouth ou de la diaspora arabe. La musique circule de plus en plus. « C’est l’une des caractéristiques du hip-hop que d’abolir les frontières, constate l’organisatrice de l’exposition. Peu importe d’où cela vient, du moment que c’est bon, ça voyage… » Au risque de froisser les pouvoirs arabes en place qui voient d’un mauvais œil la propagation de messages contestataires. Idem pour le graffiti, que l’héritage de l’art calligraphique a permis d’imposer quasi naturellement dans les rues arabes. Pour l’exposition, plusieurs murs de l’IMA accueillent des œuvres spécialement commandées à des grapheurs réputés pour leurs fresques mêlant slogans politiques et travail sur l’écriture manuscrite (le Libanais Yazan Halwani, le Tunisien Meen-one, etc.). « Même si, en quelque sorte, nous faisons entrer leur travail au musée, ces artistes n’ont pas rechigné à répondre présent. Ils ont cette fierté d’appartenir à une communauté. C’est, pour eux, une forme de reconnaissance et une manière dire ‘nous ne sommes pas que des délinquants’. »
Hip-Hop, du Bronk aux rues arabes. Une exposition-événement à l’Institut du monde arabe, sous la direction artistique du rappeur Akhenaton.
A l’Institut du Monde Arabe (IMA) jusqu’au 26 juillet. Autour de l’exposition : Divers concerts, conférences, des rencontres, dédicaces et ateliers accompagne l’événement.