IMA, le libanais Zad Moultaka, la poésie contre la barbarie des armes

L’Institut du Monde Arabe accueille la spectaculaire installation musicale et visuelle, présentée pour la première fois en France après son retentissant succès à la Biennale de Venise 2017 où l’artiste libanais, Zad Moultaka,représentait son pays.

Une chronique de Sandra Joxe

 Institut du Monde Arabe, 1, rue des Fossés St Bernard Paris 75005, jusqu’au 6 avril 2024

Né au Liban en 1967 dans le milieu du théâtre contemporain arabe mais français d’adoption Zad Moultaka conjugue les talents de pianiste, compositeur et plasticien

Zad Moultaka  affectionne tout particulièrement les oxymores et les atmosphères contrastées en général : c’est en effet ce qui caractérise la spectaculaire installation «  Samas crier la paix » qui marie avec audace l’ultime  symbole de la violence  technologique humaine – un réacteur de bombardier installé au beau milieu de la scène – et la douceur, la poésie des mélopées  comme venues ou revenues des temps immémoriaux. Chacun de ses projets artistiques jette un pont entre ses deux cultures, décloisonnant les genres en intégrant les données fondamentales de l’écriture contemporaine occidentale ( il travaille avec LIRCAM) aux traditions de la musique arabe à laquelle il demeure très attaché.

Organisée en trois temps, cette partition visuelle et sonore de 12 minutes gagne à être savourée plusieurs fois d’affilé : une, deux, trois ou davantage, puisqu’elle plonge le spectateur dans un état quasi hypnotique.

Tel un opéra où les chanteurs seraient remplacés par 32 haut-parleurs qui diffusent 32 voix surgies d’outre-tombe, réparties dans l’espace scénique et faisant intégralement partie du décor, SAMAS offre une plongée dans l’histoire humaine, ses éternels déchirements et ses éternelles renaissances.

Zad  Moultaka revendique haut et fort son engagement sur la scène  contemporaine – politique comme artistique – en embarquant les spectateurs dans un voyage à travers les siècles… « Au sein de notre civilisation, il est impératif et urgent de questionner le sacré dans le cœur même de l’homme »

CYCLES DE VIE ET DESTRUCTION

ŠamaŠ trouve son origine dans le Code d’Hammurabi, considéré comme le premier code de lois, gravé sur une haute stèle de basalte noir il y a près de 4 000 ans en Mésopotamie. ŠamaŠ, est le dieu du soleil et de la justice des Babyloniens, représenté sur cette célèbre stèle, et comme le soleil, il est source de vie et de destruction.

L’artiste a décidé de le représenter symboliquement par un monumental moteur de bombardier – un Rolls Royce Avon Mk 209 de 1950 très impressionnant – sorte d’un obélisque morbide, dont les terribles détonations viennent, de temps à autre, ébranler l’espace des douces résonances vocales autant que la conscience des spectateurs. 

Avec la collaboration des informaticiens de  l’Ircam, Moultaka a donc commencé par échantillonner le bruit inquiétant des déflagrations d’un réacteur – arme de destruction massive – et transfiguré ses vrombissements en une bande fréquence incantatoire, sorte de voix céleste qui plane au-dessus de nos têtes, tout à la fois menace et sortilège. 

Peu à peu la lumière vient caresser le mur du fond, travaillé à la feuille d’or, qui se révèle être composé d’une sorte de mosaïque géante – réincarnation du Veau d’or – avec des milliers de pièces libanaises parmi lesquelles ces petits sous troués – comme criblés de balles – qui furent la première monnaie du Liban… désormais obsolètes.

Avec cette relique crépusculaire psalmodiée, en entremêlant avec brio la violence et la douceur, Moultaka s’insurge en musique et en beauté contre la malédiction des guerres et la propension  de l’humanité à l’autodestruction comme à l’appât du gain.

UNE MUSIQUE INVENTIVELa composition musicale qui accompagne le dispositif scénique emprunte son texte à l’hymne au dieu sumérien, puisant dans un lexique akkadien des mots hachés, des phrases entrecoupées et mutilées comme par la déflagration d’un missile tombé d’un ciel ennemi.

Une étrange mélodie qui, dans cette sorte de chapelle improvisée au cœur de l’IMA, fait parfois songer à un chant grégorien et invite au recueillement.

A l’heure où les tragédies n’en finissent pas de s’abattre sur le Moyen-Orient, ŠamaŠ fait résonner la violence pour mieux la refuser.

L’artiste propose une partition chorale sur une langue inventée inspirée des sonorités de la langue summérienne et les 32 chanteurs l’interprète avec talent. L’auditeur spectateur est littéralement envouté mais aussi déstabilisé, parfois agressé par ce curieux mélanger de sang, de cris, de larmes et d’une douceur infinie, de plaintes, de murmures étranges qui se métamoprphose en caresses sonores.

Un mur de pièces d’or caressé de lumière

VOIX DE L’ENFANT, VOIE DE L’ESPOIR

Pur élan de révolte et de désespoir mais aussi d’espoir, et de tendresse, l’œuvre s’achève sur un poème récité par un enfant :  une prière à la clémence des dieux et à la rédemption  des hommes. Un appel à réinventer le monde et à stopper ces cycles guerriers.

À la fois fataliste et optimiste, Motalka constate la fatalité mais nous invite à la refuser :  ambitieux programme.

 

Avec « Samas » Moutalka crie en effet son désir de paix et son refus du drame auquel nous assistons « dans cette région solaire du monde qu’est le Moyen Orient, berceau des civilisations orientales comme occidentales (…) le danger guette les hommes où qu’ils soient car arrachés au sol et décrochés du ciel, ils deviennent sourds et aveugles à l’essence des choses. Nous programmons notre propre effacement, précipitant avec nous par angoisse, l’effritement du monde… »

 

Les récents événements qui secouent le proche orient rendent cette œuvre encore plus poignante et nécessaire, malgré les préoccupations de son auteur qui déclarait il y a quelques semaines, à la veille de l’ouverture au public parisien de son installation sonore : « Je ne suis pas sûr que j’aurai créé cette œuvre aujourd’hui, vu la charge qu’elle porte ».  

Ce dont on est surs, c’est qu’il faut aller se recueillir au premier étage de l’Institut du Monde Arabe- transformé, pour l’occasion, en véritable chapelle ardente. 

        

 

 

 

Sandra JOXE