Bras de fer au Mali autour de la fermeture d’une télévision privée

Le gouvernement malien semble en passe de reculer devant la spectaculaire mobilisation des médias de ce pays contre la suspension de la télévision privée Joliba, à la demande, chose inédite, des autorités du Burkina Faso.

Joliba TV, connue pour son indépendance éditoriale, a été sanctionnée suite à la plainte, le 12 novembre dernier, du Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso, deux jours après un débat télévisé à l’occasion duquel l’activiste malien Issa Kaou N’Djim avait douté de la réalité de récentes tentatives de déstabilisation du pays voisin.  

Ces déclarations jugées « gravissimes » par la junte burkinabè ont envoyé leur auteur en prison dès le lendemain pour « offense commise publiquement envers un chef d’État étranger ».

La procédure administrative lancée parallèlement a, elle, abouti au retrait de la licence de Joliba TV, devenu effectif ce 26 novembre. Mais les média maliens, jaloux d’une liberté durement acquise par la lutte à l’orée des années 1990, ne se sont pas laissé faire.

Toutes les organisations socioprofessionnelles se sont mobilisées autour de la Maison de la Presse, qui a mené lundi une première tentative de négociation auprès de la HAC, demandant l’indulgence de l’instance de régulation. Les médias menacent, au cas où ces discussions n’aboutiraient pas, de rediffuser l’émission en cause pour contraindre la Haute Autorité à les suspendre tous.  

Une solidarité militariste menaçante pour la presse

«La Maison de la Presse et l’ensemble des organisations professionnelles des médias condamnent avec la dernière rigueur cette décision disproportionnée (et) exhortent la Haute Autorité de la Communication à reconsidérer sa décision. Face aux mesures extrêmes, (elles) se réservent le droit d’entreprendre toutes les actions qu’elles jugent nécessaires, y compris la diffusion synchronisée de l’élément incriminé par l’ensemble des médias maliens», écrit Bandiougou Dante, le Président de la Maison de la Presse, dans un communiqué du 23 novembre.

Les Maliens restent très attachés à la liberté de pensée, d’expression et de presse malgré la crise politique et sécuritaire qui ravage le pays depuis douze ans. Issus de la révolution du 26 mars 1991 qui a renversé le régime du général Moussa Traoré, les médias de ce pays, comme leurs frères de toute l’Afrique de l’Ouest, sont souvent en première ligne des tempêtes politiques. Le nouveau contexte militariste de l’Alliance des Etats du Sahel fait peser sur eux, on le voit à l’occasion de cette affaire, des menaces accrues. 

Dans les publications de presse de ces deux derniers jours, perce l’inquiétude d’une tentative de musèlement total des médias privés, à laquelle le Burkina Faso semble succomber malgré la sanctuarisation de la presse qui avait suivi l’assassinat de Norbert Zongo en 1998. La fermeture de Joliba serait «un précédent fâcheux dans l’histoire médiatique du Mali», écrit Sekou Tangara. Le Président de l’Union des Journalistes de la Presse libre africaine (UJPLA), de son côté, regrette «les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression au Mali, au Burkina Faso et au Niger» et voit dans le retrait de la licence de Joliba «un recul de 30 ans pour la démocratie, la liberté d’expression et de presse au Mali.» Et de prédire : «aujourd’hui, c’est Joliba TV qui est ciblée, demain ce sera un autre média.»

«C’est ça la solidarité de l’AES ? Se liguer pour museler la presse au lieu de combattre efficacement les terroristes?», s’indigne Elhadji Ibrahima Thiam, sur sa page Facebook, dénonçant «une soldatesque galonnée réfractaire à tout son de cloche discordant».

Espérons que les négociations en cours permettront d’éviter le scénario du pire. Après tout, la mission première de la Haute Autorité de la Communication, selon l’ordonnance du 21 janvier 2014, est bien « de garantir et de protéger la liberté de l’information et de la communication, ainsi que de garantir et de protéger la liberté de la presse », tous droits également proclamés par la nouvelle Constitution du Mali adoptée en 2023.

Sur sa page Facebook, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a fait part de sa profonde tristesse et d’une grande inquiétude. Il a invité le gouvernement à «oeuvrer à garantir les libertés de presse et d’opinion et à les protéger car, sans elles, aucune stabilité sociale, politique ou institutionnelle ne sera durable.»