Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, spécialiste de la philosophie de l’art, Professeur à l’université́ de Columbia à New York est l’invité cette année de la Chaire du Louvre crée en 2009 pour interroger le musée sur son histoire et ses collections. Ses travaux portent en particulier sur le dialogue des cultures et le nomadisme des œuvres d’art qui ont, par leurs déplacements, vocation à unir.
Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il interrogera au cours de cinq conférences[1] l’universalité du Louvre alors que le Pavillon des Sessions au sein du musée, en travaux pour un an, réouvrira dans un esprit de dialogue avec les œuvres du musée du quai Branly–Jacques- Chirac, provenant d’Asie, d’Océanie, d’Afrique et des Amériques.
Un entretien avec Caroline Chaine
Mondafrique Comment écrire au Louvre la rencontre des cultures ?
Souleymane Bachir Diagne Le Louvre en s’ouvrant à d’autres aires géographiques et à d’autre temps a vocation à mettre ensemble des objets produits par des cultures différentes et des temps différents. La présence de ces objets ensemble est une matérialisation, une visualisation de ce que peut signifier un dialogue des cultures par la conversation qu’entraine les objets entre eux.
En 2000, le musée du Louvre s’est ouvert aux arts de tous les continents dans le Pavillon des Sessions, ambassade permanente du musée du Quai Branly – Jacques Chirac avec104 chefs-d’œuvre du monde entier pour un voyage artistique à travers les cultures d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques.
Est-ce que le dialogue des cultures doit dépasser le Pavillon des sessions ?
Souleymane Bachir Diagne Pour qu’il existe un dialogue, il faut un décloisonnement. Le dialogue des cultures ne peut se faire au sein de départements spécifiques. Le Pavillon de sessions est au Louvre totalement isolé. On peut y venir et repartir sans savoir qu’il existe.
En 2014, L’exposition The African Origin of Civilization: Myth or Reality du Metropolitan Museum of Art de New York mettait face à face pour la première fois par paires 31 des chefs d’œuvre du musée en provenance d’Afrique centrale et de l’ouest avec ceux de l’ancienne Égypte. Elle était inspirée du livre éponyme de l’humaniste sénégalais Cheikh Anta Diop qui démontrait la grande créativité du continent pendant cinq millénaires avec ses contrastes et ressemblances alors qu’il n’y avait aucun contact avec leurs créateurs. Les objets se parlaient entre eux. Il va être l’angle à partir duquel je vais lire le Louvre. Il faut rendre l’Égypte à l’Afrique et mettre aussi en évidence l’influence des anciennes civilisations africaines sur notre monde. C’est une nouvelle manière de faire dialoguer les cultures qui va arriver au Louvre. Il y a par exemple pour commencer un projet d’installer côte à côte une Statue gréco- romaine et une sculpture africaine pour montrer que ces deux objets se parlent. Le langage visuel est leur seul langage commun. On peut ainsi éduquer le visiteur pour faire en sorte qu’il voit les contrastes et les ressemblances.
Mondafrique Comment l’art permet un dialogue pluriel entre les cultures ?
Souleymane Bachir Diagne Les cultures se parlent par les imaginaires dont elles sont porteuses et les imaginaires se traduisent par les objets crées. Ces objets peuvent avoir aussi d’autres significations, politiques, sociales, esthétiques, religieuses,… Mais ils gardent leur statut d’objet d’art qui frappe notre faculté esthétique. Le dialogue des œuvres permettra un renouvellement des musées. Ils donneront à voir un monde pluriel qui parle un langage commun.
Ce dialogue essentiel peut commencer très rapidement grâce aux conservateurs qui auront en charge cette mission. Organiser le dialogue des cultures sera essentiel et cette nouvelle muséographie donnera une signification à la notion d’universalité de notre monde de pensée.
Les ethno-nationalistes sont monnaies courantes, je parle d’une tribalisation du monde. La réponse à ce monde est aussi philosophique et idéologique insistant sur l’humanité partagée. L’importance de l’art est de donner une traduction concrète, visuelle de cette humanité. Les objets, eux sont en paix les uns avec les autres. Ils se parlent et manifestent tous une certaine humanité. La qualité de notre humanité est de créer de beaux objets et les objets nous enseignent la manière dont nous devons nous comporter. L’art est un élément essentiel pour le dialogue des cultures.
Mondafrique Certains musées ont-ils déjà explorer ce dialogue des cultures ?
Souleymane Bachir Diagne C’est un thème que maintenant certains musées explorent en Allemagne et en Belgique.
En 2023, il y avait eu au Musée du quai Branly à Paris une exposition intitulée Senghor et les Arts, Réinventer l’universel. Le sénégalais Leopold Sédar Senghor (1909-2001), pionnier de la négritude, défendait l’idée d’une civilisation de l’universel façonnée par « le rendez-vous du donner et du recevoir ». L’échange, « le métissage culturel » permettrait d’engager « un dialogue des cultures ». Alors qu’il était Président de son pays (1960-1980), il organise à Dakar une exposition Picasso dont les œuvres entraient en dialogue avec « l’art négre » qui était à la mode au début du XX eme siècle. De manière symétrique, il y a eu au Grand Palais à Paris une exposition de l’art contemporain sénégalais en 1974. Une première dans un musée national français.
Mondafrique Qu’en est-il du Louvre ?
Souleymane Bachir Diagne Le musée du Louvre, lorsqu’il a été créé en 1793 dans l’ancien palais royal a été envisagé comme universel. Au cours du XIX -ème siècle, à la suite de colonisations, de fouilles et de donation, il s’est enrichi d’œuvres extra occidentales. Aujourd’hui, il est constitué de plusieurs départements : Peintures, Antiquités égyptiennes, Antiquités grecques, étrusques et romaines, Antiquité orientale, Sculpture du musée du Louvre, Collection des objets d’art du Louvre, Arts le d’Islam et la collection d’art graphique.
La Présidente du Louvre, Laurence des Cars est favorable au dialogue des cultures au sein du musée contrairement à son prédécesseur, Pierre Rosenberg. Pour lui, Paris était avec ses différents musée une ville universelle mais le musée du Louvre n’avait pas vocation à être universel. Il ne voulait pas d’objets dans le Pavillon des sessions. Paradoxalement, il préconisait une histoire européo- centrée avec l’Égypte qui préparait notre histoire. Il défendait l’universalisme européen mais pas un musée universel. Aujourd’hui, il faut reconnaitre la singularité des objets venus de cultures différentes et penser que la singularité n’empêche pas de se mettre ensemble et de créer un dialogue des cultures. C’est un grand enjeux pour les conservateurs.
Mondafrique Comment définissez-vous l’universalisme latéral[2]?
C’est un universel de culture équivalente, côte à côte. Il faut à la fois reconnaitre la singularité des objets venus de cultures différentes et en même temps penser que la singularité n’empêche pas de se mettre ensemble. Après l’universalisme européen, il faut organiser le dialogue des cultures. Décoloniser est aujourd’hui un mot d’ordre qui concerne tous les domaines : décolonisation des savoirs, des musées, de l’art,….
Un musée qui organise le dialogue des cultures doit permettre cette nouvelle universalité. Il y a une conception humaniste lorsque l’on donne tout son sens à ce premier universel qui est l’humanité. C’est un message dont les musées peuvent être porteurs aujourd’hui. Mieux connaitre l’autre dans notre monde tourmenté est aussi un message de paix.
[1] « LOUVRE : QUELS UNIVERSELS ? »
Cinq conférences à l’auditorium Michel-Laclotte au Musée du Louvre
Lundi 25 novembre à19h : La renaissance des « fétiches » en œuvres d’art
Jeudi 28 novembre à 19 h : Quand les statues et les masques parlaient la langue des dieux Lundi 2 décembre à 19 h : Accueillir le Pavillon des Sessions et les Arts d’Islam
Jeudi 5 décembre à 19 h : La Joconde sourit aux masques sans fossette
Lundi 9 décembre à 19 h : Faire dialoguer les cultures
[2] Universaliser « L’humanité par les moyens d’humanité », Albin Michel, Bibliothèque Idées, septembre 2024.