Plus de vingt ans après la première demande d’Antananarivo, Paris espère pouvoir restituer au printemps 2025 à Madagascar les restes sacrés du roi sakalave Toera. Et compte profiter de la venue d’Emmanuel Macron au sommet de la Commission de l’océan Indien pour officialiser ce retour
‘Emmanuel Macron aura l’occasion à Madagascar de se féliciter de la consruction enfin achevée de l’impressionnant téléphérique d’Antananarivo financé à grands frais par l’Agence Française pour le Développement (AFD). Notre journaliste envoyé sur place a du constater enquêtant dans les rues de la capitale que le projet ne faisait pas l’unanimité dans la mesure où d’autres besoins, notamment l’acc!s à l’électricité, étaient autrement prioritaires
Un reportage de notre envoyé spécial, Marc Dugrand
Début Septembre, nous sommes en pleine saison sèche dans cette grande île du tropique du Capricorne. À Antananarivo, le ciel est bleu, magnifique, pas le moindre nuage. Nous sortons de Ivandry, proche banlieue « chic » de la capitale de Madagascar et débouchons à Ankorondrano sur la « route des hydrocarbures » embouteillée à longueur de journée comme toutes les rues de «la ville aux mille soldats». Nous venons de nous restaurer dans un salon de thé qui offre collation et « glaces ». Des glaces, vraiment? Que « nenni », pour cause du délestage de la matinée, nous explique le gérant, bien avenant, de cette boutique au design moderne en phase avec les immeubles « standing » du coin.
Nous voilà donc coincés sur cette « route » à deux sens séparée par une sorte de petit muret assez large qui permet à des enfants, la plupart en guenilles, de déambuler mains tendues vers les automobilistes et leurs passagers pour espérer quelques « ariary », la monnaie locale. Nous nous trouvons dans la zone business avec des immeubles de bureau semblables à ceux que l’on peut trouver en France ou ailleurs.
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La circulation étant ralentie, nous avons le loisir « d’admirer » les ouvrages impressionnants du téléphérique dont la mise en service est prévue courant 2025. Un ‘premier tronçon’ de cet ouvrage a été inauguré par le Président Andry.N.Rajoelina en Juin de cette année.
L’ouvrage est constitué de deux lignes. Une rouge et une jaune respectivement longue de 9.21 kms et de 2.61 kms, dotées de 274 cabines, chacune conçue pour transporter 10 à 12 passagers sur un trajet d’une dizaine à une trentaine de minutes. Moyen de transport envisagé comme alternative écologique contre l’usage quotidien des vehicules à moteur thermique et censé aider à decongestionner la Capitale qui compte plus de 3 millions d’habitants[1].
On imagine que dans cet 2tat dit démocratique ce genre d’ouvrage, avant le début des travaux, a du passer les étapes obligées d’étude de faisabilité, et obtenir l’approbation des plans par les différentes entités concernées dont la population tananarivienne, dont la société civile. « Le Président a décidé que le téléphérique est d’utilité publique. Et le ‘reste’ » suit »
Haja 50 ans, titulaire d’un Brevet d’Agent Exécutif en électro-technique, dit ne pas comprendre l’idée même de telepherique qui nécessite « un moteur d’une puissance de 300 à 400 kwh, au minimum, avec mise en marche au moins de huit heures par jour» . « Et » sur un ton réprobateur, il continue « où va-t-on chercher l’énergie pour une telle machine ? ». Il nous relate que « Le 28 Avril 2019 le président ANR, lors d’une réunion publique relayée abondemment par les réseaux sociaux, a fait une promesse solennelle (velirano en Malgache), que les problèmes de la JIRAMA[2] seront résolus en moins de cinq ans » « On ne peut que constater la vanité de ce discours » souligne Haja « ma famille et moi comme le reste des ‘petits’ habitants et ‘petits’ commerces du Pays ne cessent de subir les conséquences des pannes électriques intermittentes de plusieurs heures, de nuit comme de jour ».
A savoir, seulement environ un quart des 30 millions de Malgaches ont accès à l’électricité.
L’enfer du trafic.
Arrivés à un rond point qui dessert la zone business, Haja décide de prendre l’itinéraire Tsarasaotra. Tsarasaotra est une longue et large artère, telle les « freeways » à l’américaine, qui est surtout utile pour desservir l’aéroport international d’Ivato.
On laisse dernière nous les pylônes[3] et les cables du téléphérique. Neuf bâtisses s’offrent à notre vue. Un ensemble impressionnant dressé au milieu de marais qui ont été visiblement remblayés. De couleur marron et orange, couleur emblématique du Président ANR, il s’agit de bâtiments destinés à l’achat ou à la location ?. Haja explique « Ces immeubles, construits à l’initiative du Président Andry.N.Rajoelina, dit ANR, restent forcément vides, inoccupés car hors de portée de la bourse des Tananariviens ». « Et s’ils sont équipés d’ascenseur, étant donné les delestages, les locataires ou propriétaires éventuels risquent d’être souvent coincés dans les ascenseurs ». Sans commentaire.
Notre itinéraire nous fait passer devant le célébre Collège Rasalama[4]. Juste devant l’un des murs d’enceinte du Collège on voit sept, huit individus dont des enfants, vivant autour d’une benne à ordures. Nos pérégrinations précédentes nous ont offert ce genre de ‘spectacles’ dans quelques rues de Tana.
« Le Président Andry.N.Rajoelina et moi avons le même age, 50 ans », nous fait remarquer Haja. « Lui est à la tête du Pays depuis une dizaine d’années. Ses trois enfants suivent des études à l’étranger. Moi aussi je suis à la tête d’une famille de trois enfants. Mon souci quotidien est de pouvoir leur servir au moins deux repas par jour pour qu’ils puissent réussir à l’école ».
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Haja propose d’aller voir le nouveau stade de la Capitale. Passé le quartier Antaninandro , nous remontons une rue pavée defoncée, crasseuse, avec au bout une vue panoramique du marché du Zoma, connu pour être le plus grand marché ouvert de toute l’Afrique. Marché qui s’étale le long des arcades de l’avenue de l’Indépendance qui a vu des jours meilleurs comme en témoignent les photos prises bien des décennies auparavant.
« Place de l’indépendance » nous dit Haja « lieu témoin d’évènements dramatiques, tragiques qui ont marqué la vie des Tananariviens. L’espace attenant est maintenant un jardin botanique, selon la volonté de ANR, et la place est interdite de toute manifestation politique ». Il fait comprendre qu’il ne fera pas de commentaire quant aux évènements, quant à cette interdiction. Nous respectons sa réticence.
Virage à droite. Pente douce. Un tunnel et nous débouchons sur le lac Anosy. Magnifique avec les reflets rouge et or du soleil couchant.
On longe le lac. À notre gauche les murs du Collège Saint Michel[5]. Collège qui s’est opposé à l’installation d’une station du telepherique dans son enceinte et qui a eu gain de cause. « Victoire rare, inespérée sous la présidence de ANR » souligne Haja. Nous remarquons que notre chauffeur/guide ne se refère au Président que par son acronyme ANR. Président déclaré élu par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) lors des dernières élections présidentielles de 2023. La victoire entérinée par la HCC (Haute Cour Constitutionnelle). « ANR a été élu pratiquement sans opposition puisque les autres candidats ont décidé de boycotter les élections à l’exception de deux prétendants qui n’avaient aucun espoir de l’emporter » explique Haja avec un ton plus que désabusé.
Le nouveau stade
Nous sommes maintenant à Mahamasina où se trouve le nouveau stade. Il porte le nom de l’équipe nationale de football Baréa. Imposante architecture, assez esthétique. Les panneaux qui font office de mur offrent en alternance les photos géantes des joueurs qui ont permis à Madagascar d’atteindre les quarts de finale de la CAN (Coupe Africaine des Nations) en Juillet 2019. Ce qui, dit-on, a décidé le président de se faire construire ce stade de 77 millions de dollars.
Haja nous apprend que la FIFA (Federation Internationale de Football Association) n’a pas permis aux Baréa de jouer à domicile les phases éliminatoires (Juin 2024) de la Coupe du monde 2026 car le stade n’a pas obtenu l’aval de la CAF (Conféderation Africaine de Football). On vérifie. RFI parle de « recommandations sécuritaires exigées par les instances internationales du ballon rond et listées lors de la précédente inspection en 2021[6] ». France Info parle de contre-expertise qui pourrait permettre aux Baréa de jouer les matchs qualificatifs de la CAF.[7]
A l’évidence, le téléphérique[8] imposé aux habitants de la Capitale n’est pas un cas isolé. Ainsi le stade Baréa. Ainsi le « Colisée[9] » dans l’enceinte sacrée du Rova, le Palais de la Reine situé sur la plus haute colline de Tana. Symbole du pouvoir royal jusqu’en 1896 année d’annexion du Pays par la France.
On pense à la Pyramide de Maslow[10].
N’aurait-il pas fallu investir ces sommes astronomiques ailleurs? Le téléphérique répond-il aux besoins immédiats de la population de la capitale ? Selon Haja, 5 à 10 kwh suffisent pour assurer la consommation moyenne d’un foyer pour un mois. « J’ai dû acheter des lampes portatives alimentées par panneau solaire », nous confie -t-il, « pour que mon fils puisse faire ses devoirs d’école le soir venu » Haja, avec son français hésitant, nous raconte que l’année dernière les candidats du baccalauréat, le Bacc à Madagascar, ont dû passer une partie de leur examen à la lumière des bougies..
On revient à la question du téléphérique. Le prix avançé du ticket est de 3000 à 5000 ariary[11]. Celui des bus est de 500 ariary !.
Renseignement pris : plus de 2 millions de personnes se déplacent quodidiennement dans Tana. Et majoritairement utilisent le bus plus à la portée de leur bourse.
Nous nous posons alors la question du profil de Tananariviens qui pourront emprunter le telepherique conçu pour alléger le trafic journalier.
A la lumière des différents communiqués des autorités, les journalistes locaux et étrangers rapportent que le prix du ‘plaisir’ de contempler la Capitale à 50 mètres de hauteur n’est pas encore « définitif ».
Il est presque 19.00 heures. La nuit tombe. On passe devant un pylône entouré de hautes palissades de sécurité[12].
Notre chauffeur/guide allume la radio. Un groupe de rap malgache chante en français [13]. Dans un cynisme mordant et un humour noir grinçant, les paroles évoquent les interminables pénuries d’eau et d’éléctricité dont Tana est victime.
« Encore un soir sans lumière. C’est la fête à Tana. Les bougies sont nos étoiles. Ah quel beau gala
….
On encaisse en silence. C’est presque devenu normal
….
Merci pour cette panne . Ce black out éternel. On vit dans l’ombre. Mais c’est presque sensationnel [14]» Haja nous dépose à l’hôtel. On lui laisse un pourboire conséquent. Il doit encore ramener la voiture chez le propriétaire et rentrer chez lui en bus. « Il me faudra au moins deux heures » nous dit-il « pour rentrer chez moi ». Auparavant il nous a précisé que son domicile ne se trouve pas sur le tracé prévu du telepherique.
[1] Communiqué des autorités malgaches
[2] JIRAMA : équivalent de EDF (Electricité de France).
[3] Pylônes : respectivement 56 pour la ligne rouge et 19 pour la ligne jaune
[4] College RASALAMA : Institution privée protestante qui a donné au Pays d’illustres personnages
[5] Collège Saint Michel:Institution catholique fondée par les Jésuites en 1888
[6] RFI 17/04/2024
[7] France Info 23/10/2024. Prochaine CAF début 2026.
[8] Télépherique : Coût 152 millions via la BPI et un prêt de 28 millions du Trésor Français. Ouvrage dénoncé par la société civile malgache et dixit le Sénateur français Pierre Laurent « Ce projet est en inadéquation avec les besoins de la population » plutôt il faudrait un « projet plus adapté aux besoins urgents de la population malgache » in RFI 21/06/2024
[9] Le ‘Colisée’ (coût 1,4 million d’euros) unanimement controversé par les défenseurs du patrimoine qui ont réclamé sa destruction. Mais malgré les critiques, le président a mené le projet à terme » France Info 09/11/2020
[10] Pyramide de Maslow : de Abraham Maslow ( 1908-1970) psychologue américain qui a hierarchisé les besoins primordiaux des êtres humains dont ceux de se nourrir, de se vêtir, d’avoir un toit, de s’instruire ….
[11] 1OOO Ariary = 0.20 Euros (taux variable)
[12] On a appris que les panneaux solaires installés en haut des poteaux d’éclairage de certaines routes desservant les proches banlieues ont « disparu » !!!.
[13] Le français est la deuxième langue officielle (parlé par environ 30 % des Malgaches). L’élite malgache s’exprime souvent en français entre eux et la plupart des cours universitaires sont dispensés dans la langue de Molière
[14] Extraits de « Humour dans le noir » arrangement J.Doe, réalisation Dekzy, illustration Pov & Nino