Les racines historiques du conflit oublié de l’Azawad

Depuis plusieurs décennies, l’Azawad, région située au nord du Mali, est le théâtre de rébellions répétées et de violences, marquant un profond clivage entre la population locale, composée de communautés touarègues, arabes et peules, et le gouvernement malien. Entre marginalisation économique, répression militaire et aspirations identitaires non reconnues, ce territoire dispute son autonomie au gouvernement malien dans un conflit qui, au fil du temps, a pris des proportions tragiques. Aujourd’hui, la situation s’aggrave avec l’implication des mercenaires russes de Wagner, transformant ce qui était un combat politique en une guerre aux répercussions humanitaires désastreuses.

Pour comprendre la persistance de ce conflit, il est essentiel de remonter à son origine : une histoire de marginalisation et de luttes identitaires qui date de la décolonisation. Le professeur Ben Bella El Ferdi, chercheur en histoire et civilisations spécialiste de la région, retrace la chronologie des évènements et nous offre un éclairage sur l’origine complexe de ce conflit qui remonte à 1960.

Un entretien mené par Rania HADJER

Le professeur Ben Bella El Ferdi, chercheur en histoire
L’intégration forcée de l’Azawad au Mali 

L’Azawad quienglobe Tombouctou, Gao, Kidal, Ménaka et Gossi a toujours été un espace de revendications identitaires pour ses habitants. Comme l’explique le professeur Ben Bella El Ferdi, historien et natif de la région, l’Azawad a été intégré au Mali après la décolonisation française, malgré les protestations des populations locales. « Le 30 octobre 1957, les Touaregs et les arabes de l’Azawad ont demandé à ne pas être inclus dans le processus d’indépendance ouest-africain », rappelle-t-il. Cette demande, rejetée par le général de Gaulle, a placé l’Azawad sous l’autorité du nouvel État malien en 1960, au mépris des aspirations des populations locales.

Dès les premières années de l’indépendance du Mali, les tensions s’exacerbèrent. En 1963, une rébellion éclata à Kidal, région emblématique de l’Azawad. Ce soulèvement est souvent vu comme la première expression de la frustration des populations locales, qui se sentaient abandonnées par le pouvoir central. « C’est une zone marginalisée par le pouvoir central malien et exposée à de graves problèmes socio-économiques comme le manque d’infrastructures et l’exclusion politique », explique Ben Bella El Ferdi. « Ce contexte de marginalisation a favorisé le sentiment d’injustice chez les populations locales et est à la base des révoltes successives. »

La rébellion est sévèrement réprimée par le régime de Modibo Keïta, premier président du Mali, qui met en place une militarisation de la région nord. La réponse de l’État malien est brutale, avec des exécutions sommaires et des déplacements forcés. « La première rébellion de 1963 marque le début d’un cycle de violences qui, à chaque décennie, revient hanter la région », témoigne l’historien.

Les promesses non tenues 

Après quelques décennies de tensions latentes, la situation dans le nord du Mali s’aggrava à nouveau dans les années 1990, sous l’effet combiné de la crise politique au Mali et des sécheresses qui ravagèrent la région. Une nouvelle rébellion éclata, nourrie par le sentiment d’injustice des populations locales. En 1992, les accords de paix signés prévoyaient une décentralisation et des mesures spécifiques pour le développement du nord du Mali. Cependant, comme le rappelle Ben Bella El Ferdi, « à chaque rébellion, les populations espéraient des changements concrets, mais le gouvernement a toujours trahi ses engagements ». Les promesses restèrent lettre morte, et les populations azawadiennes, lassées des engagements non tenus par Bamako, furent à nouveau plongées dans la révolte.

L’instabilité dans la région prit une nouvelle tournure après la chute du régime de Kadhafi en 2011. De nombreux Touaregs et arabes, qui avaient combattu aux côtés des forces libyennes, retournèrent au Mali armés, renforçant les capacités militaires des groupes indépendantistes comme le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA). En 2012, une nouvelle rébellion éclata, mais cette fois, la situation se complexifia avec l’émergence de groupes islamistes tels qu’Ansar Dine, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest). Ces derniers débordèrent rapidement le MNLA, imposant leur propre agenda, souvent en opposition aux aspirations laïques des indépendantistes.

« Le combat du peuple de l’Azawad pour son indépendance a commencé bien avant l’arrivée des organisations islamistes dans la région », insiste Ben Bella El Ferdi. Il explique que ces groupes se sont installés après la « décennie noire » algérienne, profitant des vastes zones désertiques du Sahel pour se cacher et se réorganiser. Selon lui, « l’armée malienne mène un nettoyage ethnique sous couvert de lutte antiterroriste, traitant toute la population azawadienne comme terroriste, sans distinction ».

 

2015, les accords d’Alger

En 2015, les accords d’Alger furent signés entre le gouvernement malien et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), prévoyant une plus grande autonomie pour les régions du nord. « Sur les 26 agréments proposés lors des accords, seulement 5 soutenaient les aspirations de l’Azawad, mais nous les avons acceptés au nom de la paix dans la région », explique Ben Bella El Ferdi. Cependant, la mise en œuvre des accords s’est révélée lente et incomplète, et les combats entre groupes armés se poursuivirent malgré les engagements pris.

Cette situation dura jusqu’au coup d’État de 2021, qui vit la junte malienne rompre ces accords, provoquant une reprise des combats. « La junte putschiste a décidé de demander le retrait de la MINUSMA et de mener une offensive militaire dans la région. C’est eux qui nous ont forcés à reprendre les armes », affirme le professeur.

La neutralité apparente d’Alger

Les relations complexes entre l’Algérie et l’Azawad suscitent souvent des interrogations, notamment en raison de la neutralité apparente d’Alger dans ce conflit. Ben Bella El Ferdi offre une explication en retraçant l’histoire des relations entre l’Algérie et le Mali : « Pour comprendre la différence de positionnement de l’Algérie sur les questions du Sahara occidental et de l’Azawad, il faut remonter à 1963, durant la “guerre des sables” entre le Maroc et l’Algérie, survenue peu après l’indépendance algérienne. Ce conflit avait pour origine une dispute territoriale autour des frontières héritées de la colonisation, en particulier les régions de Tindouf et Béchar, que le Maroc revendiquait comme faisant partie de son territoire historique. Ce conflit a vu l’intervention diplomatique du Mali sous Modibo Keïta et un cessez-le-feu fut négocié en octobre 1963 à Bamako. Depuis cet épisode, le Mali est devenu un allié de l’Algérie, tandis que les relations avec le Maroc sont restées tendues ».

Un groupe de Wagner aux avant postes

 2023, les violations des droits humains

Avec l’arrivée de la junte malienne au pouvoir en 2021, la situation a pris une nouvelle dimension, exacerbant les tensions dans le nord du pays. Depuis 2023, la région de l’Azawad est plongée dans une guerre dévastatrice où les populations civiles subissent exécutions extrajudiciaires, enlèvements, disparitions, tortures, vols et destructions.

Ces exactions sont perpétrées par l’armée malienne, avec le soutien de la milice russe du groupe Wagner, transformant la région en théâtre d’une véritable tragédie humanitaire, dans l’indifférence quasi-totale de la communauté internationale. « Nous souffrons de marginalisation, y compris d’un point de vue médiatique. Nous vivons en autarcie du monde et pourtant la population azawadienne est un mélange ethnique de toutes les populations de l’Afrique du Nord. Si la presse internationale ne s’intéresse pas à notre sort, nous aurions au moins aimer que les pays voisins avec lesquels nous avons tous des liens de sang, des liens historiques et culturels, puissent porter notre voix et œuvrer en notre faveur. » déplore le professeur.

Pour Ben Bella El Ferdi, l’avenir de l’Azawad repose sur deux options : « Le seul salut pour la région réside soit dans l’indépendance totale de l’Azawad, soit dans la mise en place d’un système fédéral permettant aux populations locales de s’autogérer sans interférence de Bamako », affirme-t-il. Il insiste également sur les enjeux économiques sous-jacents : « Il n’y a rien qui lie le Mali à la région de l’Azawad en dehors de l’exploitation des richesses de cette région. C’est une région riche en or, uranium, pétrole, gaz, phosphate et sel. Ils cherchent clairement à vider la région de sa population pour exploiter pleinement ses richesses », estime-t-il.