Contesté pour sa volonté affichée de faire réviser la Constitution afin de briguer un nouveau mandat, le président congolais Denis Sassou N’Guesso a tout de même été reçu à l’Elysée mardi. Pourquoi ?
Brazzaville, 6 décembre 2014. Le président congolais, Denis Sassou Nguesso, revient dans son pays après sa participation au XV ème Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) suivie d’une visite officielle à Cuba. Il annonce avec fermeté la tenue d’un référendum sur la révision de la Constitution afin de lui permettre de sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel à deux et de surmonter l’obstacle de la limite d’âge fixée à 70 ans.
Sassou à l’Elysée
Très remonté, le président congolais rappelle que le peuple français avait été consulté le 28 septembre 1958 par voie référendaire par le général De Gaulle pour l’avènement de la Vème République. Le président Sassou Nguesso ajoute même que les Congolais s’étaient battus pour ne pas recevoir de diktat de l’étranger. Dans les jours qui suivent, plusieurs de ses proches montent au créneau pour marteler le même discours mâtiné de souveraineté nationale. Ils dénoncent « les donneurs de leçon » et bombent le torse se disant prêts à défendre par tous les moyens l’honneur bafoué de la patrie. Les jours passent puis les semaines et les mois. Sassou a oublié l’échec de son candidat Henri Lopès au poste de Secrétaire général de l’OIF. Fini le slogan de la souveraineté nationale menacée par l’ancienne puissance coloniale ; il souhaite être reçu à l’Elysée. A cet effet, tous les leviers possibles sont actionnés. Les milieux d’affaires sont mis à contribution, les réseaux diplomatiques sont appelés à la rescousse. Sassou décroche son rendez-vous avec Hollande pour le 7 juillet ; au lendemain du retour de celui-ci d’une tournée en Angola, au Cameroun mais surtout au Bénin où il a réaffirmé son opposition à la révision constitutionnelle.
Mise en garde ou consentement ?
Quelques jours avant sa tournée africaine, le président français avait reçu ses homologues guinéen Alpha Condé, ivoirien Alassane Ouattara, botswanais Seretse Khama Ian Khama, nigérien Mahamadou Issoufou. Son entretien avec Sassou entre donc dans l’ordre normal de ses relations avec ses pairs africains. Mais le camp du président congolais y a trouvé le moyen d’en faire un « événement exceptionnel ». Sur sa demande, une émission spéciale est programmée le mardi 7 juillet sur la chaîne panafricaine Africa 24 avec la retransmission en direct de l’arrivée du chef de l’Etat congolais au palais de l’Elysée. Une peu plus tôt, une énorme campagne de presse est déclenchée pour donner un cachet particulier à ce déplacement ordinaire.
A y regarder de près, ce travail de récupération de l’entretien avec Hollande présente de nombreux enjeux. Il permet à Sassou d’envoyer un message à ses partisans, en expliquant qu’il est bien en cour à Paris. Qu’il a été reçu à l’Elysée avec tous les égards : tapis rouge, fanfare, honneurs militaires et accolade. C’est ce que conforte d’ailleurs la lecture sélective du camp Sassou du communiqué de presse rendant compte de l’entretien entre les deux chefs d’Etat. On y a vu que la reconnaissance de la contribution importante du Congo à la recherche de la paix en Centrafrique et au succès de la Conférence internationale de Paris sur le climat.
Selon le communiqué, Hollande aurait indiqué à son hôte que « s’agissant des enjeux d’approfondissement de la démocratie en Afrique, le Président français a indiqué son attachement à la préservation et à la consolidation des institutions. Il a rappelé son attachement aux principes de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de l’Union africaine, qui supposent que les réformes constitutionnelles soient fondées sur un consensus ». Pour les proches de Sassou, le président français ne s’est pas opposé à la révision constitutionnelle ; il a tout simplement souhaité qu’elle se fasse de façon consensuelle. Rien de plus !
D’autres ont pourtant vu dans les propos de Hollande une « mise en garde » claire et nette à son homologue. Une position qu’il a d’ailleurs réaffirmée lors de l’étape béninoise de son voyage, regrettant le gâchis entraîné par les révisions constitutionnelles au Burkina Faso et au Burundi.
Passage en force à faut risques
A peine rentré de son voyage à Paris, le président congolais va lancer les assises du dialogue national prévu du 11 au 15 juillet. Ce timing n’est pas le produit d’un hasard de calendrier. C’est un Sassou Nguesso auréolé du «succès de sa visite» à Paris qui va se présenter à ses adversaires politiques. Il pourra également toujours se prévaloir d’avoir tenté de trouver un consensus sur sa révision constitutionnelle, comme le lui avait demandé Hollande.
Alors même qu’il sait que le format du dialogue et son ordre du jour (gouvernance électorale et réforme des institutions) sont rejetés en bloc par les principales forces politiques du pays. Le simulacre de dialogue ne vise donc qu’à préparer les esprits à l’organisation du référendum sur la révision constitutionnelle. Signe de la crispation du régime, Polele-Polele et La Voix du Peuple, deux organes de presse, ont été interdits le 30 juin et le 1er juillet par le Conseil national de la liberté de communication (CNLC) et l’opposant Pascal Tsaty Mabiala, Secrétaire général de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) a été empêché lundi dernier de prendre l’avion pour Paris.
Plusieurs analystes estiment que toute volonté de passer en force pour sauter le verrou de la limitation du mandat et écarter l’âge limite entraînerait le pays dans la violence. Les partis politiques et la société ont assuré à maintes reprises qu’ils ne laisseraient pas le camp présidentiel arriver à ses fins. Selon l’entourage du président français, celui-ci a profité de l’étape angolaise de son périple en Afrique pour s’entretenir du « risque congolais » avec son hôte José Eduardo Dos Santos. On ne peut trouver meilleur interlocuteur pour évoquer ce sujet, sachant que c’est l’intervention militaire du président angolais qui avait permis à Sassou lors de la guerre civile de 1997 de l’emporter sur le président Pascal Lissouba. Et cette fois, Jacques Chirac, autre artisan de la victoire militaire du président congolais, ne sera pas là non plus pour lui venir en aide.