Le spectre d’un « Hezbollah bis » tenté par le terrorisme

 Fragilisé par les raids israéliens qui ont décimé son haut commandement, le Hezbollah fait face à une crise sans précédent. L’exode d’un million de civils chiites, sa base populaire, bouleverse le fragile équilibre confessionnel du Liban et pèse lourdement sur un tissu social déjà éprouvé. Confronté à des défis humanitaires, sécuritaires et organisationnels majeurs, le mouvement islamiste est à un tournant décisif. Son évolution, entre repli et radicalisation, aura un impact déterminant sur l’avenir du pays du Cèdre, la stabilité régionale et internationale.

La fuite soudaine et massive d’environ un million de personnes issues majoritairement de la communauté chiite libanaise, suite aux bombardements intenses des villages du sud du Liban et aux frappes quotidiennes sur la banlieue sud de Beyrouth dans la foulée de l’attaque qui a visé le haut commandement du Hezbollah, marque un tournant majeur dans l’histoire mouvementée du Liban. Ce déplacement de population, sans précédent depuis la fin de la guerre civile en 1990, est lourd de conséquences pour l’équilibre confessionnel déjà précaire du pays.

Sur le plan démographique et social, cet exode de la base populaire traditionnelle du Hezbollah est susceptible de redessiner en profondeur la carte communautaire du Liban. L’afflux de réfugiés chiites dans des régions jusqu’alors majoritairement sunnites ou chrétiennes, comme le Nord du pays ou la Békaa, pourrait transformer durablement les équilibres locaux. Cette recomposition sous contrainte du tissu social libanais n’est pas sans risques. Dans un pays où l’appartenance confessionnelle reste le principal marqueur identitaire et le fondement du système politique, une telle redistribution des cartes démographiques pourrait attiser les tensions intercommunautaires.

Ce déplacement pourrait permettre au Hezbollah d’étendre son influence dans des régions jusqu’alors hors de sa sphère de contrôle. En s’implantant auprès des déplacés, le mouvement serait en mesure de recruter de nouveaux sympathisants et de renforcer ses réseaux dans des zones majoritairement sunnites ou chrétiennes.

Des ONG débordées, un État absent

La prise en charge des centaines de milliers de déplacés chiites représente un défi humanitaire et économique colossal pour le Liban, déjà en proie à une crise sans précédent. Les infrastructures et services publics du pays, durement affectés par des années de mauvaise gestion et de sous-investissement, sont au bord de l’effondrement.

Dans ce contexte, ce sont essentiellement les ONG locales alliées aux très nombreuses initiatives privées qui tentent de pallier les carences de l’État pour assurer un minimum vital aux réfugiés : nourriture, abris de fortune, accès aux soins… Une tâche titanesque, tant les besoins sont immenses et les moyens limités.

Durement frappé par les raids israéliens qui ont décimé ses rangs et sa direction, le Hezbollah est en phase de repli et de réorganisation. Affaibli militairement et politiquement, il n’est plus en mesure de mobiliser ses réseaux caritatifs habituels pour venir en aide aux déplacés.

Entre éclatement et dérives

 Le Hezbollah est aujourd’hui confronté à une crise organisationnelle majeure, après l’élimination de ses dirigeants clés par Israël. Cette quasi décapitation du mouvement a révélé la fragilité de sa structure pyramidale et hypercentralisée, où tout repose sur un grand noyau décisionnel.

Pour tenter de survivre, le Hezbollah pourrait effectivement être tenté d’adopter un fonctionnement plus décentralisé, donnant plus de marge de manœuvre à ses échelons intermédiaires et à ses unités locales. Une telle évolution serait avant tout une réponse pragmatique visant à limiter l’impact des frappes ciblées de Tsahal.

Mais il serait illusoire de voir dans cette potentielle réorganisation une remise en cause profonde de l’idéologie et des méthodes du Hezbollah. Une structure plus horizontale ne signifierait pas nécessairement plus de transparence ou de modération de la part du Parti de Dieu. Au contraire, elle pourrait favoriser l’émergence de factions plus radicales et difficilement contrôlables au sein du mouvement.S’il dilue son commandement, le Hezbollah prendrait le risque d’une perte de cohérence stratégique et d’une dispersion de ses forces. La coordination d’opérations complexes, comme le mouvement en a mené par le passé, deviendrait plus difficile. Au final, une telle décentralisation pourrait paradoxalement affaiblir le Hezbollah plus que le renforcer.

Il est donc essentiel de ne pas surinterpréter cette possible évolution organisationnelle. Elle ne serait en rien une « normalisation » du Hezbollah, mais bien une adaptation tactique visant à assurer la survie d’un mouvement fondamentalement hostile aux intérêts et aux valeurs des démocraties occidentales.

Le spectre terroriste

Cette décentralisation comporte aussi des risques majeurs. En perdant son contrôle sur ses troupes, la direction du mouvement pourrait voir certaines franges se radicaliser sur le modèle des groupes djihadistes en Irak ou en Syrie. Livré à lui-même et affranchi de la tutelle de Téhéran, un « Hezbollah bis » pourrait être tenté de suivre une ligne beaucoup plus dure et de recourir à des méthodes terroristes, au Liban et à l’étranger.

Le spectre d’une mutation du Hezbollah, ou d’une partie de ses membres, en un « Daesh chiite », n’est pas à écarter. Forts de leur expérience militaire et de leur ancrage dans la population, des groupuscules radicalisés pourraient déstabiliser durablement le fragile édifice libanais, en multipliant les attaques contre les autres communautés. Et leur capacité de nuisance ne se limiterait pas au Liban. Bien implanté dans la diaspora chiite, notamment en Afrique et en Amérique latine, le Hezbollah dispose de relais qui pourraient être tentés de passer à l’action, en ciblant des intérêts israéliens ou occidentaux.

Même si ce scénario du pire reste hypothétique, il mérite d’être pris au sérieux. Le Hezbollah a déjà montré par le passé sa capacité à frapper loin de ses bases. Et le précédent de groupes comme Al-Qaïda ou l’État islamique a prouvé que des organisations terroristes aguerries pouvaient émerger rapidement des décombres de structures affaiblies ou démantelées.


Le Hezbollah, décapité mais violent

La question du désarmement du Hezbollah, bien qu’essentielle pour l’avenir du Liban, apparaît aujourd’hui plus éloignée que jamais. En effet, seul Israël, par son offensive militaire, semble en mesure d’imposer par la force l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exige le désarmement de toutes les milices libanaises. Seul le Hezbollah n’a pas été désarmé.

Face à cette situation, la communauté internationale, malgré ses déclarations appelant à la retenue, semble finalement donner un blanc-seing tacite à Israël pour « faire le boulot » non seulement au Liban, mais auprès de tous les « proxys » iraniens du Moyen-Orient. Les États-Unis affirment soutenir « pleinement » l’État hébreu, tandis que d’autres pays occidentaux, comme la France et le Royaume-Uni, lui apportent un appui plus mesuré en mobilisant leurs moyens militaires dans la région et en réaffirmant leur engagement envers sa sécurité. Certains États arabes, bien que discrets, fournissent également une aide indirecte, à l’image du Qatar qui a financé les salaires des militaires libanais pour renforcer l’armée face au Hezbollah, ou d’autres pays ayant fourni un soutien matériel. L’Union européenne, quant à elle, condamne fermement les attaques iraniennes contre Israël, tout en appelant à un cessez-le-feu immédiat.

Dans ce contexte, il serait illusoire d’attendre du Hezbollah qu’il accepte de lui-même de déposer les armes. Même affaibli par les frappes israéliennes et lâché par son parrain iranien, le Parti de Dieu reste farouchement attaché à sa branche militaire, qu’il considère comme la clé de sa survie et de son influence. Seule une capitulation totale, qui semble encore lointaine, pourrait l’amener à envisager sérieusement son désarmement et sa transformation en parti strictement politique.

En définitive, le Hezbollah se trouve aujourd’hui à un tournant historique. Affaibli mais toujours debout, il lui faudra faire des choix déterminants pour son avenir et celui du Liban. Mais il serait naïf de croire que ces choix se feront dans le sens de la modération et du compromis. Car même acculé, le Hezbollah reste un mouvement fondamentalement radical, qui ne renoncera pas facilement à la violence comme mode d’action politique.