Le Cachemire, le chaudron explosif

Dans le fracas des actualités du monde où les guerres à Gaza et en Ukraine attirent l’essentiel de l’attention médiatique, nombre de points chauds dans le monde passent à la trappe de l’oubli. C’est le cas de la partie pakistanaise du Cachemire où les tensions entre les autorités d’Islamabad et les autochtones se font de plus en plus vives.

En 1949, deux ans après l’indépendance de l’Inde et du Pakistan, à la suite d’une surprenante décision du prince local, l’Etat princier du Cachemire est scindé en trois parties, la plus petite se retrouve annexée à la Chine, l’autre à l’Inde et enfin la troisième au Pakistan. Par deux fois, en 1947 et 1965, les revendications territoriales ont opposé Islamabad et New Delhi. Depuis cette date, le Cachemire reste un sujet de tension entre ces pays, mais aucun de ces deux Etats ne s’aventure à rallumer un conflit dans une région déjà considérée comme une poudrière. La situation des Cachemiris est très différente de chaque côté des frontières, la plus préoccupante du moment est, sans aucun doute, celle des habitants côté Pakistan, alors même que le Cachemire indien s’apprête à vivre des élections qui pourraient s’avérer difficile pour le parti au pouvoir, le BJP de Narendra Modi.

Le mardi 17 septembre, plusieurs représentants de la communauté cachemiris du Pakistan se sont rendus à Genève devant les Nations Unies pour espérer faire entendre leurs voix et  alerter sur le sort de leurs concitoyens. Lors d’une conférence de presse, Muhammad Sajjad Raja, fondateur du National Equality Party, a énuméré tous les problèmes auxquels ils sont confrontés, notamment concernant les violations persistantes des libertés publiques et des droits de l’homme par Islamabad.  « Le Pakistan promeut le terrorisme, réduit nos femmes et nos enfants à l’état d’esclave et continue d’entretenir la peur. Tous ceux qui osent s’opposer à lui sont tués.» a-t-il déclaré. Il a également fait état des nombreuses manifestations qui ont eu lieu contre l’utilisation abusive de lois antiterroristes afin de réprimer la dissidence et les voix qui dénoncent les injustices dans la région. Le Président du NEP se réclame d’un Islam modéré, opposé à la radicalisation islamiste en cours dans la région.

Le blé, source de révolte

Les libertés publiques ne sont pas les seules préoccupations des Cachemiris, l’appropriation des ressources alimentaires et énergétiques par le Pakistan au bénéfice d’entreprises chinoises est une autre source de tension. Elles ont donné lieu à de puissantes manifestations depuis le second semestre 2023. Le gouvernement qui jusque là subventionnait le blé a brutalement coupé la manne au moment même où l’inflation atteignait des records et où la population était confrontée à d’incessantes coupures d’électricité. Un cocktail explosif qui, cumulé aux autres problèmes récurrents  – manque d’infrastructures, d’hôpitaux , etc., a secoué cette région. Selon les représentants politiques réunis à Genève : «  jamais depuis 1947, on avait assisté à une telle insurrection. » Ces contestations ont atteint leur apogée à la mi-mai 2024, avec des protestations conduisant à des affrontements meurtriers, d’abord avec la police locale, submergée, puis avec les Rangers gouvernementaux. « Ces manifestations montrent que les politiques de l’Etat colonial du Pakistan, qui exploite les ressources des ces régions au mépris des droits de propriété collective de la population locale, et utilise le label «  Green tourism » pour la priver de ses pâturages au seul bénéfice de l’armée, se heurtent à une forte résistance ».

Ces frustrations font de cette région du monde un chaudron explosif et remettent à l’ordre du jour les très anciennes revendications d’autonomie. Lors de ces mouvements de contestation, les manifestants brandissaient des slogans « accordez-nous l’autonomie ou nous opterons pour l’Inde » !  L’impatience croissante de la population à l’égard des autorités pakistanaises risque de se manifester à nouveau. « L’Etat Pakistanais fait preuve de peu d’enthousiasme pour tenir ses engagements et satisfaire les demandes formulées par la population. Les gens n’ont pas l’intention de renoncer à leurs droits et sont prêts à se battre de manière unitaire «  si l’ingérence effrontée, politique, sociale et économique d’Islamabad se poursuit. Le Pakistan déjà confronté à des problèmes de tous ordres, politiques, économiques, sécuritaires n’a aucun intérêt à laisser pourrir la situation. Faut-il ajouter qu’aucune puissance régionale, déjà inquiète de la situation au Bangladesh, n’a intérêt à voir la stabilité régionale menacée par l’éclatement de ce géant méconnu de bientôt trois cent millions d’habitants qu’est le Pakistan ?