Ce lundi 1er juillet, une vingtaine de rappeurs se sont réunis autour d’un morceau intitulé « No pasaran » en réaction à la percée du Rassemblement national lors du premier tour des élections législatives anticipées. Selon Ramdane Touhami, créateur de mode à l’origine du projet, l’objectif de ce projet est d’« inciter les fans de rap à faire barrage à ce parti au second tour des législatives. Si certains qui n’avaient pas voté prennent enfin le chemin des urnes et, pourquoi pas, si certains autres qui ont voté pour le RN changent d’avis grâce à nous, on aura rempli notre contrat ».
Cette ambition critique vis-à-vis de l’extrême droite qui vise aussi à inciter à rejoindre « le chemin des urnes » n’est pas sans rappeler celle portée par Diam’s lors des élections présidentielles de 2007. Toutefois, à la différence de ce groupe de chanteurs, Diam’s n’a pas attendu que le bateau coule pour dénoncer le naufrage. En effet, dès 2006, la sortie de son album Dans ma bulle marque sa volonté de peser sur les élections présidentielles en y insérant un encart incitant à aller voter.
Un article du site « The Conversation »
Enseignant en « culture de la complexité », CY Cergy Paris Université
Sorti en février 2006, l’album Dans ma bulle est le plus vendu de l’année en France et vaudra à l’artiste un disque de diamant en avril 2007 pour avoir dépassé les 750 000 ventes. Pour l’anthropologue et politiste Denis-Constant Martin, « d’un point de vue sociologique, Dans ma bulle pouvait donc à bon droit être considéré comme un phénomène social (ou, pour paraphraser Marcel Mauss, un « phénomène sociomusical total ») : comme un objet qui contenait et sur lequel s’agrégeaient des représentations sociales et des systèmes de valeurs répandus dans un segment de la population française, représentations et systèmes restitués dans leur complexité et rendus émouvants par leur mise en forme dans un genre artistique particulier ».
Fort de ce constat, il dirige un ouvrage de sociologie politique intitulé Quand le rap sort de sa bulle où la convocation de disciplines aussi diverses que la musicologie, les sciences politiques, la sociologie ou l’anthropologie permettent de rendre justice à la richesse et la complexité de l’œuvre de Diam’s.
À partir de quelques titres de cet album, voyons comment Diam’s positionne son engagement contre Front national à travers la critique de la haine et la défense des plus jeunes.
« Marine » : une critique de la haine
De cet album historique, on peut d’abord évoquer le titre « Marine », sorti en single en 2004 et dont la résonance sera plus forte en 2006 dans le contexte électoral. Si le refrain où elle « emmerde le Front national » reprend le slogan punk du groupe Bérurier noir des années 1980, la construction textuelle et musicale installe la voix de l’amour et de la profondeur comme réponse critique à l’insensibilité de la haine.
Ainsi, cette lettre à « Marine », « victime des pensées de [son] géniteur », est un appel à la responsabilité venant d’une artiste qui « a trop de choses sur le cœur ». Sur un tempo modéré, Diam’s interroge : « Pourquoi tu perpétues les traditions ?/Sais-tu qu’on s’ra des millions à payer l’addition ? » Puis, poursuivant sa critique, elle en appelle à la sensibilité à autrui, à regarder ses visages « d’amoureux en couleur » car « on est beau/on vient des 4 coins du monde/mais pour toi on est trop ». En effet, en « [pensant] que le blanc ne se mélange pas à autrui », le Front national symbolisé par Marine Le Pen « prône la guerre quand nous voulons la paix ».
Avec « Marine », on pourrait dire que Diam’s s’appuie sur une conception lévinassienne de la « responsabilité » conçue comme « responsabilité pour autrui ». Le visage d’autrui, sa présence n’autorisent ni l’indifférence ni l’insensibilité mais constitue le substrat même de la responsabilité individuelle. Si la haine est irresponsable, c’est parce qu’en se rendant aveugle à autrui, elle abandonne son devoir de sollicitude à son égard.
« Cause à effet » : une jeunesse abandonnée
Pour donner encore plus « à voir » quant au visage de cet Autre que le racisme hait, Diam’s dépeint le tableau de ces Françaises et Français qu’elle défend, dont la dignité ne saurait souffrir de ceux qui la rejettent. Contrairement à un mythe bien installé, que dénonce méthodiquement le chercheur Karim Hammou, cet « Autre » n’est pas assimilable à « la banlieue ». Bien qu’il existe un lieu commun qui voudrait que le rap soit « l’expression des banlieues », la seule écoute de l’œuvre de Diam’s contredit cette assertion.
En effet, si son public est principalement la « jeunesse », il s’agit bien pour elle de « rapper pour tous » (comme le rappelle Denis-Constant Martin). Dans le titre « Cause à effet » où elle décrit cette « ville qui ne peut plus dormir tranquille/depuis que Jean-Marie et Marine ont fait du chiffre en avril », elle dénonce un contexte économique et social dont tous les jeunes sont victimes : « Y a ces études qui nous épuisent pour un malheureux smic/Normal que le shit soit devenu substitut de la tise », « Y a cette fille de millionnaire qui n’connaît pas le mot “je t’aime”/Qui finira par s’foutre en l’air avec les millions de son père », « Y a ton CV toi qui rêvais d’être PDG/T’es mal barré, t’es basané, mieux vaut être blanc au crâne rasé/Y a ces jeunes qui tiennent les murs, que la police défigure »…
En somme, « Y a plus d’cœur, y a que d’la haine dans nos mots/Y a plus d’heure, y a que d’la peine dans nos mômes ».
Pour autant, Diam’s n’est pas fataliste. Elle appelle plutôt à l’affirmation de soi face au mépris, elle défend la dignité de tous et la nécessaire justice. Dans « Ma France à moi », elle rappelle ces visages d’une jeunesse « arc-en-ciel » qui refuse de se laisser faire et « qui leur tiendra tête, jusqu’à ce qu’il nous respecte ».
Les leçons de Diam’s : l’amour, la liberté et la justice
Dans ces différents textes, Diam’s invite à la une « résistance civique » par le vote. Ainsi, dans « Marine », elle rappelle : « Je ne suis pas de ceux qui prônent la haine/Plutôt de ceux qui votent et qui espèrent que ça s’arrête ». Puis, elle invite à la mobilisation comme « Dans ma France à moi » où elle conclut en déclarant : « Et si on est des citoyens, alors aux armes la jeunesse/Ma France à moi leur tiendra tête, jusqu’à ce qu’il nous respecte ».
Pour conclure, si l’on veut approfondir l’engagement politique de Diam’s, son dernier album « S.O.S. » nous offre des éléments d’analyse féconds quant au sens donné à son action. En synthèse, elle nous invite à renouer avec un certain amour-propre et celui d’autrui, de la liberté et le refus de l’aliénation sociale et, enfin, une défense éclairée de la justice sociale. En critiquant le Front national, Diam’s nous invite donc à cultiver notre sensibilité, tant intellectuelle que morale, afin que le pire ne devienne plus si sûr que ça