Le président tunisien Béji Caid Essebsi, dit BCE, a prononcé un discours, mercredi 10 mai au palais des congrès et les réactions ne se sont pas fait attendre. Sur les réseaux sociaux, la déception fut le maitre mot pendant les 45 minutes du discours.
Et comme un peu partout dans les « démocraties » arabes bien que la Tunisie en soit le seul pays rescapé, les discours ont le même timing et les mêmes habitudes. Soit le président s’adresse au peuple pour lui dire : « je suis en train de travailler dur », soit pour lui annoncer « des mesures d’urgences » soit pour « faire la promotion de sa campagne ». Le discours de BCE était un assemblage de ces trois sortes de discours.
A travers le fond insinuant de son discours, le président vient, implicitement d’annoncer l’application de l’article 80 de la constitution de janvier 2014 qui dispose : «En cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la république peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du chef du gouvernement et du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle».
Conscient de l’ampleur des protestations sociales, des lourdes conséquences de l’embrasement à Tataouine et du malaise généralisé d’une jeunesse qui peine à croire à des discours pompeux et flasques qui n’arrivent plus à vendre de rêves, BCE sort une autre carte celle de la « suprématie de l’Etat », et il oublie qu’il n’est de suprématie que cella des Hommes. On se demande comment peut-il encore employer ce terme alors que la seule suprématie qui compte pour le Tunisien aujourd’hui c’est son pouvoir d’achat et sa survie. Un tunisien plongé dans la dette, agressif, irritable, irritant et hostile à toute sorte de politique sans son pays.
Il faut dire que la déception qu’il a vécu n’est pas des moindres. Comme une sorte d’ascenseur émotif on est venu lui dire qu’il avait droit de rêver, un certain 14 janvier 2011, puis on est venu lui vendre du rêve dans des campagnes électorales insignifiantes, il décide de suivre le mouvement quand, sitôt il se rend compte qu’on lui a menti, encore une fois. Toute réaction de blasement et d’amertume est compréhensive et tolérée par la logique.
Des revendications légitimes
Seulement, bien installé dans son siège, le président ne compte pas prendre le risque de se voir éjecté, il décide alors de rompre avec la vente des rêves et il annonce expressément que les revendications des enfants de Tatatouine sont « incapacitantes », en oubliant qu’elles sont légitimes.
Pendant 45 minutes, le discours du président a été terne et d’un point de vue de communication, il semblait inquiet et au qui-vive. A aucun moment il n’a été rassurant même si il a essayé d’en donner l’impression. Le président n’a pas hésité à employer le ton de la menace en annonçant que l’armée se chargera de protéger les sites de production et que le ministère de l’Intérieur sera « restructuré ».
« Toute personne voulant manifester manifeste dans le cadre de la loi (…) La démocratie, sa condition c’est l’Etat de droit », a-t-il dit.
Un vide sidéral
En tant que journaliste, après avoir suivi ce discours, j’ai eu la nette impression que l’orateur parlait pour ne rien dire. Il est clair qu’il avait un message important à passer, et dans les coulisses, tout le monde sait que c’est de la loi sur la réconciliation économique qu’il est question mais concrètement, il n’a rien dit.
Et en gros, c’est pour dire qu’il fera passer son discours, advienne que pour, qu’il invita tout cet auditoire qui n’a pas hésité à l’applaudir, fidèle à ses habitudes. Il faut préciser que les Tunisiens ne jouent pas avec les traditions !
Dommage pourtant qu’après toutes années d’expérience, le président n’a pas encore saisi qu’il ne faut jamais s’en prendre au peuple et qu’il ne faut jamais sous-estimer sa volonté. Toutefois, c’est bien ce même peuple qui se sent ébranlé par ce discours qui a, dans la majorité, élu ce président.
Ce que le président a oublié de dire, essentiellement, c’est que les Tunisiens doivent retrousser leurs manches et travailler dur car ils ne devront pas « compter sur lui » ni sur « personne d’autre ». D’ailleurs il n’a pas hésité à leur rappeler qu’ils « n’ont rien », « sauf un peu de phosphate, de l’huile d’olive et des dattes ».
Pourquoi faut-il que, dans un pays qui s’est révolté à travers sa jeunesse et pour sa jeunesse, les citoyens regardent, saliveux, l’élection d’un jeune indépendant de 39 ans à la tête de la République française ?
Est-ce par manque de cohérence ou par manque de conviction que nos rêves demeurent à l’état des rêves ? Avons-nous tant peur de rêver ?