Loin des condamnations virulentes de principe et des postures guerrières des premiers jours, les pouvoirs militaires au Burkina Faso, au Mali et au Niger sont désormais devenus des interlocuteurs incontournables dans la sous-région et pour la communauté internationale.
Francis Sahel
Le ministre burkinabé de la défense le général Kassoum Coulibaly a rencontré le 19 avril son homologue ivoirien Birahima Téné Ouattara à la demande de celui-ci et en territoire burkinabé. Derrière ce rendez-vous réclamé sans aucune condition par la partie ivoirienne, se cache le changement du rapport des forces entre les juntes sahéliennes du Burkina Faso, du Mali et du Niger et leurs vis-à-vis. Il est fini et bien loin le temps où les pays voisins des régimes militaires les prenaient par le haut, les menacer de sanctions et même d’intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel et la démocratie.
Pari gagnant
Avant la Côte d’Ivoire, le Bénin de Patrice Talon avait renoncé à jouer les va-t’en-guerre contre le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au pouvoir à Niamey, au Niger. Après avoir plaidé à de nombreuses reprises pour la levée des sanctions contre son voisin nigérien, le Benin se bat désormais pour convaincre la partie nigérienne de rouvrir la frontière commune, décision indispensable pour la reprise des activités d’import-export vers le Niger à partir du port de Cotonou qui a en tant besoin pour son chiffre d’affaires.
Mais la volte-face la plus spectaculaire est venue de la Communauté économiques des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Alors qu’elle agitait en juillet 2023 la menace d’une intervention militaire pour rétablir Bazoum, la CEDEAO a finalement abandonné toutes ses sanctions contre le Niger, sans même avoir obtenu l’assurance le président nigérien renversé sera libéré par la junte. Fait inédit : l’organisation sous-régionale est allée jusqu’à instruire sa commission pour qu’elle invite désormais les représentants des juntes burkinabé, malienne et nigérienne à ses réunions techniques.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont, de leur côté aussi, allumé le calumet de la paix avec les juntes sahéliennes en reprenant la coopération déjà existante mais en envisageant aussi de nouveaux programmes.
Dividendes de la résilience
Si les juntes sahéliennes ont presque tout obtenu sans réelle contrepartie en infléchissant les positions de leurs voisins, de la CEDEAO, des partenaires techniques et financiers et d’une grande partie de la communauté internationale, c’est surtout grâce à la surprenante résilience dont elles ont fait preuve. Presque tout le monde avait promis l’effondrement de l’économie nigérienne après les décisions de la CEDEAO et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), notamment de fermer les frontières terrestres et aériennes, de geler les avoirs du Niger à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de suspendre l’approvisionnement du pays en énergie. Contre toute attente, le Niger, après le Mali en 2020 et 2021, a fait preuve d’une résilience admirable face aux sanctions de la CEDEAO.
On pourrait dire la même chose du Burkina Faso que la France a cherché à punir, en raison de sa proximité avec la junte malienne, en suspendant l’aide publique au développement (APD) versée à l’Etat burkinabé. A Ouagadougou, la suspension de l’APD n’a eu que des conséquences marginales. Elle a surtout accru l’impopularité de la France dans l’opinion publique qui y a vu une mesure inutile, punitive et vexatoire. A bien y regarder, la résilience du Burkina Faso, du Mali et du Niger repose sur le patriotisme et le souverainisme que les juntes ont su mobiliser. Elles ont convaincu les citoyens d’accepter de consentir tous les sacrifices que nécessite l’affirmation de la souveraineté nationale.
Malgré la grave crise de l’énergie que connaît le Mali du fait de la suspension de la fourniture d’électricité par la Côte d’Ivoire, les Maliens ne désavouent pas la politique extérieure des colonels au pouvoir à Bamako. Ils soutiennent même l’intransigeance d’Assimi Goïta face à Alassane Ouattara dont le pays fournissait l’électricité à la Côte d’Ivoire. Même chose au Niger où les habitants préfèrent le désagrément des délestages à toute acceptation des injonctions de la CEDEAO et du Nigeria. Les Nigériens soutiennent les diatribes enflammées du général Tiani contre le président nigérian Tinubu.
Retour de la manivelle
De nombreuses initiatives de défense de la souveraineté nationales prises par les juntes ont été très favorablement accueillies dans les opinions publiques. Au Burkina Faso, de nouvelles taxes instaurées par les militaires ont permis de mobiliser plus de 150 millions d’euros (100 milliards) pour financer l’effort de guerre. Sans avoir atteint les mêmes montants, au Niger aussi des contributions citoyennes ont permis de doter les forces de défense et de sécurité de nouveaux équipements. Cette autonomie dans les dépenses de sécurité apportée par les juntes s’est greffée à l’indépendance de décisions opérationnelles dans les états-majors des armées nationales.
Depuis les départs des partenaires étrangers et de la MINUSMA pour le Mali, les militaires burkinabé, maliens et nigériens sont seuls à décider des orientations de la lutte contre le terrorisme. Pour eux, ce n’est pas plus mal que les Français soient partis du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Après avoir conquis la souveraineté sur les dépenses militaires et l’autonomie des décisions opérations, les juntes vont profiter du rapport des forces favorables pour devenir seuls décideurs de l’agenda politique. Nul ne pourra désormais venir de l’extérieur pour leur exiger un calendrier de la transition. A fortiori prétendre que Goïta, Tiani et Ibrahim Traoré n’ont pas le droit de se présenter aux prochaines présidentielles dans leurs pays respectifs.
La période transitoire était ainsi censée s’achever le 26 mars2024 au Mali. Il n’en a rien été. Les colonels au pouvoir à Bamako sont désormais tellement sûrs d’eux-mêmes qu’ils ne se sont pas sentis dans l’obligation de fixer une nouvelle échéance pour la fin de la transition. La situation n’est guère différente au Burkina Fao : tout porte à croire que la transition ne s’achèvera pas au mois de juillet 2024, comme initialement convenu entre les militaires et la CEDEAO.
Au Niger, plus de neuf mois après le coup d’Etat, la transition n’a pas même pas encore commencé. A force de n’avoir privilégié que la manière forte contre les juntes sahéliennes en brandissant des sanctions, des embargos ainsi que des suspensions de l’aide au développement, la communauté internationale a perdu sur elles tous ses leviers d’influence.
Ce sont désormais les juntes qui ont la maitrise totale des agendas politiques des transitions. Preuve qu’elles sont passées du statut de parias à celui d’interlocuteurs fréquentables et incontournables.
Les soucis d’Alassane Ouattara avec son voisin burkinabè, Ibrahim Traoré
Francis Sahel