Alors que les réactions sont de plus en plus vives contre les démolitions de quartiers défavorisés, le gouverneur du District, Cissé Bacongo, assure qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs.
Bati Abouè
L’image est révoltante mais elle vient d’un Cissé Bacongo qui n’a pas l’habitude de s’embarrasser de vertus. En effet, pour libérer les emprises de l’autoroute du Nord, comme l’explique son service de communication, le ministre-gouverneur a fait débarquer ses graders et ses pelleteuses un après-midi du lundi 19 février. Et là, sans sommation, ceux-ci ont commencé à défoncer appartements, bicoques, villas, écoles… Pour les populations de Yopougon qui se croyaient désormais protégées après les premiers déguerpissements dénoncés par leur maire, Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, le réveil a été encore plus brutal.
D’autant plus que les plus chanceux de cette folie destructrice sont ceux qui ont juste eu le réflexe de sortir leurs valises, leur lit ou quelques meubles avant que les machines n’écrasent leurs maisons et tout leur contenu. Même un groupe scolaire dans lequel l’Etat ivoirien venait d’affecter, cette année, 1000 élèves n’a pas été épargné. Mais pour qui connaît l’histoire des dix dernières années de démolitions de quartiers, cette violence n’est qu’une simple réplique des déguerpissements opérés à Koumassi où M. Bacongo est justement le maire en exercice. Or, étrange coïncidence, les agents casseurs s’en étaient également pris à un autre groupe scolaire pendant qu’ils étaient protégés par la police nationale et municipale.
C’est donc avec de telles méthodes expéditives que Cissé Bacongo s’est établi une réputation de maire que rien n’arrête. Il s’en vante d’ailleurs dans la mise au point faite à Gesco en expliquant qu’on ne peut pas faire d’omelettes sans casser les œufs.
L’impuissance des tribunaux
Malheureusement, les tribunaux ivoiriens ont peur de lui. Selon une source établie au tribunal de première instance d’Abidjan, il suffirait de retirer les plaintes formulées contre Cissé Bacongo pour libérer les juges ivoiriens des piles de dossiers qui s’accumulent sur leur table. Alors des fois, certaines victimes préfèrent négocier en utilisant leurs relations haut placées. Mais là également, impossible de le faire fléchir. Le maire de Yopougon, du haut de son titre de numéro 2 du RHDP, vient donc de l’apprendre à ses dépens puisque ses coups de semonce très médiatisés lors des premières démolitions ne sont plus que de lointains souvenirs.
En mission de travail en Egypte pour le compte de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo est désormais attendu de pieds fermes par les habitants de Yopougon à qui il avait promis de nouveaux logements et une procédure devant la Cour suprême qui devait se solder, avait-il promis, par l’indemnisation de toutes les personnes disposant d’un document de propriété. Or, comme la dernière fois où il a fait broyer de nombreuses demeures, le District d’Abidjan ne s’est pas préoccupé à Gesco de qui avait ses papiers de propriété en règle.
Pourtant, les installations anarchiques de populations mettent toujours en scène, en arrière-plan des autorisations du ministère de la Construction et de l’urbanisme. A preuve, une cité résidentielle bâtie par la société SCI Jardin d’Eden a également fait l’objet de démolitions alors que l’entreprise immobilière avait justifié des documents légaux auprès de ses clients. Mais rien de cela n’a pu empêcher le District d’Abidjan d’y détruire une trentaine de maisons dont des villas cossues de haut standing.
Prophète du bien-être
Mais Cissé Bacongo prétend ne voir que le bien-être des populations en pensant pouvoir débarrasser Abidjan de ses quartiers précaires avec ses constructions anarchiques, ses bassins orageux, ses logements construits sous des lignes de haute tension qui font croitre les risques d’électrocution et ses commerces installés sur la voie publique. Il n’a pourtant pas été élu. Le poste de gouverneur du District d’Abidjan n’est pas électif et M. Bacongo n’a donc aucune légitimité populaire comparable à celle dont il peut encore se targuer à Koumassi où il est le maire en exercice.
L’autre question préoccupante reste la façon dont la réinstallation des personnes déguerpies par l’Etat a été sortie du discours des gouvernants. Depuis plus de dix ans en effet, le gouvernement démolit et casse mais ne reloge plus comme autrefois. Ainsi, au fur et à mesure qu’ils sont poussés dehors, les habitants des quartiers précaires s’installent dans des zones plus précaires ou dans des villages environnants où se pose aussitôt les mêmes problèmes de salubrité et de sécurité.
Pour le reste, personne n’est dupe des intentions du gouverneur du District d’Abidjan puisqu’à Koumassi, il avait laissé construire des cités fort coûteuses dans les emprises déguerpies. Nul ne sait par ailleurs quels types de commerce il entretient avec les hommes d’affaires locaux qui tirent toujours profit de ce type de démolition dans les quartiers d’Abidjan. Toujours est-il que les populations commencent désormais à s’opposer à ces déguerpissements. Mercredi, les deux sens de l’autoroute du Nord ont en effet été bloqués par des manifestants qui ont brûlé des pneus en guise de protestation. Et la situation demeure vive avec les victimes qui campent encore dans les gravats de leurs anciennes demeures où ils ont construit des hangars de fortune pour se protéger du soleil et de la pluie qui est heureusement rare en cette période de chaleur, le temps de trouver de nouveaux lieux d’habitation.