Kal Akal, une association basée à Kidal, a récemment publié un bilan des atteintes aux droits humains commises de juin à décembre dans le septentrion malien par l’armée nationale et ses alliés russes du groupe Wagner. Elle estime à 129 « les atteintes directes contre des cibles civiles, faisant un bilan non exhaustif d’environ 650 victimes civiles, dont au moins 250 tués, 140 disparitions forcées et une quinzaine d’attaques de drones ou autres vecteurs aériens. »
Kal Akal fait également état de dizaines de détentions arbitraires, d’une vingtaine de viols collectifs, d’une quarantaine de mises à feu et de minages de corps de victimes, d’une soixantaine de blessures graves, de dizaines de spoliations d’objets de valeur, d’argent, de véhicules de particuliers, de produits commerciaux, et de pillages et d’incendie des biens, documentés dans 70% des cas.
« Les types de violations documentées sont, entre autres : des exécutions sommaires, des massacres de masse, des disparitions forcées, des détentions arbitraires, des actes de torture, des destructions de sources d’eau et d’alimentation des populations, des destructions délibérées d’infrastructures publiques et privées, des actions de pillage et de spoliation des biens, des minages de corps de civils déjà tués dans le but d’atteindre plus de personnes », détaille Kal Akal.
« Des milliers de familles ont ainsi été contraintes à l’exil en Mauritanie et en Algérie », poursuit-elle dans un communiqué relayé sur les réseaux sociaux à la mi-janvier.
Dans son rapport de décembre publié sur Facebook, la même association précisait en outre que les « principales cibles de ces violations sont les Touareg, les Arabes et les Peuls. » Elle faisait alors état de vols systématiques « partout où Wagner et les FAMA sont passés », de cas de pillages enregistrés à Kidal, Tadoumoumt, Larnab, Tarkint, Anafif, Ber, Aguelhoc, Ghali Loumo, Lougi, d’infrastructures détruites à Aïn Rahma, Eritedjeft, Tarkint, Tehardjé, Aglal, Tessalit, Larnab, au préjudice de centres de santé, châteaux d’eau, mosquées et domiciles, de plusieurs viols rapportés à Léré, Kidal, Ber, Anafif, de deux feux de brousse dans la région de Kidal, de deux fosses communes au moins contenant chacune plusieurs dizaines de cadavres, dans les régions de Tombouctou et Kidal, ainsi que de 40 arrestations arbitraires, dont deux agents du Comité international de la Croix rouge.
« Presque toutes les populations autochtones blanches ont été chassées de chez elles et le vide est sciemment fait combler par l’Etat par des populations allogènes ou des immigrés venus à la recherche de travail », indiquait Kal Akal dans son rapport de décembre.
La Mauritanie submergée par les réfugiés
En prélude à la bataille de Kidal et depuis lors, de très nombreux témoignages de ces exactions ont circulé sur les réseaux sociaux, parfois accompagnés de photographies. Des mises en scène macabres de décapitation, comme celle que publie Mondafrique, font figure de signature de Wagner.
Si l’on ignore le nombre exact des civils réfugiés en Mauritanie et en Algérie, faute de données publiées par les organisations chargées de leur venir en aide, la Mauritanie semble débordée par leur affluence qui se compte en dizaines de milliers, au-delà, sans doute, de 100 000 personnes. Cependant, tous les civils n’ont pas pu quitter le pays, faute de moyens financiers. Beaucoup ont abandonné leurs villages et leurs animaux pour se réfugier au bout des pistes, là où les mercenaires russes ne peuvent pas circuler faute de route. Une véritable psychose s’est emparée des habitants toureg et arabes du nord du Mali, pris en sandwich entre les patrouilles de Wagner et les frappes aériennes.
Un homme interrogé par téléphone a raconté à Mondafrique que tout le campement où il vivait avait trouvé refuge « dans le grand désert. »
« On a vu beaucoup de personnes tuées devant nous par l’armée. Les Wagner, partout où ils passent, ils tuent. Ils ne font pas de prisonniers. S’ils s’en prenaient au GNIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, affilié à Al Qaida), on n’aurait pas de problème mais nous, on est loin du GNIM et pour Wagner, on est tous les mêmes. Ils tuent tout le monde. Le nombre de personnes de notre village qui se sont réfugiées au camp de M’Bera, en Mauritanie, c’est du jamais vu depuis 1963. Jamais, jamais. » (La première rébellion touareg a été écrasée en 1963 par l’armée de Modibo Keita, en particulier dans la région de Kidal.)
Une psychose jamais vue depuis 1963
« On a abandonné nos animaux. On n’avait pas de quoi s’occuper d’eux. Il fallait chercher comment donner à boire aux gens. Pourquoi Wagner agit comme ça? On n’a rien compris. Ces gens-là, ils font un nettoyage, ils vident la zone. Même les enfants, ils n’épargnent rien, même les enfants de 4 ans ! Même au cinéma, on n’a jamais vu un avion qui bombarde des campements ! Les avions sont pilotés par les Wagner. Ils arrivent les premiers, seuls. L’armée arrive généralement le lendemain. Nous avons perdu complètement espoir », a raconté cet homme, parti chercher de l’aide en ville pour ses parents. On estime que plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de familles ont actuellement trouvé refuge au milieu du désert, sans aucune assistance.
A ce jour, les autorités maliennes n’ont pas fait part de leur projet pour le nord du Mali. Mais les exactions de Wagner continuent d’être rapportées dans toutes les régions du septentrion. Pour les leaders des groupes armés touareg et maures désormais en guerre contre Bamako, il s’agit d’un projet délibéré de nettoyage ethnique.