Y-a-t-il encore un pilote dans l’avion algérien ?

Avec trois petites activités tout au long du mois de juillet, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’exerce plus ses fonctions et n’arrive même pas à faire de la figuration –pour sauver les apparences- ne serait-ce qu’en faisant acte de présence aux cérémonies de la fête de l’Aïd

Boutef-signatureDepuis la réception des joueurs de la sélection nationale de football, le 2 juillet et l’audience accordée, le 15 du même mois, au ministre mauritanien  des affaires étrangères et de la coopération, Ahmed Ould Teguedi, le président Abdelaziz Bouteflika n’a plus apparu sur les écrans de la télévision algérienne. On n’entend plus parler de lui que par des communiqués annonçant des décisions ou des instructions données à ses ministres qu’il ne voit jamais.

L’opinion publique s’est habituée aux absences répétées du chef de l’Etat algérien depuis plusieurs années (et non pas plusieurs mois). Il est bon de rappeler que le dernier discours prononcé en public par Abdelaziz Bouteflika remonte au 8 mai 2012 dans la ville de Sétif à la veille du déroulement des législatives. Sinon, ses apparitions publiques qui ont suivi cet évènement ont été marquées par un sidérant silence que ses plus farouches défenseurs n’arrivent pas à justifier ou à expliquer. Même lors de la célébration du 50ème anniversaire de l’indépendance, le président de la république n’avait pas prononcé le moindre mot à l’adresse du peuple. Quelques mois plus tard, au mois de décembre, lors de la visite du chef de l’Etat français en Algérie, Bouteflika est resté muet tandis que François Hollande avait intervenu à cinq reprises en présence de son hôte.

La cérémonie de l’Aïd évanouie

Si loquace d’habitude au point où il avait monopolisé les écrans de la télé durant son premier mandat par des discours fleuves, Abdelaziz Bouteflika n’arrive plus à discourir au-delà de 2 ou 3 minutes. Les Algériens ont relevé avec justesse le montage grossier réalisé le jour de la présentation de sa candidature à la présidentielle du 17 avril dernier. Les quelques phrases prononcées devant le président du conseil constitutionnel, Mourad Medelci, (l’un des hommes de sa garde rapprochée) s’est faite en deux temps. Un premier temps alors que le soleil inondait la pièce où  il se trouvait. Et un second temps où la pièce devenait sombre du fait du coucher du soleil.

Et contrairement aux autres candidats qui rencontraient la presse sous une multitude de caméras et d’appareils photos, Abdelaziz Bouteflika a été filmé uniquement par le caméraman officiel de la présidence. Aucune déclaration de presse hormis les quelques mots difficilement audibles prononcés à l’adresse du président du conseil constitutionnel.

Sa difficulté à parler a été mise en évidence une fois de plus lors de la cérémonie de la prestation du serment  au lendemain de son « élection » à un quatrième mandat présidentiel. Son frère, Saïd, qui était à quelque mètres de la tribune avait vite fait d’envoyer le chef du protocole changer le texte du discours que devait prononcer le président. Il remplaça le texte initial (il sera lu à la télé par une téléspeakerine) par un autre plus court, prononcé difficilement en moins de deux minutes.

Depuis la prestation du serment, Abdelaziz Bouteflika n’a plus quitté sa résidence d’été (devenue résidence officielle) que pour se rendre le 5 juillet au cimetière d ‘El-Alia pour déposer une gerbe de fleurs sur la tombé du président Boumediene, transformée en la circonstance en carré des martyrs. N’étaient-ce les règles protocolaires, le président algérien ne se serait pas donné la peine de quitter sa résidence médicalisée. Mais quand il est franchement à bout et incapable de faire le moindre effort, le protocole est sacrifié et advienne que pourra. C’est ce qui s’est passé le jour de l’Aïd El-Fitr.

Ayant brillé par son absence lors de la veillée du 27ème jour du Ramadhan, Abdelaziz Bouteflika était attendu pour la cérémonie de l’Aïd. Une cérémonie au cours de laquelle il devait recevoir les vœux des représentants du corps diplomatique accrédité en Algérie, des membres du gouvernement et des représentants des corps constitués. La cérémonie devait avoir lieu à la mosquée, à la fin de la prière de l’Aïd et au palais présidentiel d’El-Mouradia.

L’homme à tout faire à la présidence, en l’occurrence Saïd Bouteflika qui refuse d’avouer l’incapacité du président non seulement à gérer les affaires du pays mais à faire acte de présence, même sur un fauteuil roulant, dans une cérémonie imposée par les traditions musulmanes, s’est décidé à organiser la réception de l’Aïd à Zéralda. Cela éviterait au président les aléas du déplacement au siège de la présidence de la république à El-Mouradia tout en faisant l’impasse sur la prière de l’Aïd à la grande mosquée d’Alger comme le veut la coutume.

Jusqu’à la dernière minute, le clan présidentiel espérait que l’état de santé du président qui d’était gravement détérioré durant les derniers jours du mois de juillet, allait s’améliorer pour permettre l’accueil des visiteurs qui devaient présenter leurs vœux au chef de l’Etat. Le jour J, le président est toujours mal en point. La cérémonie est, alors reportée au deuxième jour de l’Aïd, ensuite au troisième jour avant qu’elle ne soit tout simplement annulée.

Le mensonge comme outil de détournement

L’absence du chef de l’Etat des cérémonies de l’Aïd ne pouvant passer inaperçue il fallait trouver un moyen pour détourner l’opinion publique et les observateurs les plus avertis. Le crash de l’avion Air Algérie au Mali n’ayant pas été exploité comme il fallait sur le plan de la communication et de la gestion du dossier, à Zéralda (et non plus à El-Mouradia), on se précipite sur l’évènement qui a monopolisé l’attention de l’opinion publique algérienne. Les bombardements de la bande de Gaza et ce qu’ils ont engendré comme malheurs auxquels les Algériens ne pouvaient rester insensibles.

Pourtant, les autorités algériennes avaient mis du temps pour réagir face à l’agression israélienne au point de soulever le courroux des Algériens qui accusaient le pouvoir de leur pays d’avoir vendu la cause palestinienne. Une accusation corroborée par l’interdiction faite aux Algériens de sortir manifester leur soutien au peuple palestinien comme cela s’est fait dans de nombreuses villes et capitales européennes.

Mais pour occulter l’absence du président à la cérémonie de l’Aïd rien n’empêche de récupérer l’évènement en l’enveloppant d’un tissu de mensonges dont seuls les décideurs du cabinet noir algérien ont le secret. Et c’est ainsi qu’on annonce que le président Bouteflika s’était entretenu téléphoniquement, le mercredi 30 juillet (soit le troisième jour de l’Aïd,) avec   l’Emir du Qatar et le président égyptien. Comment oserait-on faire croire qu’un homme inaudible à deux mètres, et auquel on est obligé de lui accrocher un microphone pour amplifier le son, puisse-t-il converser et être entendu par téléphone ? L’on pousse le bouchon plus loin encore on cherchant à faire semblant que l’Algérie est capable de jouer un rôle important sur la scène internationale en faisant croire à un plan proposé par Bouteflika. Quel plan ? « Arrêt immédiat de l’agression israélienne et relance des négociations de paix» nous apprend TSA, un journal électronique proche du palais. Quelle trouvaille ! Une trouvaille géniale que personne d’autre ne pouvait trouver. Le comble de la médiocrité !

Pour faire avaler la couleuvre, les communicateurs de la présidence de la république algérienne annonce à cors et à cris que l’Algérie accorde une aide de 25 millions de dollars aux populations de Gaza. Mais, on ne nous dit pas si cette aide ira dans les caisses de l’OLP que préside Mahmoud Abbas et considéré par l’Algérie comme l’unique représentant du peuple palestinien ou au mouvement Hamas qui dirige la résistance et gère les affaires de la bande de Gaza sans reconnaître l’autorité de l’OLP ? En attendant la réponse à ces deux questions fort pertinentes, les 25 millions de dollars, selon des sources bien informées, ne sont pas encore sortis des banques algériennes ni des banques américaines où dorment plus de 250 milliards de dollars dont on ne sait quoi en faire à Alger.

Bouteflika est-il le Roosevelt algérien?

Lors de la campagne électorale pour un quatrième mandat les flagorneurs du président ne cessaient de rabâcher que leur candidat disposait de toutes ses facultés mentales et que seules ses jambes posaient problème. « Il ne va pas gérer le pays avec ses pieds » lancera l’un de ses partisans. D’autres n’ont pas hésité à faire le parallèle avec le président américain Franklin Roosevelt pour avoir un point commun celui du fauteuil roulant. Faut-il rappeler à ces Messieurs que le président américain n’a pas dirigé son pays par des communiqués de presse rédigé par son frère. Roosevelt n’a pas été l’un des principaux acteurs de la  seconde guerre mondiale tout en se permettant de rompre avec l’isolationnisme traditionnel de son pays en gardant le lit dans sa résidence d’été ou en se faisant représenter par ses ministres aux grandes réunions des chefs d’Etats. Au plan interne, il initia le programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage et réforma le système bancaire américain. Où en de tout ça le président algérien.

A tous les évènements internationaux qui devaient marqués par la présence de son président,  l’Algérie se fait représenter par des hommes de petite envergure et qui semblent parfois effrayés par leurs hôtes. C’est le cas du président du Conseil de la Nation (le sénat), Ahmed Bensalah qui semblait impressionné par le président mauritanien qu’il est allé féliciter au nom de Bouteflika. Abdelmalek Sellal, l’homme aux mille et une bourdes, ne ferait pas mieux lors de la réunion au sommet Afro-Américaine où il est appelé représenter son président.

Au plan interne, Bouteflika outre le mépris qu’il affiche au peuple en s’abstenant de lui adresser des messages de vœux que ce soit à l’occasion des fêtes nationales ou religieuses comme le veut la tradition, il ne réagit à aucun évènement de la vie du pays. Il est resté insensible aux évènements de Ghardaïa qui durent depuis plusieurs mois malgré les appels incessants de la population mozabite. Tout comme il n’a pas eu la moindre compassion pour les victimes du dernier tremblement de terre vécu qui a secoué la capitale.

Les Algériens semblent s’habituer à l’absence d’un président dont l’élection a été fortement entachée d’une vaste et grossière opération de fraude additionnée à un taux d’abstention qui a battu tous les records en dépit du bourrage des urnes. Mais, qu’en est-il des autres institutions du pays et notamment de l’armée ? S’il est vrai que le conseil constitutionnel est passé sous la coupe de l’un de ses fidèles et que les deux chambres du parlement ont perdu toute crédibilité après l’arrivée dans leurs travées de gens dont le principal souci est de fructifier leurs affaires en profitant de l’immunité parlementaire et des relations qu’on puisse tisser à partir de ces institutions, il n’en demeure pas moins que l’armée dont la puissance sur la scène politique a de tous temps été mise en évidence brille par son silence comme son chef suprême brille par son absence.

Trop compromis dans des affaires de corruption ou soucieux tout simplement de préserver leurs privilèges et leurs postes, les chefs militaires au nom de la sacrosainte non ingérence des affaires politiques sont, aujourd’hui, des témoins impassibles de la déliquescence d’un Etat qui est à la veille de la célébration du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération. Un anniversaire que rien n’indique qu’il sera fêté comme il se doit tellement les patrons de l’Algérie semblent avoir honte d’évoquer le sacrifice de ceux qui ont donné leur vie pour l’édification d’un Etat algérien moderne. Un rêve que les dirigeants actuels du pays ont lamentablement détruit.