Comment devient-on jihadiste? L’énigme Abubakar Shekau, chef de Boko Haram (1/4)

La récente médiatisation internationale du leader de Boko Haram, Abubakar Shekau n’a pas levé le voile sur ce personnage intriguant d’Afrique centrale et occidentale. Les commentateurs sont allés bien vite pour dresser le portrait du chef jihadiste que l’on connaît finalement uniquement par ses interventions filmées

Shekau_Boko_HaramIl a l’air de sortir d’un film de pirates. Enturbanné et armé jusqu’aux dents, Abubakar Shekau se dispute la vedette d’ennemi mondial numéro un avec Abou Bakr Al Baghdadi, calife autoproclamé et chef du Dah’ech (Etat islamique en Irak et au Levant-EIIL). Alors que Baghdadi est présenté comme « le nouveau Ben Laden », Shekau lui se contente de surnoms moins prestigieux tels que « gourou fou » ou « imam fanatique ».

En réalité, le parcours de Shekau est très mystérieux. On ne connaît pas son âge et sa biographie n’est faite que de bribes qu’il a lui même mises en avant. Il affirme surtout avoir reçu une formation islamique pointue qui lui donnerait une légitimité pour justifier son statut de chef spirituel de la milice. Il n’existe aucune trace de son passage dans les centres islamiques les plus prestigieux. Il aurait vraisemblablement été éduqué par le fondateur du mouvement, Mohamed Yusuf, affirment les journalistes.

« L’imam caché »

Faire un portrait de Shekau est une prouesse tant il est clair que le peu d’éléments biographiques connus ont été avancés par l’islamiste lui-même. On sait en revanche que celui qu’on appelle maladroitement l’imam caché n’a rien du Mahdi (sauveur attendu à la fin des temps par les musulmans). À la manière d’un Ben Laden, son pédigrée est plus politique que religieux. Originaire du Nigéria, certains affirment de la ville de Shekau, ou du Niger, il ne peut évidemment se prétendre d’une lignée islamique prestigieuse.

Certains commentateurs affirment qu’il souhaite faire reposer sa légitimité islamique sur le surnom qui lui est prêté « Darul Tawhid », le spécialiste du Tawhid –  unicité de Dieu. Idée saugrenue quand on sait qu’il s’agit d’un principe clairement évoqué par le Coran et qui ne peut être remis en question. Dans les faits, le chef politique devrait plutôt être appelé « Darul Shirk », péché contre l’unicité de Dieu ou associationnisme, ou « Darul Takfir », pratique qui consiste à jeter l’anathème sur les personnes qui s’éloignent de la « vraie foi ». Comme tous les prétendus réformateurs de l’Islam, il prêche un retour aux origines et s’en prend d’abord aux musulmans pas assez rigoristes. Mais, estime un fin connaisseur de la langue arabe, « la seule diffusion d’un tel surnom illustre bien le flou qui entoure ce personnage. Il serait bien inédit d’utiliser le mot “dar” qui, en arabe, fait toujours référence à un lieu (comme dar al-Islam ou encore Dar al-Qamar) pour désigner une personne. Etirer le sens du mot pour vouloir lui donner le sens de “spécialiste” relèverait soit de la poésie classique soit du “mal-dit”. Dans tous les cas, il serait bien maladroit de la part d’un chef de guerre de vouloir s’affubler d’un surnom que Google référence comme un hôtel 5 étoiles à Riad… »

Héritage de Mohamed Yusuf

Une chose est sûre, Abubakar Shekau a gravi les échelons du mouvement Boko Haram lorsque Mohamed Yusuf était encore à sa tête. Le fait qu’il en prenne la succession en 2009 au moment de la mort de Yusuf, capturé et torturé par la police nigériane, suggère qu’il avait une certaine légitimité. À défaut de bénéficier du prestige et de l’image de réformateur qu’avait Ysuf,  Shekau, s’impose comme chef de guerre. Depuis qu’il est à la tête du mouvement environ 3 000 personnes ont été tuées.

« Il est évident qu’un psychopathe drogué ne saurait durablement imposer son commandement à des centaines, voire des milliers de militants en armes. Shekau n’est peut-être pas Götz von Berlichingen mais il y a déjà presque six ans qu’il a pris la tête d’un mouvement politico-militaire actif et il s’y maintient apparemment sans difficulté » commente Alain Chouet, ancien chef du « service de renseignement de sécurité » à la DGSE (les services français).

L’objet politique non identifié que représente Boko Haram avec sa force de déstabilisation au Nigeria, Niger, Cameroun et au Tchad est prise très au sérieux par les autorités locales mais aussi par la France qui a organisé en mai un mini-sommet sur le sujet. Mais comme l’explique Alain Chouet, il faut se méfier du culte de la personnalité des criminels « comme tous les djihadistes inspirés du salafisme wahhabite, il est un outil jetable et remplaçable au service des intérêts des pétromonarques » ou de ceux qui financent le matériel flambant neuf dont ses hommes disposent.