La terrible solitude de la France dans sa lutte contre le terrorisme en Afrique

Auditionnés le 31 mars, les députés François Loncle (PS) et Pierre Lellouche (UMP) dressent un bilan très amer de l’engagement militaire français en Afrique.

1629920_6251940_800x400Leur cri d’alarme devant la commission des Affaires Etrangères de l’Assembée Nationale est passé inaperçu. Il doit aujourd’hui être réécouté à la lumière des événements de la semaine, la mort de centaines de migrants dans plusieurs naufrages de bateaux venant de Libye et la menace terroriste toujours présente. Deux députés français, François Loncle, pour le parti socialiste, et Pierre Lellouche, pour l’UMP, de retour de mission dans trois pays sahéliens, le Niger, le Burkina Faso et le Mali, dressent un constat alarmant, s’inquiètent de l’enlisement de l’opération militaire Barkhane et surtout font le constat de la terrible solitude de la France sur ces théâtres d’opérations.

Si l’Italie est seule, abandonnée par l’Europe, face à l’afflux de migrants, la France est encore plus seule dans sa lutte contre le terrorisme déclenchée par François Hollande avec son intervention militaire au Mali. Les autres pays européens ne lui apportent qu’une aide symbolique, la palme du cynisme étant détenue par la Grande-Bretagne qui  a décidé de se désengager complètement, au point de se désintéresser totalement de la lutte contre Boko Haram au Nigéria, pays dont elle est pourtant l’ancienne puissance coloniale et où elle possède d’importants intérêts pétroliers. Son Premier ministre, David Cameron, avait, de concert avec Nicolas Sarkozy,  envoyé ses avions bombarder en 2011 la Libye de Kadhafi. On connaît aujourd’hui le résultat: un pays livré à un chaos inextricable où prospèrent les islamistes de Daesh, des stocks d’armes considérables abandonnés par les troupes de Kadhafi qui se retrouvent entre les mains des djihadistes locaux. Pourquoi les Britanniques s’inquiéteraient-ils? Les Français sont là pour faire le travail en Afrique et pour arrêter les migrants à Calais. Les deux députés auditionnés par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 31 mars dernier, font d’autres constats tout aussi alarmants.

Cri d’alarme

1- Le Qatar et l’Arabie Saoudite continuent leur travail de sape. On connaît le rôle qu’ont tenu ces deux pays, par leurs financements occultes,  dans le dévoiement des « révolutions » arabes, particulièrement en Libye, en Syrie où ils ont largement contribué à l’expansion de Daesh. Ce qui ne les empêche pas de rester des alliés  privilégiés de la France. »Au Niger, au Mali et même au Burkina, affirme François Loncle, l’islam wahhabite progresse au détriment de l’islam local, traditionnellement tolérant et modéré. Les mosquées et écoles coraniques financées par des ONG qataries ou des fonds saoudiens prolifèrent. Le Niger porte déjà les stigmates d’une « République islamique » : les fonctionnaires s’arrêtent de travailler pour leurs 5 prières quotidiennes et les cérémonies officielles commencent par une bénédiction de l’imam ».

2-  Le Sahel s’enfonce dans l’extrême pauvreté. Le Niger consacre 10% de son budget à sa défense et à la lutte contre Boko Haram. En même temps, note Loncle, « son système éducatif, comme celui de ses voisins, est quasiment en faillite » et produit 70% d’analphabètes. A cela s’ajoute « une démographie galopante et incontrôlée. Au Niger, une femme a en moyenne 7,6 enfants, pour un taux de croissance démographique de 4% par an. La population, qui compte 17,8 millions d’habitants aujourd’hui, aura doublé dans moins de 20 ans. Au-delà des nuances de taux, ni le Niger, ni le Mali, avec 6,9 enfants par femme, ni le Burkina Faso, avec 5,7 enfants par femme n’ont amorcé leur transition démographique. »

3. La situation sécuritaire dans le nord Mali reste préoccupante. « De l’avis de tous les militaires, affirme François Loncle, Kidal est un « véritable nid de guêpe ». Il existe une réelle collusion entre terroristes, trafiquants et groupes armés, et les frontières entre ces différentes catégories sont poreuses et fluctuantes. Certaines personnes, en particulier les trafiquants, profitent de la situation actuelle et ont intérêt à la voir se prolonger, pour imposer sur le terrain le contrôle des routes de la drogue  Les attaques terroristes se poursuivent dans le nord du pays. La MINUSMA (force africaine parrainée par l’ONU) paie un lourd tribut : elle compte 51 morts et plus de 170 blessés depuis le début, ce qui en fait l’opération de l’ONU la plus meurtrière de tous les temps. Aussi inquiétantes sont les infiltrations terroristes vers le sud, comme l’ont montré l’attentat contre le restaurant La Terrasse à Bamako et la découverte d’une importante cache d’armes dans cette région. »

4. Un lourd investissement financier pour la France. Outre les opérations militaires qui coûtent plusieurs centaines de millions d’euros par an, la France « a contribué à hauteur de 380 millions d’euros à la conférence des donateurs pour le Mali organisée en 2013, dont 280 millions d’euros à titre bilatéral et plus de 100 millions d’euros au titre de sa contribution à l’aide de l’Union européenne. Par ailleurs, l’aide bilatérale apportée par l’Agence France développement (AFD) a fortement augmenté au cours des dernières années, avec 174 millions d’euros en 2014 dont 72 millions sous forme de prêts. »

5. Un engagement à long terme. L’engagement militaire français au Sahel risque de durer des années. François Loncle rapporte des propos du Général Salaün, commandant de la force Barkhane, selon lesquels, « dans toute la bande sahélo-saharienne, la France est assise sur le couvercle de la marmite. » « Si on enlève Barkhane, poursuit le député, cela induira des risques de déstabilisation en cascade pour tous les pays de la sous-région. La menace terroriste n’a pas pu être éradiquée. Les militaires estiment qu’il y a encore 300 à 500 terroristes dans le nord-Mali, et que leurs forces se régénèrent en dépit des opérations, en raison du chaos libyen. Par ailleurs, les forces spéciales nous ont dit qu’ils avaient du mal à capturer les grands chefs qui se réfugiaient souvent en Algérie »

« La Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), censée être notre « ticket de sortie », ne peut pas se débrouiller sans Barkhane qui est son « assurance-vie », dit encore le député PS. Premièrement, cette force n’a pas de mission de contre-terrorisme. En outre, elle accuse de nombreuses faiblesses intrinsèques concernant le nombre et la formation des hommes, le manque d’équipements et le soutien structurellement défaillant. Ces faiblesses combinées à la forte mortalité ont induit une frustration voire une démotivation des troupes, certaines refusant d’obéir, à l’image du contingent sénégalais. »

6. Peu de remerciements et beaucoup de critiques. « Au Niger, continue Loncle, il existe une croyance bien ancrée que la France est présente militairement dans le pays pour accaparer les ressources, en particulier le maigre filon d’or qui a été découvert dans le nord du pays. Pour certains Nigériens, « la France n’est pas l’alliée du Niger mais l’alliée d’Issouffou ».  Au Mali, les dirigeants politiques oscillent entre remerciements et critiques. Ils en veulent à la France de ne pas avoir pris Kidal. Les conversations contiennent souvent des reproches plus ou moins voilés : l’aide internationale n’arrive pas assez vite, les équipements non plus… ». Du côté de Pierre Lellouche, l’inquiétude est encore plus grande:   » De force d’intervention, nous risquons de devenir – et d’être perçus comme – une force d’occupation du Sahel. Il ne s’agit pas d’un jugement moral, simplement d’un constat. Nous sommes partis pour une présence durable, sur une zone qui mesure plus de deux à trois fois la France, avec les problèmes considérables de logistique, de communication, d’usure des matériels que cela suscite. Un moteur d’hélicoptère s’use dix fois plus vite dans les conditions du Sahel. »

7. L’accord de paix d’Alger ne réglera rien. Pour Lellouche, « ce non-accord, puisqu’il n’a pas été signé par plusieurs mouvements touaregs au Nord Mali, est un monument de verbiage institutionnel, mélange de loi de décentralisation à la française, de financements hypothétiques censés provenir de la générosité de la communauté internationale, mais qui évitent soigneusement la question de l’autonomie des provinces du Nord. Le Mali est coupé en deux depuis 60 ans : les musulmans du Nord peuvent-ils être intégrés dans une nation dominée par les bambaras du Sud ? »  « Les négociateurs ont joué aux Lego, poursuit le député UMP, mais ce sont des boîtes vides : le texte ne prévoit ni fédéralisme, ni autonomie, simplement une libre-administration. L’Azawad est divisée en trois collectivités locales afin de bien isoler les Touaregs. »

8. Les Européens ne font rien.  « Nous sommes seuls sur le terrain, constate Lellouche. Les Américains ont, en tout et pour tout, quatre drones Predator déployés à Niamey et quelques forces spéciales, c’est-à-dire quasiment rien ! Autrement dit, nous faisons seuls et à nos frais le travail de stabilisation du Sahel – objectivement à leur profit. Quant aux Européens, ils ne font rien ou quasiment à l’exception partielle des Pays-Bas, dont on ignore s’ils maintiendront leur contingent de 500 soldats. Les pays qui n’ont pas de problème de déficit, à commencer par l’Allemagne, ne sont pas prêts à mettre le moindre centime dans cette affaire. »