Aly Nouhoum Diallo: les Maliens vivent dans la crainte de la junte militaire!

Dans ce texte publié à Bamako le 20 mai, le professeur Aly Nouhoum Diallo, maître de Conférences, agrégé de médecine interne, ancien président de l’Assemblée Nationale du Mali et du parlement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, président d’honneur du Parti Africain pour la Solidarité et la Justice (Adema-P.A.SJ) met en cause les colonels au pouvoir et interpelle ses camarades de la révolution démocratique des années 1990 sur les luttes passées de ses compatriotes et leur nécessaire continuité. 

Désormais seuls maîtres à bord du bateau de l’Empire, les colonels du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) semblent résolus à faire marcher au pas les associations, les mouvements et partis politiques. Ils entendent être seuls à diriger le Mali, dire ce qu’ils pensent, faire ce qu’ils veulent. Naturellement le peuple Malien applaudira la suspension des activités voire la dissolution des associations, des mouvements et partis politiques. Il laissera dire. Il laissera faire. Dans une frustration profonde, il est vrai et pour cause ! Les colonels du CNSP ont des armes. Le peuple malien a peur des armes. Il n’a jamais fait face à des armes, ni affronté des chars même dans son histoire récente !
Et pourtant les cinq colonels et leurs alliés devraient méditer sérieusement sur ces propos de Karl Marx tirés du 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, allias Napoléon III : « Les hommes font leur histoire ; mais ils ne la font pas arbitrairement dans les conditions choisies par eux, mais dans les conditions directement données et héritées du passé ! La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».
Paraphrasés par nous, ces propos du putschiste du 02 décembre 1851 pourraient aussi s’écrire : les masses font l’histoire, mais elles ne choisissent pas les conditions dans lesquelles elles font l’histoire. Et elles écrivent l’histoire avec leur propre subjectivité !
Attention, les colonels au pouvoir ! Les masses laborieuses éduquées, formées politiquement et idéologiquement deviennent une force matérielle, intellectuelle et spirituelle invincible pouvant soulever les montagnes. Elle peut tout renverser sur son passage, y compris les blindés !
C’est mon rôle aujourd’hui d’alerter, de conseiller ceux qui, les armes à la main, sont actuellement au pouvoir. Leur conseiller d’éviter d’être grisés par la possession des armes ! De vous conseiller parce que tout simplement, je suis le tonton, voire le grand-père de la plupart des colonels au pouvoir. De vous conseiller, parce que le destin du Mali est provisoirement, transitoirement, entre vos mains !
Le colonel Assimi Goïta avec tout le respect qui lui est dû, avec la considération que j’ai pour les chefs d’Etat, ne sera que le chef transitoire de l’Etat du Mali tant qu’il ne sera pas investi par les urnes comme Président de la République du Mali.
Surtout, ne vous comportez pas comme les Wodaabe à la veille de l’épique bataille de Mayel, en 1889, entre les troupes du colonel Archinard et l’armée du Tooro au Karta. Les Wodaabe rivalisaient de surenchère :
– Moi demain, j’arracherai des feuilles d’arbres et irai boucher les canons des Toubabs avec !
– Moi, avec mon talon, je boucherai le canon du Toubab…
Ali Bouri N’Djaye Damel (roi) du Jolof dit : attention les Wodaabe ! Demain il ne s’agira pas de bravoure, encore moins de témérité. Demain il s’agira d’user de l’intelligence. Je vous propose de m’adjoindre (99) quatre-vingt-dix-neuf jeunes que je vois piaffer d’impatience d’affronter les troupes du colonel Archinard !
Nous serons (100) cent hommes, et dès cette nuit, nous égorgerons les animaux de trait (chevaux, ânes, chameaux, bœufs) qui tirent les canons. Ainsi les Toubabs ne pourront pas transporter leurs canons à Mayel et nous pourrons les assiéger et gagner la bataille !
Héy ! Ali Bouri ! Dis que tu as peur d’affronter les troupes coloniales ! Si tu étais si stratège que tu voudrais le faire croire, tu n’aurais pas été vaincu, pour être obligé d’abandonner ton trône et d’errer à présent !
Mes colonels, ne faites pas comme les Wodaabe !
Vieil Ali Nouhoum, si tu maîtrisais à ce point l’art de prendre le pouvoir et de le garder, de gérer le pays, le Mali ne serait pas dans « l’Etat de délabrement où il est ! Les hommes politiques maliens ne seraient pas vomis par le peuple comme ils le sont à présent ». Ils sont vomis, vomis par le peuple qui ne les écoute plus ». Et pourtant vous jugez utile, mes colonels, de suspendre leurs activités après avoir dissous certains partis et certaines associations de nature politique.
Attention, mes colonels ! Au lieu de renforcer la cohésion sociale, vous courrez le risque de disloquer la société malienne et de freiner la Nation malienne en construction.
Attention, mes colonels !
Le dialogue direct inter-Maliens sans les principaux protagonistes civils et militaires de l’Adrar des Ifoghas et du Maassina est plutôt un monologue entre initiés du Komo ! Et sans la classe politique dont les activités sont suspendues, ce dialogue devient une causerie entre camarades et amis qui conviennent que la cause est entendue.
Ne vous privez pas des femmes et des hommes d’expérience en politique ! Les arbres sans racines profondes meurent rapidement. Ceux et celles qui vous crient : ‘du passé, faisons table rase ! Balayons la vieille classe politique!’ oublient que’ du passé, faisons table rase !’ est suivi immédiatement de : ‘foules esclaves, debout ! Debout !’
Les descendants de tonton Yacouba Maïga, Mahamane Alhassane Haïdara, Alhousseyni Umar Touré, Ataher Maïga, Ousmane Bah et Bakara Diallo de l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA) ne doivent jamais oublier que c’est parce qu’ils ne voulaient pas que la Fédération du Mali indépendante envoie ses enfants combattre leurs frères algériens; parce que, pour le Président Modibo Keïta et les membres du gouvernement fédéral, la Fédération du Mali indépendante devait initier un marché commun ouest-africain, battre sa propre monnaie, toutes idées que ne partageaient pas le Général De Gaule et ses alliés africains, notamment sénégalais, que la Fédération du Mali a éclaté dans la nuit du 19 au 20 août 1960, à peine née !
Le Manifeste du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) conçu sur le bord de la Seine mais né le 18 octobre 1946 à Bamako sur les bords du Joliba ; les Principes de Bandung ; ceux des Non Alignés de Belgrade en 1961 ont tous insisté sur l’Indépendance, le respect des intérêts des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, le respect de la dignité des peuples du monde. Ce sont tous ces textes qui ont toujours inspiré les révolutionnaires du Mali. Ces révolutionnaires ne sont pas nés aujourd’hui.
Mes colonels, les discours n’impressionnent pas les octogénaires, encore moins les plus âgés.
Attachez-vous à vos aînés, civils et militaires de toutes obédiences ! Gardez-vous de ceux et celles qui vous flattent. Approchez ceux et celles qui critiquent vos actions avec des arguments solides, et vous réussirez.
Evitez de vous diviser sur la base de vos ambitions personnelles.
Préservez le Mali du spectacle tragique qui se déroule au Soudan et faites-en sorte que la guerre en cours en Ukraine ne se transporte pas au Mali.
Le Mali a toujours su garder ses distances vis-à-vis des grandes puissances et rester non aligné
L’ADN des Maliens, c’est l’esprit d’indépendance, la fierté d’être soi. Combien d’élèves, de lycéens, de collégiens ont obligé à sauter par la fenêtre des professeurs colons arrogants, manquant de respect aux Africains ?
Combien d’entre les élèves se sont fait renvoyer parce qu’ayant porté la main sur leurs professeurs pour atteinte supposée à leur dignité ?
Rétablissez les partis, les associations et mouvements politiques dans leurs droits, dans la liberté d’expression, de réunion dans les lieux publics et avançons !
Aucune formation politique n’a troublé l’ordre public mais elles ont veillé à l’effectivité des droits conquis tout au long de l’histoire du Mali, particulièrement lors des années de braise. Ne les obligez surtout pas à aller dans la clandestinité. Ce serait une dure épreuve pour tout le Mali. Car il est établi que la capacité de s’indigner et de s’insurger des Maliens ne mourra jamais.
Certes, de brillants intellectuels d’horizons divers, de toutes les disciplines, parfois s’intéressant particulièrement à l’élaboration d’un « corpus doctrinal islamique malien », ont été invités à ce dialogue direct inter-Maliens. Ces brillants intellectuels ont déployé leurs talents devant des femmes et des hommes assoiffés de savoir. Ils ont ébloui ! Ils ont émerveillé ! Ils ont épaté ! Ils ont ému, peut-être même fait couler les larmes de certains participants.
Mais également ils ont fait rire d’autres intellectuels présents dans les salles où ils se produisaient. Osera-t-on, pour autant, dire, avec tout ce travail abattu pendant cinq jours, qu’ils ont distrait le peuple (au sens premier du mot distraire) pour gagner du temps ? Osera-t-on dire que les colonels les ont invités pour amuser la galerie afin qu’EUX atteignent leur but : perdurer au pouvoir ?
L’essentiel pour les intellectuels, c’est qu’ils ont constaté avec plaisir que l’auditoire buvait leur parole. Ils sont sortis heureux de la salle où ils, elles, ont livré leur message ; l’essentiel c’est qu’ils ont été consultés et s’en réjouissent.
Et c’est tant mieux d’avoir assuré le bonheur de tant d’intellectuels pendant une semaine. Félicitations au Colonel Assimi Goïta et au Président du Comité de Pilotage d’avoir réussi leur pari.
Les rideaux des journées consacrées au dialogue direct inter-Maliens sont tombés.
Chacun des participants brandit les résolutions dont il est l’auteur ou co-auteur.
Un parmi eux juge essentielles les cinq résolutions suivantes :
1. Engager le dialogue avec tous les mouvements armés maliens ;
2. Ouvrir le dialogue doctrinal avec les groupes armés dits djihadistes de Hamadoun Koufa et d’Iyad Ag Ali et mettre à contribution les érudits de la Oumma islamique malienne pour définir le corpus doctrinal des débats à mener avec ces groupes ;
3. Créer un cadre de concertation entre les pouvoirs publics, les partis politiques, la société civile, les légitimités traditionnelles, en vue d’un consensus autour de la Transition ;
4. Faire comprendre à l’opinion nationale que la seule action militaire n’est pas suffisante pour le retour de la paix ;
5. L’appel fait par le Président de la Transition à ceux et celles qui n’ont pas pris part au dialogue direct inter-Maliens de les rejoindre.
D’autres retiennent plutôt la recommandation de prolonger la Transition, d’élever les six colonels au grade de généraux, d’inciter le Président de la Transition le Colonel Assimi Goïta à se présenter à l’élection du Président de la République après, bien-sûr, avoir modifié la Charte de la Transition qui le lui interdit et introduit des conditions pour lui ouvrir ce droit.
Bien-sûr que les militants du mouvement démocratique malien d’hier et d’aujourd’hui vont pousser des cris d’orfraie !
Mais, les amis, ne vous en faites pas ! Les salaires des six nouveaux généraux et de leurs staffs n’augmenteront pas outre mesure le train de vie de l’Etat d’autant que, concomitamment, les financements publics accordés aux partis politiques seront supprimés, bien qu’ils soient reconnus d’utilité publique. Ne riez surtout pas camarades !
Camarades des partis politiques, ne vous plaignez pas de cette suppression. Avez-vous oublié que la Conférence Nationale Souveraine du Mali tenue du 29 juillet au 12 août 1991, présidée par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, Président du Comité de Transition du Salut du Peuple (CTSP), avait rejeté le principe de financement public des partis politiques, n’avait pas prévu un seul rotin pour eux !
Ne vous plaignez pas donc ; ne nous comparons pas aux généraux, plus utiles en ces temps d’insécurité généralisée !
Continuons à nous battre pour avoir le droit d’exister et montrer combien les progrès effectués par le Mali depuis le coup d’Etat du 19 novembre 1968 et bien avant sont l’œuvre des partis politiques, des associations et mouvements politiques.
Il faut clore cette alerte par une suggestion : la sagesse voudrait que par l’ouverture d’un dialogue doctrinal direct, franc, sincère avec ceux qui, au nom de l’Islam, prônent le Jihad pour instaurer la Charia, les colonels qui dirigent seuls le Mali évitent à la Patrie de tant de héros le démarrage d’une guerre de cent (100) ans, après celle de trente (30) ans terminée avec le retour à Kidal le 14 novembre 2023.