Pour HRW, les droits humains ne sont pas respectés au Rwanda


Les autorités devraient respecter la liberté d’expression, et mettre fin aux arrestations et aux poursuites arbitraires, d’après Human Rights Watch (HRW) 

(Nairobi, le 14 juin 2024) – Les autorités rwandaises ont réprimé l’opposition, les médias et la société civile à l’approche des élections générales qui doivent se tenir le 15 juillet 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient s’assurer que tous les Rwandais sont en mesure d’exprimer librement leurs opinions et d’exercer leur droit de vote de manière équitable et pacifique ; elles devraient aussi libérer les personnes détenues arbitrairement, notamment pour des raisons politiques.

Quatorze membres du parti d’opposition non enregistré Dalfa-Umurinzi et quatre journalistes et détracteurs sont derrière les barreaux. Plusieurs sont en attente de leur procès – certains sont en détention provisoire depuis plus de deux ans – tandis que d’autres ont été reconnus coupables d’infractions incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains. Depuis la dernière élection présidentielle du pays en 2017, au moins cinq membres de l’opposition et quatre détracteurs et journalistes sont morts ou ont disparu dans des circonstances suspectes.

« Les menaces de violences physiques, les procédures judiciaires arbitraires et les longues peines d’emprisonnement, qui conduisent souvent à des actes de torture, ont de fait dissuadé de nombreux Rwandais de s’engager dans des activités d’opposition politique et d’exiger que leurs dirigeants rendent des comptes », a indiqué Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités devraient mettre fin aux détentions arbitraires et garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, essentiels à la tenue d’élections véritablement libres et équitables. »

Trois candidats se présentent à l’élection présidentielle : le président sortant Paul Kagame (Front patriotique rwandais, FPR) ; Frank Habineza (Parti démocratique vert du Rwanda, PDVR) et un candidat indépendant, Philippe Mpayimana. En 2017, alors que ces mêmes personnes étaient candidates aux élections, Frank Habineza et Philippe Mpayimana avaient déclaré être victimes de harcèlement et la cible de menaces et d’intimidations après l’annonce de leur candidature. Philippe Mpayimana avait remporté 0,73 pour cent des voix tandis que Frank Habineza avait obtenu un score de 0,48 pour cent.

Au cours des décennies de présidence de Paul Kagame, les autorités gouvernementales ont commis de nombreuses violations des droits humains à l’encontre de membres de l’opposition politique, de journalistes et d’autres détracteurs, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et des mauvais traitements, ainsi que des violations des droits à la liberté d’expression et d’association. Les décès et disparitions suspects, pour lesquels la justice est rarement, voire jamais, rendue, ont également créé un environnement dans lequel de nombreux citoyens craignent d’être pris pour cible s’ils s’expriment. La plupart des partis politiques enregistrés soutiennent largement le parti au pouvoir.

La commission électorale a interdit à Diane Rwigara, dirigeante du Mouvement pour le Salut du Peuple, de se présenter aux élections de 2024, au motif qu’elle n’avait pas soumis les documents nécessaires à l’appui de sa candidature. Diane Rwigara avait été arrêtée après les élections de 2017 – dont elle avait également été disqualifiée – avec sa mère, Adeline. Toutes deux ont été libérées sous caution en octobre 2018 et acquittées plus tard des chefs d’inculpation d’incitation à l’insurrection et, dans le cas de Diane Rwigara, de « faux et usage de faux » et d’« usage de faux documents ». Human Rights Watch a constaté que les deux séries d’accusations se trouvaient être motivées par des considérations politiques.

Le parti Développement et Liberté pour tous, ou Dalfa-Umurinzi, de Victoire Ingabire a été empêché de s’enregistrer. Anciennement connu sous le nom de Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi, le parti a fait face à de sérieuses difficultés depuis 2010. Il n’a pas été autorisé à s’enregistrer ni à participer à des élections, et ses membres ont été arrêtés, emprisonnés et harcelés de manière répétée. Depuis 2017, cinq membres du parti sont morts ou ont disparu dans des circonstances suspectes.

Victoire Ingabire, la présidente du parti, a été condamnée à 15 ans de prison pour incitation à l’insurrection, après qu’elle a tenté de se présenter aux élections présidentielles de 2010. Elle a passé huit ans en prison avant d’être libérée en septembre 2018, lorsque Paul Kagame a gracié plus de 2 000 prisonniers. En mars 2024, un tribunal de Kigali a rejeté la demande de Victoire Ingabire de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2024.

Christopher Kayumba, ancien rédacteur en chef du journal The Chronicles, a été arrêté en 2021 peu de temps après qu’il a fondé un nouveau parti politique, la Plateforme rwandaise pour la démocratie (Rwandese Platform for Democracy, RPD). Il a été acquitté des chefs d’accusation de viol et de « comportement sexuel répréhensible » et a été libéré en février 2023. Cependant, en novembre 2023, Christopher Kayumba a été reconnu coupable en appel et condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis. Christopher Kayumba avait précédemment affirmé que des représentants du gouvernement avaient menacé de le « détruire » pénalement s’il ne cessait pas ses activités politiques.

La loi électorale rwandaise prévoit que seules les personnes « intègre[s] » peuvent se porter candidates, interdisant la candidature de toute personne reconnue coupable de « divisionnisme », de « génocide ou d’idéologie du génocide » ou de tout autre crime passible d’une peine de plus de six mois de prison.

Parmi les 14 membres du parti de Victoire Ingabire derrière les barreaux, 8 sont en détention provisoire depuis octobre ou décembre 2021. Un autre a disparu en prison. Human Rights Watch a suivi des procès de membres de l’opposition et d’autres personnes au cours desquels les accusés ont déclaré au tribunal que les agents menant les interrogatoires les avaient torturés pour leur extorquer des aveux.

La société civile rwandaise est affaiblie en raison de nombreuses années d’intimidation et d’ingérence de l’État qui ont en grande partie placé les organisations rwandaises de défense des droits humains dans l’incapacité de documenter publiquement les violations commises par des agents de l’État. Des chercheurs et des journalistes étrangers se sont vu refuser l’entrée sur le territoire rwandais. Cela a notamment été le cas pour une chercheuse senior de Human Rights Watch qui a tenté de se rendre à Kigali en vue de réunions en mai 2024.

Un projet de loi examiné par le parlement pourrait imposer des limites strictes aux opérations et activités de la société civile. Dans sa forme actuelle, le projet de loi donne au gouvernement le pouvoir de refuser l’enregistrement des organisations et de restreindre les opérations des groupes qui « commett[ent] des actes qui compromettent l’unité des Rwandais, la paix et la sécurité, l’ordre public et la santé publique, les bonnes mœurs, la bonne conduite, la liberté et les droits fondamentaux d’autrui ou les activités politiques ». Si elle est adoptée, la loi donnerait à un organisme gouvernemental un pouvoir de supervision et de décision sur les finances et les activités des organisations. Ce projet de loi intervient après l’adoption d’un arrêté ministériel en 2022 imposant des restrictions similaires au travail des syndicats.

Alors que certaines stations de radio privées diffusent occasionnellement des émissions sur des questions politiquement sensibles, le récit officiel promu par le gouvernement domine les médias nationaux et la quasi-totalité de la couverture des élections. Plusieurs journalistes sont morts ou ont disparu dans des circonstances suspectes depuis 2017, tandis que d’autres ont fui le pays. Les journalistes qui utilisent YouTube comme plateforme ont également été la cible de poursuites pour ne pas s’être enregistrés auprès de la Commission rwandaise des médias ou pour avoir publié des informations qui contredisent la version du gouvernement de certains événements, tels que la mort suspecte en détention de Kizito Mihigo, chanteur de gospel et militant, ou la disparition d’opposants au gouvernement.

Le 3 avril, des experts des Nations Unies sur la détention arbitraire, la liberté d’expression, la santé physique et mentale, les défenseurs des droits humains et la torture ont écrit au gouvernement rwandais pour soulever les cas de deux journalistes, Dieudonné Niyonsenga et Théoneste Nsengimana, et d’un membre de Dalfa-Umurinzi, Théophile Ntirutwa, qui sont tous les trois derrière les barreaux.