La réconciliation aux forceps entre Paris et Rabat

Dans un contexte de rapprochement entre la France et le Maroc, les trois sœurs du roi du Maroc Mohammed VI -les princesses Lalla Asmaa, Lalla Meryem et Lalla Hasna- ont été invitées à l’Élysée. Pour sceller leur rapprochement avec le Royaume marocain, Emmanuel et Brigitte Macron ont mis les petits plats dans les grands.

Par ailleurs, le Maroc possède désormais quelques bons amis au sein du gouvernement français dirigé par Gabriel Attal. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, était dans une vie antérieure l’avocat du Palais marocain. En mai 2023, Rachida Dati, alors dans l’opposition et en déplacement à Rabat, avait reconnu la “marocanité“ du Sahara occidental. La désormais ministre de la Culture d’Emmanuel Macron est attendue avec impatience par le pays dont elle possède la nationalité. 

Ian Hamel

Emmanuel Macron a bien tenté, au début de son premier quinquennat, de maintenir un climat apaisé à la fois avec l’Algérie et avec le Maroc. Peine perdue, Il a réussi à se fâcher avec Rabat sans parvenir à sceller avec Alger cet axe privilégié dont lui et Jean Yves Le Drian, longtemps son ministre des Affaires Étrangères, avaient rèvé. Cette année, L’Élysée a sans estimé qu’il était temps de renouer avec Rabat.

Ce rapprochement a souffert au départ de la malencontreuse nomination du très “algérophile“ Stéphane Séjourné comme ministre des Affaires étrangères au sein du gouvernement Attal. Mauvaise pioche! Député européen, président du groupe Renew, il est à l’origine en 2021 d’une résolution appelant le Maroc au respect de la « liberté d’expression », et dénonçant le sort des journalistes emprisonnés. Une autre résolution, en 2023, mettait en cause l’utilisation du logiciel espion Pegasus et montrant du doigt l’éventuelle corruption de députés européens par les autorités marocaines… 

Emmanuel Macron a été contraint de l’envoyer en février dernier à Canossa. Reçu par Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné a apporté le soutien « clair et constant » de la France au plan d’autonomie marocain du Sahara occidental. « C’est un enjeu essentiel pour le Maroc (…) Il est désormais temps d’avancer. J’y veillerai personnellement », a déclaré le chef de la diplomatie tricolore à Rabat, annonçant un nouveau chapitre dans la relation entre le Maroc et la France. Pour preuve, Emmanuel Macron a aussi expédié au royaume chérifien Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Franck Riester, ministre du Commerce extérieur, et Bruno Le Maire, en charge de l’Économie.  

Rachida, l’amie du Maroc

En septembre 2015, François Hollande, alors chef de l’Etat, se rend à Tanger pour renforcer les liens avec le Roi Mohamed VI longtemps en froid avec le pouvoir socialiste qui avait cessé toute coopération en mtière de terrorisme. Ce jour là, François Hollande emmène dans ses bagages deux de ses ministres, Najat Vallaud-Belkacemet Myriam El Khomri, toutes deux d’origine marocaine. Parmi les invités de sa Majesté, se trouve aussi Mehdi Qotbi, un peintre charmant et prolixe qui est devenu le lobbyist incontournable entre la France et le Maroc. Autres amis du souverain, les humoristes Jammel Debbouze et Gadl Elmaleh, assistent au repas. Enfin, cerise sur le gâteau royal,  Rachida Dati, qui appartient alos à une opposition résolue contre les socialistes au pouvoir,est imposée à ce déjeuner par Mohamed 6.

C’est dire que la visite la plus attendue à Rabat est celle de l’actuelle ministre de la Culture, née d’un père marocain et possédant la double nationalité. Le Monde rappelle qu’elle a été décorée en 2010 de l’ordre du Wissam Al-Alaoui, « une distinction réservée aux personnalités étrangères pour leurs services rendus à la nation ». En 2023, accompagnant Éric Ciotti, à la tête d’une délégation du parti Les Républicains, Rachida Dati avait reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Elle avait aussi dénoncé la politique conduite par Emmanuel Macron à l’égard du Maroc, qui n’allait « pas dans la bonne direction »… A présent, Stéphane Séjourné et Rachida Dati, réunis dans le même gouvernement, roulent dans la même direction. Autres preuves d’amour de la part de l’Hexagone : ses grandes entreprises vont briser un tabou en investissant directement au Sahara occidental, ce territoire que l’ONU considère depuis près d’un demi-siècle comme non autonome. Et dont le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, réclame l’indépendance.            

A commencer par Proparco, la filiale dédiée au secteur privé de l’Agence française de financement (AED) qui devrait participer au financement d’un projet de ligne à haute tension entre Casablanca et Dakhla, la deuxième ville du Sahara. Ce sera une « ligne de transport d’énergie décarbonée », a précisé Bruno Le Maire lors de sa visite au Maroc en Mars. Le Monde révèle qu’Engie, poids lourd de l’énergie, est présente dans une joint-venture avec Nareva, propriété de la holding royale Al-Mada. « Celle-ci a été constituée en vue d’un projet hybride combinant une usine de dessalement de l’eau de mer et un parc éolien dans la zone de Dakhla » (1).  Quant à la société française Sade-CGTH, elle est impliquée dans le chantier du futur port de Dakhla Atlantique. Il s’agit d’un investissement de plus de 10 milliards de dirhams (autour d’un milliard d’euros) comprenant un port de commerce, un port dédié à la pêche côtière et hauturière, et un port consacré à l’industrie navale. « Ce port sera adossé à une zone industrialo-logistique de 1 650 hectares destinée à offrir des services industriels et logistiques de qualité », précise la presse marocaine. 

La promotion de la tomate marocaine   

De son côté le magazine L’Express évoque des partenariats industriels possibles dans l’hydrogène, les engrais et le nucléaire. L’invasion de l’Ukraine – gros producteur d’engrais – par la Russie oblige la France à repenser ses approvisionnements. Or le Maroc, avec le Sahara occidental, possède 70 % des réserves mondiales de phosphate (2). Il faut rappeler qu’un millier de filiales d’entreprises françaises est déjà présent au Maroc, notamment presque toutes celles du CAC 40. Nous nous sommes ainsi entretenus avec des salariés d’Orange Maroc, filiale déjà implantée au Sahara occidental, rencontrés dans les rues de Dakhla, la principale ville du Sahara occidental.

Plus récemment, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, est venu conforter la réconciliation franco-marocaine à l’occasion du salon international de l’agriculture marocaine à Meknès, promettant d’amplifier la coopération agricole entre les deux pays. En d’autres termes, les tomates produites au Maroc, mais aussi sur des centaines d’hectares au Sahara occidental, pourront continuer à inonder le marché tricolore. Rappelons que le smic horaire marocain est d’environ 1,50 euro, contre 11,65 dans l’Hexagone (3). Enfin, à la visite très attendue de Rachida Dati devrait succéder, avant la fin de l’année 2024 et si tout va bien, celle d’Emmanuel Macron, plusieurs fois annoncée et plusieurs fois reportée.

Réactions algériennes

Quelles conséquences ce recentrage à marche forcée de la France en direction du Maroc provoqueront-elles en Algérie, si susceptible sur le dossier du Sahara occidental ? La semaine dernière, le Front Polisario a encore revendiqué une attaque aux roquettes à Smara, ville de 40 000 habitants dans le nord du territoire. Des vidéos sur les réseaux sociaux montrent des colonnes de fumée s’élevant dans le désert. Le site Sahel Intelligence a répliqué en affirmant que le Front Polisario n’était pas un mouvement de libération mais « une organisation terroriste », alliée à des « groupes islamistes radicaux opérant dans la région du Sahel ».           

  • Alexandre Aublanc, « La France se dit prête à investir directement au Sahara occidental au côté du Maroc », 5 avril 2024.  
  • Baptiste Langlois, « France-Maroc : l’énergie moteur du rapprochement », 21 mars 2024.
  • Jean-Paul Pelras, « Marc Fesneau en visite au Maroc : le sacrifice de la tomate française ! », Le Point, 24 avril 2024.