Au Tchad, la satire et la dérision défient le pouvoir. Un an après le massacre du Jeudi Noir qui a fait au moins 218 morts selon la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, l’opposition fait face à un pouvoir toujours plus répressif. Bâillonnés, les activistes se réfugient sur les réseaux sociaux pour continuer à dénoncer la mainmise du clan de Mahamat Idriss Déby, dit « Kaka », sur ce pays allié indéfectible de la France au Sahel.
Depuis le « jeudi noir » d’octobre 2022, l’opposition tchadienne vit dans la peur. Depuis quelques semaines, soucieux de donner des gages à l’opinion publique avant le référendum sur la nouvelle constitution, le régime tchadien joue la carte de l’apaisement et a autorisé Succès Masra, leader du principal parti d’opposition Les Transformateurs, à regagner le pays après un an d’exil forcé.
La junte au pouvoir, qui ne goûtait guère l’influence grandissante de l’opposant sur les réseaux sociaux, où il était suivi par près de 300 000 personnes, a préféré l’avoir sous surveillance au pays plutôt que de continuer, impuissante, à voir le futur candidat dénoncer les dérives du régime à coups de publications Facebook et de vidéos sanglantes.
Si l’opposant numéro un peut aujourd’hui organiser ses meetings sans être inquiété, les voix critiquant le pouvoir n’en demeurent pas moins sous surveillance. Fin août, le journal en ligne Alwihda Info a été suspendu pour huit jours par la Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (Hama). Motif avancé : des « propos injurieux et communautaristes de nature à porter atteinte à la cohésion et à la discipline au sein de l’armée ».
« Kaka assassin »
En réalité, le média tchadien, dont la suspension a provoqué l’indignation, avait donné la parole à un ex-colonel de l’Armée nationale Tchadienne (ANT) dénonçant une « forte discrimination » visant sa communauté. Dans un autre article, Alwihda avait osé qualifier de « rhétorique guerrière » la vidéo dans laquelle Mahamat Idriss Déby défiait les rebelles désirant se battre à venir lui faire face à Kouri Bougoudi. Un crime de lèse-majesté qui avait valu au directeur de la publication Djimet Wiche Wahili d’être ensuite suivi par deux voitures présumées appartenir à des agents de l’ANR, les services de renseignements tchadiens. On ne critique pas Mahamat Kaka sans conséquences.
Face au bâillon imposé à leurs titres, les organisations professionnelles de la presse privée du Tchad avaient décidé, le 8 septembre dernier, de suspendre la couverture de l’actualité de la présidence pour dénoncer « les violences », « les intimidations » et les « restrictions injustifiées imposées par la DGCOM », la direction de la communication Présidentielle.
Et quand ce ne sont pas les pressions directes, c’est le manque de moyen qui fait taire les journalistes. Ainsi, dans plusieurs villes de la province du Logone occidental, cinq radios sont restées silencieuses le weekend du 28 octobre, en raison de la cherté et de la rareté du carburant.
Même censurés et traqués par le régime, les Tchadiens ne baissent pas les bras et misent sur des canaux d’information alternatifs pour dénoncer les turpitudes de la garde rapprochée de Kaka sur Facebook, Twitter ou sur son site, le média indépendant Tchad One met ainsi en lumière les luttes des clans au pouvoir pour le contrôle des administrations les plus rentables, les détournements de fonds publics au sein des Douanes mais aussi la gabegie de la gestion du pétrole. Très actif sur Facebook, Tchad One publie régulièrement les dérapages d’Idriss Youssouf Boy, conseiller le plus proche de président, et les persécutions de l’armée envoyée sur le terrain pour intimider les opposants au régime.
« Kaka voleur! »`
Sur TikTok, certains internautes taquins aiment, eux, rappeler en images les déboires de la jeunesse dorée du président de la transition. En 2011, alors qu’il n’était encore « que » le fils du président-maréchal, Mahamat « Kaka » avait été filmé lors du mariage d’Adam Déby. Entouré de membres du clan, Mahamat Idriss Déby jette des dizaines de billets de banque en l’air et en arrose chanteurs et femmes. Les images, qui avaient déjà choqué lors de leur révélation en 2012, continuent de susciter des questions sur la provenance de l’argent.
L’opposition lutte aussi sur les boucles WhatsApp : depuis fin septembre, des vidéos critiquant les échecs de la junte circulent sur les groupes d’opposants et de membres de la diaspora. Reprenant le slogan #Kakatastrophe, elles énumèrent les échecs du jeune prince Mahamat : confiscation du pouvoir, népotisme, impunité…
Les activistes derrière cette série de vidéos s’attaquent également à la gestion désastreuse des fleurons de l’économie tchadienne, prenant comme exemple la compagnie aérienne Tchadia Airlines, liquidée trois sans seulement après sa création sans jamais avoir atteint l’équilibre. D’autres extraits pointent du doigt le comportement de la junte vis-à-vis des grandes multinationales investissant au Tchad, comme Sogea-Satom, dont le chef d’agence a été expulsé en octobre dernier par les autorités tchadiennes.
Depuis quelques semaines, les partisans du « non » au référendum constitutionnel utilisent leurs claviers pour dénoncer les intimidations dont ils sont victimes. Usage de gaz lacrymogène pour disperser une manifestation, posters en faveur du « non » arrachés par les forces de sécurité, menaces visant des membres de l’opposition… Une énième tentative d’alerter la communauté internationale sur la situation, alors que le Tchad s’éloigne encore un peu plus de la démocratie.
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