Mali - Mondafrique https://mondafrique.com/tag/mali/ Mondafrique, site indépendant d'informations pays du Maghreb et Afrique francophone Sun, 02 Feb 2025 22:08:24 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 https://mondafrique.com/wp-content/uploads/2017/11/logo_mondafrique-150x36.jpg Mali - Mondafrique https://mondafrique.com/tag/mali/ 32 32 Musiques d’Afrique, « Las maravillas del Mali », de Bamako à la Havane https://mondafrique.com/loisirs-culture/musique-las-maravillas-del-mali-de-la-havane-a-bamako/ Sun, 26 Jan 2025 13:13:00 +0000 http://www.mondafrique.info/?p=3366 « Indépendance cha-cha ! Dans les années 60, cet hymne panafricain aux indépendances traverse alors le continent. Une rumba déhanchée, inspirée par la musique des Noirs de Cuba, nourrit l’un des courants majeurs de la musique populaire en Afrique, surtout francophone. A l’heure de la décolonisation, au Congo, au Nigeria, en Guinée mais aussi au Mali, […]

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« Indépendance cha-cha ! Dans les années 60, cet hymne panafricain aux indépendances traverse alors le continent. Une rumba déhanchée, inspirée par la musique des Noirs de Cuba, nourrit l’un des courants majeurs de la musique populaire en Afrique, surtout francophone. A l’heure de la décolonisation, au Congo, au Nigeria, en Guinée mais aussi au Mali, on voit éclore dans les années 60 de nombreux orchestres inspirés par la musique latino. L’un d’eux va vivre un destin extraordinaire : « Maravillas del Mali »

                                             Cuba, les femmes et l’alcool

Dix jeunes Maliens sélectionnés en 1963 sur une simple lettre de motivation, vont partir étudier la musique à La Havane. Originaires de régions différentes du Mali, ils se retrouvent pour la première fois ensemble à Bamako fin décembre. L’un étudie la médecine, l’autre est employé des Postes, un autre encore joueur de foot… Il y a Dramane, originaire de Ségou, pour qui la musique est une passion. «Mais l’idée reçue voulait que la musique ne se transmettait que par les griots. On ne pouvait s’imaginer que ce soit un métier !»

C’est dans ce contexte euphorique que les étudiants s’envolent pour Cuba. Accueillis par un parterre d’officiels, ils sont emmenés à bord de belles Cadillac au Riviera Hôtel. Après six mois de leçons d’espagnol, les heureux élus intègrent le Conservatoire municipal de La Havane. «On n’a pas perdu notre temps, les études étaient là, les distractions aussi. A 21 ans, le cœur chante beaucoup. Car à Cuba il y a trois choses : la musique, la femme et la boisson», se rappelle des années plus tard Dramane, connu sous le sobriquet de Tino (pour son chant de rossignol à la Rossi). Ce voyage d’étude va donc leur ouvrir le cœur, les yeux et les oreilles… Boncana Maïga (flûte, guiro, saxophone), Dramane Traoré (flûte), Moustapha Sako (violon), Aliou Traoré (violon), Abdoulaye Diarra (violon), Mamadou Tolo (violon) et Salif Traoré (contrebasse), les voilà tous séduits par les rythmes latinos :  «Deux ans après notre arrivée, on commençait à maîtriser le solfège et à manipuler les instruments. On s’est dit : pourquoi ne pas monter un orchestre ? D’autant que les grands musiciens cubains qui défilaient chez nous étaient prêts à nous aider. Ils étaient très curieux de voir ce qu’il était possible de faire en commun entre Noirs d’Afrique et Noirs de Cuba», ajoute Boncana Maïga.

Mélange des genres

Ils créent un orchestre de musique afro-cubaine (guaguanco, charanga, pachanga, cha cha cha, montuno, sones, danzon…) aux accents mandingues… Ainsi naît, en 1965,  Las Maravillas de Mali («  Les Merveilles du Mali ») qui connaît immédiatement succès public et la reconnaissance de leur pairs : les musiciens cubains sont emballés par cet orchestre qui mélange les rythmes cubains à leurs propres traditions. « Le sang africain est très proche à nous tous, » déclarait Eliades Ochoa, le leader de Grupo Patria. « Nous, cubains, sommes un mélange d’africain et d’espagnol. Tous nos rythmes sont issus de l’Afrique. »

L’heure est à l’internationale révolutionnaire, un violoniste cuubain se souvient du plaisir de cette collaboration : «Nous avons réussi à en faire un orchestre de très haute qualité, qui symbolisait l’union entre frères mais aussi entre musiciens. Cela m’a rendu fier et orgueilleux.» Il y eut les Maravillas del Mali (les Merveilles du Mali), mais aussi les Estrelas do Congo. Le Congolais Pascal N’Baly, étudiant puis ambassadeur à Cuba, garde un souvenir ému de cette inédite coopération Sud-Sud : «Cuba nous a offert les moyens de nous former gratuitement. C’était solidarité, fraternité, amitié. Beaucoup de ces enfants d’Afrique ont désormais de hautes responsabilités : ils sont ministres, directeurs généraux, médecins et… musiciens.»

Mais le succès est aussi « politique » et c’est le début de la fin.

Le parti… sur un air de salsa

Les jeunes musiciens vont vite devenir des symboles d’espoir pour le «socialiste» Modibo Keita. Le Président, qui a obtenu pour le Mali l’indépendance à l’automne 1960, s’inscrit dans la voie tracée par le Guinéen Sékou Touré : affirmer l’identité du pays à travers sa culture. «Jusqu’alors, les Maliens ne faisaient qu’imiter la musique d’ailleurs, entre autres les productions françaises. Mais avec le président Keita, il fallait former des grands ensembles nationaux. La musique était censée appuyer les mots d’ordre du parti. », résume Massambou Diallo, ancien responsable de l’Institut national des arts (INA) de Bamako.

C’est la « reconnaissance » politique : l’Ambassade de Guinée à la Havane convoque le groupe pour la célébration du cinquième anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Mali. Le batteur Bah Tapo évoque  l’engouement général : «Tout le monde dansait, personne ne voulait que ça s’arrête. On s’est dit qu’on pouvait faire mieux.» Et puis c’est la conquête des médias… Durant la Semaine de « Solidarité avec les Peuples d’Afrique », les jeunes novices cartonnent à la Télévision Cubaine  et les émissions radios s’enchaînent, qui les révèlent au public national…

Dès lors, l’orchestre tourne dans l’île, alternant les représentations dans les universités et dans les centrales sucrières : «On a même invité à danser le Che. Il se défendait bien !» témoigne un des vétérans du groupe.

Le tube, « chez Fatimata »

Le groupe enregistre en 1967, avec quelques élèves de Cubanacan (La Cité des Arts de La Havane), son premier album éponyme, Las Maravillas de Mali (Les Merveilles du Mali) dont le fameux tube “Chez Fatimata”, l’histoire (véridique) d’une hôtesse de l’air de la compagnie aérienne belge Sabena, cousine du batteur Bah Tapo : un cha cha cha montuno joué dans toutes les discothèques africaines (opus réédité en 2000). L’Afrique leur fait un triomphe…

Fin 1967, premier retour au Mali. Deux mois de vacances où ils ne vont pas chômer. «Nous avons joué pour l’anniversaire de l’indépendance, dit Dramane. Puis au palais présidentiel : Modibo Keita a même dansé sur un thème qu’on avait écrit en son honneur.» Au texte éloquent : «Le Mali est devenu indépendant, le président Modibo Keita a donné sa voix, le président Ahmed Sékou Touré, le président Kwame n’Kruma… Il faut que toute l’Afrique devienne indépendante !» «Le Président était très fier de nous : c’était la preuve du développement possible du pays.»

Les années Traoré

Au Mali comme dans tant d’autres pays fraîchement indépendants, le souffle du changement provoque des réactions en chaîne… Le 19 novembre 1968, le lieutenant Moussa Traoré participe au coup d’Etat contre le président Keita, avant de le remplacer. C’est le début d’une longue période d’un régime autoritaire et violemment anticommuniste. Outre-Atlantique, les Maravillas se mettent à « faire tâche »  avec leurs boléros, leurs cha-cha-cha, guarachas, son montuno (1) et un Africa Mia aux allures d’hymne panafricain, et même un Lumumba, à la gloire du défunt Congolais, renversé quelques années plus tôt par un autre sans-grade dénommé… Mobutu. Hum Hum. Il va falloir choisir entre la vie d’artiste et le statut d’ »orchestre national » !

En 1970, les Maravillas enregistrent leur premier disque dans les studios Egrem de la Havane, où ils délivrent entre deux originaux une version afro-latine du Pata Pata, le chant des partisans de la diva Miriam Makeba, qui restera étrangement dans les cartons. Financés par le gouvernement cubain, les douze titres principalement arrangés et composés par Boncana Maïga seront diffusés dans les pays du bloc de l’Est. Mais c’est la fin de l’Etat de grâce. Rappelées au pays en 1971, les «nouvelles stars» sont confrontées à la rude réalité du Mali. L’Etat paranoïaque les soupçonne d’être les chantres de la révolution communiste alors même que leur disque fait danser dans les chaumières et les bals poussière. «On nous a laissés sept mois sans rien ! Ni travail ni paie ! Ensuite, nous avons été rétrogradés agents de la septième catégorie, révocables et précaires. Il a fallu que les camarades s’entraident pour que le groupe reste soudé. Il y a eu un grand concert au palais omnisports, où tout le public scandait notre nom.»

Presque quarante ans plus tard, Dramane, installé au café Relax de Bamako, a évoqué cette rude époque du désanchentement :«Quand je parle de cette époque, ça me fait mal au cœur, nous avons mis le Mali devant tous les pays du monde, et nous nous sommes retrouvés traités comme des moins-que-rien. Un véritable sabotage !»

Sous le joug de l’appareil d’Etat

Les musiciens du groupe, acculés, réagissent différemment : certains composent, d’autres prennent le large. Boncana,  fait ses valises pour la Côte-d’Ivoire. «Il n’était pas question que je sois soumis au bon vouloir des autorités. Je voulais composer, créer et enseigner. J’ai réuni tous mes amis pour leur dire que j’allais tenter l’aventure en Côte-d’Ivoire. L’histoire a pris deux chemins, ils sont restés, je suis parti. A Abidjan, après une audition où j’ai joué du Bach à la flûte, j’ai vite eu tous les honneurs.» Boncana enseignera pendant vingt ans au conservatoire, et dirigera l’orchestre de la radio-télévision nationale.

Neuf mois après le départ de leur leader, les Maravillas commencent à répéter à l’Institut national des arts. La censure s’accentue, certaines de leurs chansons sont interdites. Le groupe continue vaille que vaille, invité à Dakar ou à Conakry. Jusqu’au jour où la direction nationale des arts leur impose un nouveau chef d’orchestre : le groupe explose. Bah Tapo, tambour majuscule, refuse d’être le jouet «des opportunistes sans aucune vision de la culture» qui forment la nouvelle caste au pouvoir. «Nous n’en pouvions plus de jouer comme des machines ! Soir et nuit ! Toujours sous-payés. Quand ils ont décidé de remplacer notre chef d’orchestre Khalilou, j’ai dit au ministre de la Culture et des Arts que ce n’était pas possible d’être dirigé par un type qui n’avait ni le bagage intellectuel ni les compétences techniques.» Dans la foulée, les Maravillas sont rebaptisés Badema National, un nom plus conforme aux « aspirations nationalistes ».

Plus d’un demi siècle après, que reste-t-il de cette odyssée ?

Des souvenirs émus et du respect. Les Maravillas restent une référence pour les générations suivantes. En 2010, Toumani Diabaté -virtuose de la kora qui fait danser tout Bamako le vendredi soir au Diplomate et vient de terminer un disque intitulé Afrocubismo – se les rappelle alors qu’il était encore tout gamin. «A l’époque, il n’y avait qu’une radio d’Etat. Chaque dimanche, les auditeurs pouvaient écouter les chansons qu’ils avaient demandées par courrier. Et crois-moi : on entendait souvent Las Maravillas . Et d’ajouter avec regret : » Leur dissolution, c’était très triste. Quel gâchis ! Cet orchestre avait un avenir radieux. Ils auraient pu donner un grand élan à la musique malienne».

Les fantômes de « Las Maravillas »

Pour le français Richard Minier, musicien et documentariste qui tombe amoureux du groupe, les ondes de l’orchestre vibrent toujours… Tout commence à l’été 1999, il vient d’achever un périple au Mali, et boit un dernier verre à l’hôtel de l’Amitié avant de filer vers l’aéroport. Dans ce qui fut longtemps l’unique building de Bamako, construit en 1970 et en pleine décrépitude trente ans plus tard, un orchestre assure l’animation du bar, dans le plus pur style cubain. «Un flûtiste enchaînait de superbes solos et des pas de danse terribles. Je vais voir ce type qui a tout d’un personnage de film : et c’est la découverte de son glorieux  passé à « Las Maravillas del Mali ». A force d’acharnement, il parvient à orchestrer les retrouvailles entre les rescapés. Une première fois en 2004, il improvise même une session dans une salle de l’INA. Puis en 2010, sans Bah Tapo et Moustapha Sako, décédés entre-temps, il réunit les trois survivants. Boncana, toujours fringuant au volant de sa Mercedes, conduit Dramane, le dos courbé par les années et l’emphysème, chez Aliou, devenu un paisible grand-père entouré d’une marmaille. A peine une demi-heure qui durera une éternité. «C’est un énorme pari de nous avoir réunis ! Avec Aliou, on se voit juste lors de funérailles. Et Dramane, sur scène quand il joue le soir», s’émeut Boncana. Un mois plus tard, le 1er juillet, Dramane Coulibaly s’est éteint à son tour. Fin de partie.

Johanna White Palacio-Production AV/Teaser Las Maravillas de Mali from Johanna White Palacio on Vimeo.

– Soro Solo et Vladimir Cagnolari – L’Afrique enchantée «Ticket d’entrée», les perles de «L’Afrique enchantée» en CD et sur France Inter (podcast)

Un parti pris : refléter la diversité des styles, des langues, des époques… Des chansons qui, des années 60 à nos jours, racontent le continent et ses habitants et commentent la vie quotidienne, l’actualité politique, les changements sociaux… A travers leur sélection de chansons, c’est l’extraordinaire patrimoine musical de ce continent qu’ils nous invitent à découvrir.

https://youtu.be/DXy-GiCe_a4

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Fahad Ag Almahmoud tué au Mali: le chef touareg devenu une légende https://mondafrique.com/a-la-une/la-disparition-de-fahad-ag-almahmoud-le-chef-touareg-devenu-une-legende/ Fri, 13 Dec 2024 09:22:55 +0000 https://mondafrique.com/?p=123171 Connu pour sa radicalité et sa causticité, Fahad Ag Almahmoud, tué le 1er décembre par l’armée malienne, a consacré les douze dernières années de sa vie à la guerre. L’ancien fondateur du Groupe d’autodéfense des Touareg Imghad et alliés (GATIA), allié du pouvoir central, avait rejoint les groupes rebelles. Ce qui rend les hommages hasardeux. […]

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Connu pour sa radicalité et sa causticité, Fahad Ag Almahmoud, tué le 1er décembre par l’armée malienne, a consacré les douze dernières années de sa vie à la guerre. L’ancien fondateur du Groupe d’autodéfense des Touareg Imghad et alliés (GATIA), allié du pouvoir central, avait rejoint les groupes rebelles. Ce qui rend les hommages hasardeux. Pourtant, son parcours singulier illustre avec une douloureuse acuité le conflit inextricable entre les groupes armés du Nord du Mali et l’armée régulière. 

De 2014 à 2018, Fahad Ag Almahmoud s’est battu aux côtés des forces armées maliennes (FAMA) sur deux fronts également sanglants – celui de la lutte contre les groupes armés et celui du combat contre l’Etat islamique . Depuis, le leader touareg avait tourné casaque. Le 1er décembre, à Tinzawaten, il est abattu par un drone de l’armée malienne en plein bivouac aux cotés de ses anciens adversaires des groupes rebelles devenu ses alliés.

Le dimanche 1er décembre, le Front de Libération de l’Azawad (FLA), créé la veille au terme d’un pacte d’honneur signé par les chefs des principaux mouvements touareg et maures du nord du Mali, a rendu hommage « au martyr tombé sur le champ d’honneur» en même temps que sept autres leaders communautaires et politiques. L’émotion n’est pas feinte : Fahad a joué un rôle central dans la fusion annoncée la veille, souvent rêvée mais jamais réalisée jusque là. Il semble qu’il ait été, le 1er décembre, la cible principale de la frappe qui a visé sa tente puis sa personne, alors qu’il cherchait à s’abriter.  

Le 2 décembre, les forces armées maliennes se sont réjouies de la «neutralisation de cadres de haut rang des groupes terroristes lors d’une opération spéciale d’envergure.» Fahad Ag Almahmoud figurait sur la liste nationale des sanctions financières ciblées pour «appartenance à un groupe terroriste» et «atteinte à l’unité nationale», les deux causes se confondant pour Bamako.  

Témoigner devant l’histoire 

En miroir de ces positions polarisées, des commentateurs de sensibilités diverses ont rendu hommage au disparu sur les réseaux sociaux, tristes de voir la guerre emporter, une fois encore, son tribut d’hommes de valeur.  Sa franchise et son verbe acide avaient fait de lui une personnalité très connue dans le paysage politique au fil des rebonds, reniements et drames incessants de la dernière décennie.  

Car Fahad Ag Almahmoud, que nous avions rencontré chez lui, à Bamako, lors du tournage du film «Mali, la guerre perdue contre le terrorisme», n’était pas du genre à ne pas assumer ses choix jusqu’au bout.

Au moment de cette longue interview, enregistrée le 8 février 2022, il estimait que le temps était venu de témoigner devant l’histoire. Alors secrétaire général du GATIA, président de la Plateforme des mouvement du 14 juin 2014 et vice-président du Cadre stratégique permanent (CSP), il était sur la crête de ses contradictions intimes. Un an plus tard, il basculerait dans le camp rebelle, tandis que les militaires au pouvoir décideraient la reprise des hostilités armées contre les groupes du nord, après une longue période d’hésitation sur la mise en oeuvre des accords de paix d’Alger.

L’objet du film tourné en 2022 et diffusé par France télévisions en mai 2023 était de donner la parole aux acteurs du conflit sur leur vie et sur l’histoire récente du Mali.

 

La veille de sa mort, signant le pacte d’honneur créant le Front de Libération de l’Azawad (boubou bleu ciel et chèche indigo), à côté de Bilal Ag Acherif (au centre, veste beige)

Une vie scandée par les rébellions

Né en 1976 dans la commune de Tessit, zone située à la frontière du Mali, du Niger et du Burkina Faso, Fahad avait fait son école primaire au village puis poursuivi le lycée à Gao, avant d’être interrompu dans sa scolarité par la rébellion «lorsque les populations ont commencé à cibler les gens de teint clair sous la bénédiction des forces de sécurité.»

«A partir de 1991, les gens de teint clair, les Touaregs, les Maures ont commencé à être ciblés pour la couleur de leur épiderme. C’est à partir de ce moment que les choses ont commencé à tourner mal. C’est à partir de ce moment que les gens ont su qu’ils n’étaient pas protégés par leur pays», nous avait-il dit sans citer les auteurs de ces violences : la milice communautaire songhoï Gandakoye.

Chassé de Gao, il s’était réfugié en Libye les six années suivantes avant de revenir passer son baccalauréat dans la capitale du nord puis de s’inscrire à l’université de Bamako en sciences juridiques et économiques. Diplômé, il fit ses premiers pas dans le privé, au Grand Distributeur Céréalier au Mali, puis à l’Agence de développement des régions du nord.

Interrogé sur le sentiment identitaire qui était le sien enfant et jeune homme, il nous avait répondu par un rare évitement : «dans la commune de Tessit, nous avions une situation acceptable. Et bien que les nôtres n’aient pas été à l’école, nos chefs étaient très bien respectés par l’administration qui, de tous temps, venait de la partie sud du pays. Mais on entendait qu’il y avait une sorte de stigmatisation des Touaregs au niveau du pouvoir central à Bamako. Après la rébellion du 29 juin 1990, il y a eu les deux étapes de l’intégration (ndlr : des combattants rebelles au sein des forces armées et de l’administration), celle de 1992 et celle de 1996. Et pour moi, les problèmes de la stigmatisation et de la marginalisation avaient été résolus par ces deux intégrations.»

La vie militante, puis combattante, de Fahad Ag Almahmoud commence en 2012. Le jeune homme est alors le secrétaire particulier de son aîné le général Elhadji Gamou, un ancien leader rebelle intégré dans l’armée, qu’il a rencontré en 2006. Officier de l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad, Gamou a été intégré en 1996, au titre des accords de paix, comme commandant de l’armée malienne. Et il a déroulé depuis une belle carrière militaire.

Avec Ibrahim Boubacar Keita

Guerre de 2012-2013 : aux côtés du colonel Gamou

Le retour en 2011 de centaines de Touareg servant dans l’armée libyenne déclenche une nouvelle rébellion, qui, rejointe l’année suivante par des djihadistes affiliés à Al Qaida, aboutira à l’effondrement militaire du nord du Mali. Mais Fahad et Gamou ne s’y rallient pas. «A l’époque, nous n’avons pas épousé l’idée de nous rebeller contre l’Etat parce qu’on estimait que notre situation ne le permettait pas. Nos enfants sont dans l’armée ; nos frères sont dans l’armée. Gamou était le commandant de zone à Gao avant de revenir ici à Bamako et l’État malien s’était engagé à intégrer nos frères venus de la Libye avec leurs grades. On trouvait que c’était plus intéressant que de se rebeller.»

Gamou reste donc commandant de la garnison de Kidal et lors de la débâcle de 2012, il se réfugie au Niger avec Fahad et ses hommes puis accompagne, à partir de janvier 2013, les armées française, tchadienne et malienne dans leur reconquête.  

Fahad et Gamou, qui ont cheminé côte à côte jusqu’en août 2023, appartiennent à la communauté imghad, la tribu touareg la plus nombreuse, qui fut en première ligne contre la conquête coloniale. «Nos parents ont pratiquement été exterminés par les colons dans la résistance de la Boucle du Niger.  De 1916 à 1918, il fut une période où chaque jour, des notables et des chefs mouraient. On a nommé quatre chefs en quatre jours. Je regrette que ces centaines de parents morts ne figurent pas dans l’histoire qu’on nous enseigne à l’école. On nous enseigne toujours l’histoire des autres.»

Création du groupe d’autodéfense loyaliste GATIA

En 2014, les deux hommes fondent le GATIA, un groupe d’auto-défense communautaire. Leur objectif est alors de créer leur propre organisation politico-militaire pour se situer sur l’échiquier malien sans se confondre ni avec l’Etat, ni avec la tribu traditionnellement rivale des Ifoghas. «Il fallait créer quelque chose jusqu’au retour de l’Etat, c’était le moteur principal. Et nos parents, pour garder leur fierté, il fallait qu’ils fassent quelque chose. Nous étions différents de l’Etat, même si on reconnaissait cet État comme étant notre unique représentant, et nous ne voulions pas tomber sous le contrôle des gens qui avaient pris les armes et chassé l’Etat».

Très vite, le GATIA et les indépendantistes du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) s’affrontent militairement. Ces combats entre Touareg feront de très nombreuses victimes, y compris après la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation en 2015. Le conflit est tribal et politique et il oppose indépendantistes et loyalistes membres respectivement de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plateforme.

Mais un deuxième front accapare rapidement le GATIA. Né en 2015, l’Etat islamique au Grand Sahara devient très actif à partir de 2017 dans les régions de Gao et Menaka, où les Imghad sont majoritaires. L’Etat islamique recrute, notamment, parmi les éleveurs peuls, rivaux historiques des éleveurs touareg dans la zone.

«Les terroristes, c’est très simple. À chaque fois que vous vous apprêtez pour les affronter, vous ne les aurez pas. Mais une fois qu’ils savent que vous êtes loin, ils se vengent sur vos parents. On appelle ça la lâcheté. On ne peut pas tous prendre les armes, même si nous sommes l’une des communautés les plus présentes sur cet espace !»  

Cette guerre invisible et sanglante durera jusqu’en 2018. «Contrairement à ce qui se dit le plus souvent, on a nettoyé tout l’est du Mali de l’Etat islamique. Ils sont partis s’installer sur le territoire du Niger. Mais il faut le repréciser, ce n’est pas des opérations que nous avons menées seuls. On était peut-être les plus visibles, mais à l’intérieur de ces opérations, on était avec les forces spéciales françaises qui étaient dans nos véhicules. Il y avait les FAMA à côté ; il y avait les forces nigériennes.»

Lors du tournage du film « Mali, la guerre perdue contre le terrorisme », réunion du Cadre stratégique permanent à Talataye (Olivier Jobard, 2022). Fahad en boubou turquoise à côté de Bilal Ag Acherif, de face, lunettes noires.

Se rassembler pour affronter le chaos  

L’Etat islamique paraissant vaincu et une escalade de violences intercommunautaires se profilant, les armées nationales se retirent. «Tout le monde est parti. On n’a vu ni le Mali, ni le Niger, ni la France. Les gens étaient tués, nos parents étaient tués et on n’avait même pas droit à des condoléances. On a compris que ce n’était pas la bonne décision : tant qu’on on est mouvement d’essence communautaire, ce n’est pas bon pour nous de combattre le terrorisme. Ces groupes, on à rien à gagner en les affrontant. Ce sont les Etats qui doivent les affronter. Car ce sont les Etats qui les manipulent.»

Des milliers de civils perdent la vie dans les années suivantes, malgré la présence des groupes armés des deux tribus locales : le GATIA des Imghad et le Mouvement pour le Salut de l’Azawad de ses alliés daussak. Cet abandon de l’Etat malien jouera un rôle clé dans le basculement à venir de Fahad dans le camp rebelle.

Lors de notre interview, Fahad constate, amer, que les Imghad sont, de toutes les communautés touareg, celle qui a perdu «le plus d’hommes, de matériel et d’efforts, que ce soit dans les affrontements avec la CMA ou avec les groupes terroristes.»

En 2022, à notre rencontre, il est encore membre du Cadre Stratégique Permanent, la Coalition formée avec l’appui de Rome pour faciliter la mise en oeuvre des accords de paix de 2015, alors en panne. L’Italie craint la reprise des combats et le chaos dans la région, propices à la relance de l’immigration vers l’Europe. Fahad croit encore dans l’application des accords dont son organisation est signataire. Le texte rassemble tous les groupes armés du nord, loyalistes comme séparatistes – sauf les djihadistes – autour d’un projet de réconciliation nationale et d’intégration des combattants dans les forces armées maliennes. Pour les chefs de ces groupes, c’est la seule perspective de sortie de crise et de délivrance du fardeau croissant que représentent les organisations politico-militaires. L’intégration de leurs combattants est aussi perçue comme une solution pour être plus forts sur le terrain face aux djihadistes.

Fahad Ag Almahmoud et le général Elhadji Gamou en 2022, lors de la même réunion du Cadre stratégique permanent à Talataye (Olivier Jobard)

«Après la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, le coup d’État du 18 août 2020 et les massacres des Touaregs dans la zone de Tillia, au Niger, on a voulu faire un pas vers l’unité entre nous, voir comment venir en aide à notre communauté qui est ciblée partout par des gens moins armés que nous. Et les autorités de la Transition avaient même encouragé cela dans un premier temps. ‘Il faut vous entendre ; on va tous s’entendre ; c’est la France qui nous divise.’ C’est ce qui a donné naissance au Cadre Stratégique Permanent. Notre dynamique, c’est d’enlever tout ce qu’il y a comme difficultés entre les mouvements et les populations qui les composent, entreprendre tout ce qui est possible en matière de sécurisation des personnes et des biens et faciliter la mise à niveau de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.» Mais en ce mois de février 2022, l’inquiétude pointe déjà sérieusement, alors que le gouvernement militaire laisse planer le doute sur ses intentions. Pour les groupes membres du CSP, l’objectif est donc de faire baisser la tension entre Touareg pour ne pas donner prise aux instrumentalisations du passé.

La fin des accords de paix

«L’Etat lui-même nous inquiète. On s’attend toujours à ce que les problèmes se transportent du nord au sud. Donc il faut tout faire pour diminuer l’animosité entre nous. Il faut tout faire pour nous défendre contre le chaos en perspective. Nous ne le souhaitons pas, mais c’est une éventualité. Vous savez, ces dix dernières années, beaucoup de gens qui ont fui l’insécurité sont venus s’installer à Bamako. S’il y a des problèmes à Bamako, c’est une catastrophe. Donc il faut tout faire pour préserver ce qui reste de l’État. Il faut tout faire pour s’assurer que ton voisin, ton frère ne va pas être utilisé par quelqu’un d’autre contre toi.»

Comme tous les acteurs de la crise, Fahad pense que les accords ont été imposés par la communauté internationale, alors que l’Etat n’était pas en bonne posture. «Le gouvernement avait ses réserves ; la CMA avait ses réserves et ce sont les deux principaux acteurs.» Mais il y trouve son compte tout de même. «On a trouvé que son contenu, en tous cas la plus grande partie, n’était pas mauvais pour la paix. Et même quand on s’affrontait avec la CMA, on s’accordait sur ça : le contenu de l’accord.»

Les craintes du leader s’avéreront fondées. En août 2023, les hostilités reprennent dans le nord du pays entre les rebelles et les forces armées maliennes accompagnées de leurs supplétifs russes. L’heure est de nouveau à la guerre. Fahad et le général Gamou se séparent. Pour le premier, la junte au pouvoir a fait la preuve de ce qu’elle ne veut plus des Touareg, qu’elle a d’ailleurs abandonnés aux assauts de l’Etat islamique et le salut des Imghad passe désormais par l’union avec les autres tribus ; quand le second continue de voir dans sa communauté une milice supplétive de l’armée qui sert aussi ses propres intérêts.

Dans les rangs rebelles, 2024

Un cadre du mouvement indépendantiste estime que Fahad avait «attaché sa parole». «C’était une fierté pour lui et pour nous tous. Il ne faisait pas de demi mesure. Ni quand il était contre nous ni quand il était avec nous. Il a perdu plus d’hommes que Bilal dans les derniers combats.»

Sur son compte Twitter, le chef de groupe se présentait comme «un éleveur de vaches devenu combattant pour sa survie et pour la dignité chère à son peuple», invoquant Dieu «à faire régner la justice dans ce monde.» En 2022, lorsque je lui avait demandé s’il s’était imaginé un jour en chef de guerre, il m’avait répondu : «Absolument pas. Je ne le souhaitais même pas. On a toujours misé sur le retour de la paix. Vous savez, la chose la plus précieuse pour moi dans cette vie, c’est de pouvoir dormir là où le coucher de soleil me trouve. Malheureusement, de plus en plus, ça s’éloigne. Il y a des endroits où l’on ne peut pas dormir même si le soleil se couche, où il faut tout faire pour que le soleil ne se couche pas.»

C’est l’aube qui a cueilli la vie du leader. La veille, dans son dernier discours, prononcé debout, en tamachek, sous le hangar de fortune où étaient réunis les chefs du nord, il avait appelé au respect de la parole donnée et exhorté les hommes à se battre pour leur liberté « à jamais ».

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Bras de fer au Mali autour de la fermeture d’une télévision privée https://mondafrique.com/decryptage/bras-de-fer-au-mali-autour-de-la-fermeture-dune-television-privee/ Wed, 27 Nov 2024 02:58:22 +0000 https://mondafrique.com/?p=122333 Le gouvernement malien semble en passe de reculer devant la spectaculaire mobilisation des médias de ce pays contre la suspension de la télévision privée Joliba, à la demande, chose inédite, des autorités du Burkina Faso. Joliba TV, connue pour son indépendance éditoriale, a été sanctionnée suite à la plainte, le 12 novembre dernier, du Conseil […]

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Le gouvernement malien semble en passe de reculer devant la spectaculaire mobilisation des médias de ce pays contre la suspension de la télévision privée Joliba, à la demande, chose inédite, des autorités du Burkina Faso.

Joliba TV, connue pour son indépendance éditoriale, a été sanctionnée suite à la plainte, le 12 novembre dernier, du Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso, deux jours après un débat télévisé à l’occasion duquel l’activiste malien Issa Kaou N’Djim avait douté de la réalité de récentes tentatives de déstabilisation du pays voisin.  

Ces déclarations jugées « gravissimes » par la junte burkinabè ont envoyé leur auteur en prison dès le lendemain pour « offense commise publiquement envers un chef d’État étranger ».

La procédure administrative lancée parallèlement a, elle, abouti au retrait de la licence de Joliba TV, devenu effectif ce 26 novembre. Mais les média maliens, jaloux d’une liberté durement acquise par la lutte à l’orée des années 1990, ne se sont pas laissé faire.

Toutes les organisations socioprofessionnelles se sont mobilisées autour de la Maison de la Presse, qui a mené lundi une première tentative de négociation auprès de la HAC, demandant l’indulgence de l’instance de régulation. Les médias menacent, au cas où ces discussions n’aboutiraient pas, de rediffuser l’émission en cause pour contraindre la Haute Autorité à les suspendre tous.  

Une solidarité militariste menaçante pour la presse

«La Maison de la Presse et l’ensemble des organisations professionnelles des médias condamnent avec la dernière rigueur cette décision disproportionnée (et) exhortent la Haute Autorité de la Communication à reconsidérer sa décision. Face aux mesures extrêmes, (elles) se réservent le droit d’entreprendre toutes les actions qu’elles jugent nécessaires, y compris la diffusion synchronisée de l’élément incriminé par l’ensemble des médias maliens», écrit Bandiougou Dante, le Président de la Maison de la Presse, dans un communiqué du 23 novembre.

Les Maliens restent très attachés à la liberté de pensée, d’expression et de presse malgré la crise politique et sécuritaire qui ravage le pays depuis douze ans. Issus de la révolution du 26 mars 1991 qui a renversé le régime du général Moussa Traoré, les médias de ce pays, comme leurs frères de toute l’Afrique de l’Ouest, sont souvent en première ligne des tempêtes politiques. Le nouveau contexte militariste de l’Alliance des Etats du Sahel fait peser sur eux, on le voit à l’occasion de cette affaire, des menaces accrues. 

Dans les publications de presse de ces deux derniers jours, perce l’inquiétude d’une tentative de musèlement total des médias privés, à laquelle le Burkina Faso semble succomber malgré la sanctuarisation de la presse qui avait suivi l’assassinat de Norbert Zongo en 1998. La fermeture de Joliba serait «un précédent fâcheux dans l’histoire médiatique du Mali», écrit Sekou Tangara. Le Président de l’Union des Journalistes de la Presse libre africaine (UJPLA), de son côté, regrette «les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression au Mali, au Burkina Faso et au Niger» et voit dans le retrait de la licence de Joliba «un recul de 30 ans pour la démocratie, la liberté d’expression et de presse au Mali.» Et de prédire : «aujourd’hui, c’est Joliba TV qui est ciblée, demain ce sera un autre média.»

«C’est ça la solidarité de l’AES ? Se liguer pour museler la presse au lieu de combattre efficacement les terroristes?», s’indigne Elhadji Ibrahima Thiam, sur sa page Facebook, dénonçant «une soldatesque galonnée réfractaire à tout son de cloche discordant».

Espérons que les négociations en cours permettront d’éviter le scénario du pire. Après tout, la mission première de la Haute Autorité de la Communication, selon l’ordonnance du 21 janvier 2014, est bien « de garantir et de protéger la liberté de l’information et de la communication, ainsi que de garantir et de protéger la liberté de la presse », tous droits également proclamés par la nouvelle Constitution du Mali adoptée en 2023.

Sur sa page Facebook, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a fait part de sa profonde tristesse et d’une grande inquiétude. Il a invité le gouvernement à «oeuvrer à garantir les libertés de presse et d’opinion et à les protéger car, sans elles, aucune stabilité sociale, politique ou institutionnelle ne sera durable.»

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Carnets de caravane au Sahara https://mondafrique.com/loisirs-culture/carnets-de-caravane-au-sahara/ Tue, 19 Nov 2024 07:30:33 +0000 https://mondafrique.com/?p=122008 Militante de la cause touareg, la franco-japonaise Alissa Descotes-Toyosaki raconte avec pudeur et poésie, dans «La Caravanière» (Payot), sa rencontre avec le Sahara et ses habitants, il y a vingt-sept ans. La caravane de sel, qu’elle a suivie à deux reprises à dos de dromadaire, incarne son admiration pour un mode de vie millénaire qu’elle […]

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Militante de la cause touareg, la franco-japonaise Alissa Descotes-Toyosaki raconte avec pudeur et poésie, dans «La Caravanière» (Payot), sa rencontre avec le Sahara et ses habitants, il y a vingt-sept ans. La caravane de sel, qu’elle a suivie à deux reprises à dos de dromadaire, incarne son admiration pour un mode de vie millénaire qu’elle a épousé pendant treize ans. Obsédée comme son défunt père par les civilisations menacées de disparition, Alissa Descotes-Toyosaki a capturé, telle un explorateur des temps passés, la trace de son apprentissage de la langue et des coutumes touareg dans ses carnets, ses dessins et ses images, au fil de ce qu’elle qualifie de  «vagabondages» au Niger, au Mali et en Algérie. Dans une interview avec Mondafrique, elle raconte comment le Sahara a changé sa vie à jamais, d’un éblouissement spirituel fortuit à une infatigable œuvre de témoignage.

Mondafrique : on peut dire que vous avez de qui tenir. Votre père vous a emmenés, vous et votre frère, en voyage d’aventure dans les lieux les plus incroyables !

En voyage chez les Pygmées, en 1979

Alissa Descotes-Toyosaki : J’ai fait le tour de la planète avec mon père. On est allé au fin fond de la forêt en Guinée, sur les îles Yap. On explorait des endroits où il n’avait aucun touriste. Mon père était antiquaire sans boutique. Il entreposait tout chez lui et la marchandise était vendue au fur et à mesure. Mais ce n’était pas l’objet de nos voyages. Il n’était pas attiré par les objets africains mais il adorait l’Afrique. Il disait : ’il faut se dépêcher de voyager parce que tout fout le camp.’ Il vivait avec un sentiment d’urgence, désespéré d’assister à la disparition de ce monde ancien. Mes souvenirs les plus marquants, ce sont des traversées sur des camions à bestiaux, à l’âge de huit ans, dans des conditions effroyables. Mon père laissait à ma mère une adresse à l’Holiday Inn et on partait à l’aventure. On faisait tout clandestinement. Des années plus tard, quand il a dû vivre dans les règles, il a arrêté. Et comme il s’emmerdait, il est mort.

Mondafrique : vous découvrez le Sahara, comme une initiation, à un moment de votre vie où vous allez mal.

A.D-T: Tout ce dont je me rappelle, c’est le choc entre l’avant et l’après. Je vivais les pires années de ma vie à Tokyo. J’avais 26 ans, j’avais fini mes études et je tournais en rond. A part un job d’hôtesse que m’avait dégoté mon père, je ne me fixais dans aucun travail ; j’y arrivais pas : pseudo mannequinat, télévision, musique. Tous les trois mois, je changeais de boulot. L’air de rien, je subissais la pression sociale. J’étais toute seule et je me sentais marginalisée. Je jouais du saxo, je traînais dans les milieux technos et je ressentais un mal profond qui commençait à s’installer. Et je me dis : ‘il faut que je me casse’. Mais pour aller où ? Un beau jour, mon père me voit, me dit que j’ai mauvaise mine et m’emmène en voyage. ‘Il y a mon pote machin qui organise des expéditions dans le désert marocain. Bon, c’est un voyage de groupe ; j’aime pas trop ça mais ce sera pas cher. ‘ Et on s’est retrouvés à Marrakech à boire des coups comme à Tokyo : ça s’annonçait très mal.

On est arrivés dans le désert à la nuit, crevés, et tout le monde a engueulé le guide parce qu’il s’était perdu. Il y avait quatre Français qui se plaignaient que le couscous était froid. On a été accueillis par des musiciens. La musique a toujours été un vecteur dans ma vie. Je fréquentais des trans parties à Tokyo et là, j’arrivais dans une vraie transe, naturelle, et la musique commençait à me transcender littéralement. Mon père ne dit rien et je suis happée par la musique, par le guide bédouin Mohamed. Je vois qu’il a mis son turban et qu’il se dégage de lui une espèce de dignité qui ne m’était pas apparue avant. Donc au lieu d’aller me coucher je dis au guide que je voudrais aller rejoindre les musiciens qui sont dehors en train de jouer. Je m’assois dans le cercle, dans la pénombre et je me laisse bercer par leurs chants soufis. A un moment donné, quelque chose me donne le tournis et je me lève, je sors du cercle et je vais marcher. Je monte une petite dune et je tombe sur un paysage merveilleux. J’en avais vu, avec mon père, mais cette fois, je suis passée de Tokyo aux 1001 nuits. Des milliers d’étoiles dans le ciel, le désert de dunes et au premier plan, l’oasis avec ses palmiers dattiers en ombre chinoise. J’ai levé la tête au ciel et j’ai failli tomber dans les pommes. Ce fut comme un éblouissement. Je passais de la cohue, de la société de consommation à outrance, on venait de vivre une attaque au gaz sarin – c’était des années horribles – et là, je me retrouvais dans ce vide magnifique, ce silence somptueux. Mon âme s’est envolée. Ca a duré un instant.

Puis je suis revenue dans le cercle, complètement bouleversée et très heureuse. Comme si j’avais découvert Dieu mais je ne le formulais pas comme ça. Je n’étais plus seule. J’ai ramené à Tokyo cet éblouissement qui m’irradiait de l’intérieur. Tout le monde le voyait.

Comme, pour moi, c’était une expérience mystique, je me disais que si c’était mon destin de repartir au Sahara, j’allais attendre qu’il se manifeste pour m’y ramener. J’aurais pu y retourner mais je ne voulais pas. Il fallait que ce soit le destin. Et s’il se passait rien, ça voulait dire que j’avais halluciné cet instant. J’ai donc attendu, pendant trois mois, à Tokyo, le signe du destin. La lumière en moi commençait à s’éteindre. Et à ce moment-là, j’ai reçu un coup de fil incroyable d’un musicien guinéen perdu de vue depuis longtemps qui me dit : ‘il y un Japonais qui cherche une interprète en Mauritanie’. Et je me dis : ’ça y est ! c’est ça!’  Du coup, je quitte Tokyo. J’y crois, j’ai la foi. Je fonce.

Mondafrique : ensuite, vous avez enchaîné plusieurs contrats de traductrice au Sahara pour la coopération japonaise. Comment en êtes-vous arrivée à décider de suivre la caravane de sel ?

A.D-T : Je restais dans mon idée des signes, des opportunités qui se présentent d’elles-mêmes. C’est ainsi que j’ai atterri au Niger grâce à une petite annonce de la JICA dans le journal. J’étais complètement obsédée par le Sahara. Et la caravane de sel, c’était un moyen de traverser le désert avec les nomades. Comme j’avais été bien éduquée par mon père et que je ne voulais pas être traînée à chameau comme une touriste, j’ai compris que le seul moyen, c’était cette caravane de sel. Les méharées organisées, pour moi, c’était insupportable. Le voyage et l’aventure se confondent pour moi. Il fallait que ce soit une aventure. Et puis c’était la première fois que j’allais voyager toute seule, sans mon père. C’était une nouvelle étape.

Oasis

Qui dit caravane dit chameau (comme on appelle les dromadaires dans le Sahara).Et après, j’ai pris le parti des caravaniers, du voyage à chameau. C’est devenu politique. J’aimais aussi l’animal, son rythme, ses capacités incroyables, mais aussi son mauvais caractère. Je savais que physiquement, j’allais y arriver. Seize heures par jour, je savais que je pouvais les faire. Je savais que je pouvais boire l’eau du puits sans tomber gravement malade. Je n’avais pas de doute sur tout ça. Mais ce que je ne savais pas, c’est que la réalité de la caravane et des caravaniers, ce n’était pas du tout l’image romantique que je m’en étais faite : cette vision des mille et une nuits. C’était plutôt seize heures de marche harassante par jour, de la bouillie à tous les repas et le boucan monstre des montures qu’on charge à l’aube et qui hurlent.

Les caravaniers qui exercent ce métier hyper physique ne sont pas en tenue d’apparat et voilés d’indigo. Ils portent plutôt leurs vieux boubous déchirés pour la traversée du désert. Forcément,  je me suis pris une claque dans la gueule. Je ressentais une souffrance à les observer trimer dur, plus misérables qu’avant mais j’étais heureuse qu’ils continuent d’exister. J’ai fait la caravane en 1998 et à nouveau en2003, pour aller jusqu’au bout, à Kano, au Nigéria, furieuse de m’être arrêtée sans le savoir avant le terminus deux ans plus tôt. Et puis la deuxième fois, je voulais tout filmer, me forcer à voir ce que je n’avais pas pu voir lors du premier voyage, dans mes délires romantiques. Le premier voyage, c’était une découverte. Je n’avais pas eu le temps d’observer vraiment. En 2003, j’emmène une caméra et je me dis : ‘tu documentes une civilisation, un commerce millénaire, la confection du sel, la bravoure de ces hommes, l’échange des cultures entre nomades et sédentaires.’ Je voulais garder une trace de ce monde qui était en train de disparaître. Je m’étais aperçue que personne n’avait documenté en images toute la traversée jusqu’à Kano. Sinon, je ne l’aurais peut-être pas fait.

A l’étape de la caravane, 2003

J’ai mis douze ans à terminer le film Caravan to the Future. C’est toujours la même chose : les boites de production qui n’accrochent pas, qui te font réécrire. Mais il y a toujours un moment où quand tu dois y aller, tu dois y aller. On ne pouvait pas savoir combien de temps ça durerait. C’est pour ça que je n’avais pas trouvé d’équipe, à l’exception de mon assistant touareg d’Agadez. Ca dépendait de la récolte du mil, des prix, des marchés… Mon film est brut. Tout a été filmé de manière spontanée ; rien n’a été mis en scène. J’aurais pu leur acheter leurs sacs de dattes pour que ça aille plus vite. Mais je ne l’ai pas fait. Le dernier mois, j’en pouvais plus. J’étais comme une loque. Je dormais sur une natte dans les mosquées, les gens me prenaient pour un homme. Le temps passait tellement lentement sur les marchés ! Je me retrouvais juste à attendre l’étape suivante, par exemple l’achat du mil, qui pouvait prendre quatre mois. Je parlais en petit tamacheq, que j’avais appris au fil de mes voyages. Mais surtout, j’étais accompagnée de mon assistant, mon bras droit, mon confident. Sans lui, ce voyage aurait été impossible. C’était sa première traversée aussi mais il avait reçu une éducation nomade. Il ne s’est pas plaint une seule fois. La deuxième traversée a été plus difficile que la première. On a dû supporter des températures de fou, ce que je n’avais pas du tout anticipé. J’avais fait la première caravane en décembre et la seconde a commencé plus tôt, fin septembre. Il fait encore très chaud en cette saison. Si j’avais su, j’aurais pris un chameau avec ma propre réserve d’eau. Je crois que j’ai eu tous les symptômes de la déshydratation et de l’insolation. J’étais dans un état très très critique. La pluie a sauvé ma vie… et le film. On a reçu une pluie alors que ce n’était pas la saison : j’y ai vu un signe. Il fallait que je continue.

Mondafrique : étiez-vous motivée par l’exploit physique ?

A.D-T. : Je ne crois pas. Je n’avais pas la volonté d’aller au bout de mes forces. J’étais obnubilée par le fait que je devais finir ce film. J’étais prise par tous ces soucis et cette responsabilité et après, j’étais tellement épuisée que je suis revenue presque à 4 pattes. Je suis rentrée à Tokyo avec 50 rushes dont je ne savais pas encore quoi faire parce que je n’avais jamais fait de film. Et j’étais au désespoir devant le désintérêt des producteurs.  

Mondafrique : vous dites que le Sahara vous a guérie de votre quête identitaire.

A.D-T : Avant l’arrivée au Japon, nous avions déjà été ballottés mais notre première installation à Tokyo a été vraiment horrible, aggravée par la déchirure avec mes grands-parents paternels que j’adorais. Quand j’ai rencontré les Touareg, j’ai arrêté de me prendre la tête sur la question de mon identité. Ce fut une espèce de libération. J’aurais pu flasher sur des Tibétains ou des Mongols. Ca a été les Touareg. La première rencontre, c’est le Sahara et la rencontre humaine, ce sont les Touaregs : les nomades du désert tels que je les idéalise.

Pop le dromadaire

Mondafrique : vous n’arrivez pas tout de suite à réaliser votre film. Mais vous retournez dans le Sahara. Dans quelles circonstances ?

 A.D-T. : J’étais fière de mes images, de ces interviews autour du feu que je commençais à traduire, j’étais encouragée par des gens autour de moi mais je n’avais pas de budget ; je n’avais rien. J’avais juste envie de mettre ça dans un tiroir et de penser à autre chose. Et alors que j’étais rentrée depuis trois mois, je fais la rencontre improbable, lors d’une soirée, d’un Touareg de Djanet qui me propose de l’aider à ramener de la clientèle japonaise dans ses circuits. Ma première réaction a été de refuser, à cause de ce fardeau que je portais sur mes épaules, mais je n’avais qu’une envie : me casser dans le Tassili N Ajjers et me voilà repartie  pour d’autres aventures.

Mondafrique : à Djanet, dans le sud de l’Algérie, vous découvrez un autre monde touareg.

A.D-T. : Ce sont des Touareg, mais pas les mêmes. J’ai rigolé mais j’étais choquée aussi. Par la suite, j’ai découvert l’identité touareg oasienne, qui n’est pas elle des campements du Niger. Je pensais que ce que je voyais était l’effet de l’arabisation mais on m’a expliqué que c’était aussi l’influence de la Libye. Toutes les familles de Djanet ont des parents à Ghat où vivent, depuis toujours, des Touareg de Libye. Les femmes de Djanet ne se mélangent pas avec les hommes même si elles ne sont pas détachées de leurs valeurs matriarcales. J’avais du mal à m’y faire, d’autant plus que les sœurs du chamelier qui était alors mon compagnon m’entouraient constamment de leurs soins. En Algérie, même à Djanet, quand tu circules seule au marché, il faut prendre tes précautions. Il y a des règles.

A Djanet

Je construis une relation amoureuse, donc je me fixe. Je me base à Djanet. Et je circule de part et d’autre des frontières, en empruntant parfois la route des fraudeurs, pour raccourcir le trajet. Ca agace un peu mon entourage. Mon chamelier, évidemment, il s’en fait un peu pour moi. Il n’aime pas trop me voir avec les fraudeurs. Mais il me laisse très libre. Je garde un souvenir extraordinaire de ces années 2004 à 2009 : j’ai tout laissé en plan et vécu ça à 100%. Ce furent des années d’insouciance totale. Je faisais des petites missions d’interprétariat et j’écrivais des textes pour la revue de bord de la compagnie Aigle Azur, qui me donnait des billets d’avion. Je vivais d’amour et d’eau fraîche, à faire la transhumance avec un troupeau de chameau, dans un décor splendide, vide certes, mais moi, je n’étais pas seule et ça me suffisait.  

Mondafrique : vous avez écrit ce livre à partir de vos carnets de route, soigneusement conservés. 

A.D-T. :  J’ai des malles bourrées de carnets, de dessins, de photos, de vidéos. Dès que je le pouvais, j’écrivais au coin du feu avec ma lampe torche. Je savais qu’il y avait des choses qu’il ne fallait pas que je perde. Quand j’ai eu ma première caméra, je l’ai emportée partout. J’ai filmé les mariages à Djanet, les concerts de Tinariwen à Kidal, les passages de frontière en fraude, mes chameaux. Il me fallait tout ça. Et effectivement, les photos ont joué un rôle crucial dans ma mémoire. Pour écrire la version japonaise de ce livre, j’ai relu mes notes de route et je me suis dit que si je commençais à les reprendre telles quelles, ce serait trop long. Je voulais reprendre certaines phrases mais pas tout. Le reste, les souvenirs les plus marquants, ils étaient restés dans ma mémoire. Donc j’ai compilé un peu les deux. Tout ce matériel, bien qu’intime, était destiné à un public.

Mondafrique : en 2006, vous créez une petite structure touristique, Sahara-Eliki. Dans quel objectif ?

A.D-T.: C’était un peu une revanche. Je m’étais emmerdée en Mauritanie avec un chamelier qui me tirait au bout d’une corde. Je me suis dit qu’il y avait peut-être d’autres gens comme moi qui voulaient vraiment voyager en caravane dans le Sahara. J’ai cherché un format pour débutants. Et au bout de trois ans à Djanet, je me suis dit qu’une telle activité nous permettrait de gagner notre vie tout en donnant du travail aux chameliers et en perpétuant ainsi le mode de vie traditionnel, qui aurait été perdu depuis longtemps en Algérie sans les touristes. A Djanet, la vie coûte cher ; ce n’est pas comme au Niger. Et il y a beaucoup de chameliers qui abandonnent leur métier faute d’activité. Or, ils sont les seuls à pouvoir conserver la connaissance ancestrale des pistes et des dromadaires. J’avais du temps : je me suis lancée. J’avais appris à monter à dromadaire en une semaine donc j’ai imaginé une caravane d’une semaine pour les Japonais. J’ai créé une association à but non lucratif, Sahara-Eliki, dédiée au sponsoring de chameaux. J’ai appelé ça «Un chameau pour bosser», intraduisible en japonais, et qui n’a absolument pas fonctionné en France.  

Un chameau, à l’époque, coûtait 400 euros. Je suis allée en acheter six à Arlit, au Niger, parce que c’était moins cher et que ça me fournissait le prétexte d’une nouvelle caravane. J’ai fait le voyage de retour à Djanet avec un chamelier nigérien marchand de bétail. Son défi, c’était de traverser la frontière algérienne sans se faire prendre. On a fait une étape de cinquante heures presque sans s’arrêter et sans faire du feu pour ne pas rencontrer une patrouille. J’étais estomaquée. Qu’est-ce-que l’Algérie avait à foutre de ces chameliers ? Je ne comprenais rien. J’avais déjà vécu ça lors d’un voyage antérieur en voiture avec des migrants et une famille qui accompagnait un vieux monsieur se soigner à Djanet.  L’Algérie, c’était la terreur. Et pourtant, c’était les mêmes familles de part et d’autre de la frontière.

Sur la route des fraudeurs

Mondafrique : dans ces mêmes années, avant l’arrivée des groupes djihadistes algériens qui ont transformé la région en piège mortel pour les étrangers, vous avez également circulé au Mali ?  

A.D-T : Je suis partie de Kidal et j’ai remonté jusqu’à Tamanrasset et Djanet. Environ 3000 km : un long parcours, mais il n’y a pas le choix. De Kidal à Tamanrasset, je me suis dit que la route passait par Tinzawaten (qui sert de poste frontière entre le Mali et l’Algérie) et que je ferais tamponner mon passeport d’entrée à cet endroit. Mais mon honnêteté m’a valu beaucoup de tracasseries policières, comme le prévoyait le chauffeur du 4X4 qui n’arrêtait pas de m’engueuler et une passagère touareg autoritaire, qui me reprochait de n’avoir pas pris suffisamment de provisions et de ne pas savoir cuisiner. J’étais frigorifiée. Je n’avais pas anticipé le froid de l’Adrar des Ifoghas. J’étais mal habillée, je me remettais de fractures aux poignets et je n’étais pas bien préparée du tout. On aurait dû arriver en deux ou trois jours et on a mis six jours. Le convoi était merdique; les voitures aussi. Je n’avais pas les moyens de me payer les meilleures conditions de voyage. Je venais de voir le groupe Tinariwen en concert à Kidal mais je ne voulais pas attendre leur départ pour Tamanrasset dans leurs bons 4X4. J’ai pris le premier taxi brousse à l’autogare. Je suis très rapide pour le départ. C’est un compliment que les Touareg m’ont toujours fait. Je suis prête en 3 minutes.

A Kidal, j’ai vu que quelques personnes me jugeaient en tant que femme seule, me prenaient pour une vagabonde. C’est une société conservatrice même si, au même moment, il y a Tinariwen qui fait le tour du monde et mélange tous les genres dans sa musique. Tu arrives à Kidal et tu te dis : « C’est ça, la capitale du desert blues?». Pas d’infrastructure. Aucun charme. Mais tu vois qu’il y a quelque chose dans ces danses incroyables de fierté, sur la guitare et le tendé (tambour joué par les femmes) C’est splendide et je suis contente d’avoir tout filmé. Derrière, il y a toute la résistance, la révolte, l’histoire de l’Azawad (le nom que les Touareg donnent à cette vaste région du nord du Mali dont ils revendiquent l’indépendance.) C’est très puissant.

Concert de Tinariwen à Kidal

Mondafrique : Sahara-Eliki a fonctionné quelques temps mais la sécheresse a fini par emporter vos chameaux, comme c’est le cas, de façon cyclique, depuis toujours.

A.D-T. : On a eu jusqu’à quinze dromadaires, dont les propriétaires étaient des Japonais qui venaient les monter à Djanet. Je filmais des petites vidéos des chameaux que j’envoyais aux propriétaires. Ça marchait très bien. J’ai reçu les premiers Japonais ; ils n’avaient aucun problème d’adaptation et n’avaient plus besoin de moi. Quand la sécheresse est arrivée, on n’a pas vendu nos animaux tout de suite, à cause de leurs propriétaires japonais. Mon chamelier me dit : ‘on va acheter une vieille Toyota en Libye et on rapportera de l’orge à notre troupeau.’ On a fait ça pendant deux ans. On s’était attaché aux animaux et de les voir dépérir, c’était dur. Ils sont tous morts, les uns après les autres, de maladie. Leurs corps étaient faibles. Ils n’avaient même plus de bosse. La vraie sécheresse a commencé vers 2009 et, en 2011, ils étaient tous morts. 2011, ce fut l’année de la mort : Fukushima, en mars, mon père, en septembre, Kadhafi en octobre puis les chameaux, dont j’ai appris la mort en novembre.

Mondafrique : votre dernier voyage avant la longue rupture provoquée par la catastrophe de Fukushima a été un peu différent. 

A.D-T. : Ce dernier voyage répondait au premier, celui de l’éblouissement. C’était un voyage sur les traces de l’Islam soufi avec un Touareg de Tamanrasset, Sakaï, qui m’avait emmené à ermitage de l’Assekrem, sur les plateaux du Hoggar, où son grand-père avait été l’interprète de Charles de Foucauld, l’auteur du premier dictionnaire franco-tamacheq. J’avais rencontré Sakaï lors d’une fête soufie à une centaine de kilomètres de Tamanrasset et la musique était celle que j’avais entendue dans cette oasis marocaine, à mon premier voyage. Les musiciens étaient vêtus de blanc et ils jouaient une sorte de transe, comme des litanies, des prières. J’ai dit à Sakaï : ‘je crois que c’est la musique que j’ai entendu cette nuit-là’. Sakaï a proposé de me conduire à Aïn Salah, dans la région des oasis rouges, où se trouvent les marabouts, les saints et les soufis. Je quittais la zone touareg mais j’étais toujours avec un guide touareg. Nous étions en décembre 2010. Trois mois plus tôt, à Arlit, au Niger, quatre Français d’Areva avaient été enlevés et Michel Germaneau, kidnappé au Niger lui-aussi, avait été assassiné en juillet. Toute la région était quadrillée.

Nous sommes partis, tous seuls. J’étais une femme. Je n’étais pas convertie. Mais ça ne nous a pas arrêtés. Je n’ai pas trouvé la réponse à mes questions mais je me suis rapprochée de cet islam des marabouts. Sakaï, qui était très attaché à un saint soufi, Sidi Wafi, qu’on surnomme «le saint rebelle», me parlait de cet islam traditionnel des oasis, très engagé dans l’autosuffisance. Nous sommes arrivés sans encombre à Timimoune. Et là, on s’est fait prendre par la gendarmerie et raccompagner sous escorte jusqu’à Djanet. Atroce. Sakaï était dégoûté. On s’est quitté comme ça. J’ai pris un vol pour Djanet où j’ai accueilli un groupe de touristes japonais. Je suis rentrée à Paris une semaine plus tard et j’ai appris qu’une touriste italienne venait de se faire enlever au nord de Djanet. Ça a sonné le glas de notre vie. Toute la carte de la région est devenue rouge. Tout le Sahara. C’était la fin d’une décennie de liberté. Quand j’ai écrit ce livre, je me suis : ’Mon Dieu, que j’ai eu de la chance ! Et si la situation est devenue très difficile depuis lors, ce qui fera l’objet d’un deuxième tome, au fond, j’ai confiance dans les Touareg et leur résistance.  

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Mali, le discours de vainqueur du chef djihadiste Hamadoun Koufa https://mondafrique.com/a-la-une/mali-le-dechryptage-du-chef-de-la-premiere-force-djihadiste-hamadoun-koufa/ Thu, 31 Oct 2024 17:00:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=121333 Interviewé le 23 octobre en arabe par le journaliste Wassim Nasr, le chef de la Katiba Macina, la première force djihadiste malienne, dresse les contours de la guerre qu’il mène depuis près de dix ans dans le delta central du Niger : alliés, ennemis, cibles, moyens. Pour décrypter le langage parfois allusif de l’émir issu […]

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Interviewé le 23 octobre en arabe par le journaliste Wassim Nasr, le chef de la Katiba Macina, la première force djihadiste malienne, dresse les contours de la guerre qu’il mène depuis près de dix ans dans le delta central du Niger : alliés, ennemis, cibles, moyens. Pour décrypter le langage parfois allusif de l’émir issu de la communauté peule, Mondafrique a fait appel au chercheur Boubacar Ba, du Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité au Sahel, excellent connaisseur des dynamiques sécuritaires régionales. Ce dernier a écouté l’interview dans sa version audio en fulfulde, la langue peule, traduite de l’arabe par le porte-parole de Hamadoun Koufa, Mahmoud Barry.

Mondafrique : Qu’est-ce-qui vous a frappé, d’emblée, dans cette interview ?

Boubacar Ba : Hamadou Koufa parle à un moment où il pense avoir étendu son pouvoir, sa vision et son ordre politique dans une grande partie du pays, bien au-delà du delta central du Nger. C’est un discours de puissance. Cette interview est une réponse à l’Alliance des Etats du Sahel (AES) : à la vision sécuritaire des trois pays du Sahel central, il répond par un projet djihadiste régional cohérent, même s’il ne développe pas les situations du Burkina Faso et du Niger qui ne relèvent pas de sa responsabilité.

Ce projet est assis, selon lui, sur un ordre idéologique tiré de l’Islam, une gouvernance et un ordre politico-juridique. Cette dynamique de réponse aux Etats n’est pas nouvelle. On l’a déjà vue à l’oeuvre lorsque Barkhane puis le G5 Sahel ont vu le jour en 2014 et 2015 : Hamadoun Koufa et ses amis ont alors créé le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) avec une stratégie sahélienne et des branches autonomes. Maintenant qu’ils font la guerre aux armées nationales et aux Russes, les «moudjahidine» (terme utilisé par Koufa et ses combattants) ont créé une formule de recentrage du GSIM dans les trois pays, à travers une action coordonnée de la Katiba Macina, la Katiba Serma et la cadette burkinabè de la Katiba Macina, Ansaroul Islam. Ils se déploient surtout dans le centre et le sud du Sahel oriental ainsi que le nord et l’est du Burkina Faso. Au Niger, selon plusieurs sources, ils ont créé un  «mandiga»  ou Almantaqa (une entité régionale) qui couvre la région ouest de Tillabéri, jusqu’à la frontière du Bénin, dans la réserve transnationale du parc W. Koufa sous-entend qu’un émirat autonome est en train de  se construire dans ce pays après l’émirat du Mali et celui du Burkina Faso. Enfin, en réponse à une question de son intervieweur, il menace clairement les pays côtiers qui «oppriment et maltraitent leurs peuples.» Des attaques et des infiltrations des groupes apparentés à la Katiba Macina sont rapportées depuis des mois au Bénin, au Togo, au Ghana et au Burkina Faso.

Boubacar Ba

Mondafrique : Cette interview, c’est une sorte de leçon de guerre de l’ancien prêcheur du delta. Qui sont ses alliés ?

B.B.: En l’écoutant, on comprend qu’il s’appuie sur deux alliés essentiels : l’organisation faîtière, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), commandé par Iyad Ag Ghali, qui est sa couverture dans le djihad global, et l’organisation soeur du Burkina Faso, Ansaroul Islam, à laquelle il rend un hommage appuyé.  

On dit parfois que «la force du cheval, c’est son sabot». Koufa est le sabot du GSIM, sa force de frappe principale. Et le GSIM assure l’articulation avec la vision globale d’Al Qaida. Les responsabilités de chacun sont décrites avec précision.

Mondafrique : Quelle est, selon Koufa, la source de sa légitimité et ses buts de guerre ?

B.B. : il pense qu’il est un envoyé de Dieu ; il est légitimé par l’Islam. Il n’est pas, dit-il, entré dans le djihad à cause du projet de code de la famille de 2009 au Mali, qu’il avait contesté à l’époque.  « Les problèmes et la tragédie des musulmans au Mali et dans d’autres pays musulmans sont plus importants et plus dignes de sacrifice» que les enjeux de personnes et de familles», dit-il. «Nous combattons pour restaurer la règle islamique dans notre pays (…) mise à mal par ces apostats qui usurpent la règle de Dieu par la force, l’injustice et la tyrannie.»

Mais à cette défense de l’Islam, il ajoute celle des communautés peules. En réponse à une question de Wassim Nasr sur le risque que les actions de Koufa feraient courir à ces groupes, Koufa ne répond pas, sinon pour dire que l’appel islamique a pour but d’unir et non de diviser. Cette communauté pastorale à laquelle il appartient, il estime qu’elle est aujourd’hui discriminée par les gouvernants dans sa pratique de l’Islam et dans son mode de vie. Mais il ne cantonne pas le djihad à ce groupe : «Les Peuls, comme d’autres races musulmanes, vivent en marge de la religion et du monde. Ils ont été privés de leur religion et de moyens de subsistance décents pendant un certain temps. (…) Au fil du temps et de l’adversité, les Peuls ont compris qu’il n’y avait aucun autre moyen de regagner leur droit de vivre honorablement sous la domination de l’Islam que par le djihad.»

Koufa pense ici, sans les préciser, aux droit pastoraux, à la transhumance, aux systèmes de production, aux conditions de vie. Dans le Macina, il a imposé son ordre sur tous ces sujets. Il a fixé un prix plafond aux gestionnaires des pâturages pour l’accès aux éleveurs venus des zones exondées.  Mais pour lui, le djihad va au-delà. Tous ceux dont les droits sont violés doivent y adhérer. Il glisse subtilement vers les autres groupes communautaires. L’homme qui a revendiqué l’attaque de l’école de la gendarmerie de Bamako, le 17 septembre, s’appelait Abou Houzeifa Al Bambari : le Bambara.  

Le delta intérieur du Niger vu par satellite en novembre 2007. Fin de saison des pluies. La végétation est luxuriante. On aperçoit le fleuve Niger au sud-ouest.

Mondafrique : Qui sont les ennemis de Koufa ?

B.B. : Les ennemis sont multiples. Il y a des Etats : ceux du Sahel mais aussi la France, l’Occident, la Russie. Il se montre plus critique envers la Russie qu’envers la France pour son action au Mali. Même si la France est fortement prise à partie, en fin d’interview, pour son action dans le djihad global. «Les crimes odieux commis par les mercenaires de Wagner et l’armée malienne ont accru la colère et le mécontentement du peuple car ils ont dépassé les crimes et les violations des Français (…)  contre des civils désarmés. Ces derniers n’ont pas fait ce que les Russes ont fait», dit Koufa dans son interview.

De façon très politique et un peu paradoxale, il récupère le dégagisme anti-français actuellement très fort au Sahel en attribuant à ses frères d’armes le mérite du départ de l’armée française de la région, même si ce puissant sentiment de rejet a conduit à l’arrivée au pouvoir des gouvernements militaires que le chef djihadiste combat par ailleurs.  «Il s’agit d’une victoire triomphale que Dieu nous a accordée. (…) C’est une revanche divine sur les dirigeants français qui se sont moqué de l’Islam (…) et ont soutenu ceux qui insultaient le Prophète de l’Islam Mohamed (…) Dieu a répandu dans le coeur des partisans et esclaves (de la France) le courage de se révolter contre elle, l’un après l’autre. (…) Ce qui a contraint la France à partir, brisée et humiliée.» S’éloignant du théâtre sahélien, Koufa s’offre le luxe d’y voir une «leçon pour la France» qui devrait «arrêter les injustices et les provocations à l’égard des musulmans en général et des musulmans africains en particulier (…) et leur montrer du respect.»

Mondafrique : l’autre grand ennemi, c’est l’Etat islamique. Les deux groupes divergent sur les cibles, les modes opératoires et la gouvernance.

B.B. : Pour Koufa, la guerre entre les deux groupes n’est pas de son fait. «Nous n’avons décidé de combattre cette secte égarée (…) qu’après avoir tout fait pour convaincre ses adeptes de suivre la vérité. (…) Malheureusement, nos appels sont restés vains car ils ont persisté dans leur égarement et se sont enorgueillis de leur puissance. Ils ont commencé à tuer des innocents sans discernement et à semer le désordre sur la terre», dit Koufa.

Il privilégie la litote, disant avoir été contraint «de les prendre par la main, de mettre fin à leur agression et d’endiguer leur méchanceté.» Après des années de durs combats, l’Etat islamique au Sahel a dû reculer devant les troupes du front constitué par la Katiba Macina, la Katiba Serma et Ansaroul Islam. La route du sud est désormais coupée. Le groupe se trouve confiné dans les régions de Menaka et Gao, au Mali, et de Tillabéri et Tahoua au Niger. Koufa s’en félicite, remerciant Dieu «de les avoir fait reculer dans des zones limitées.» Cependant, il affirme que «la porte des négociations pour résoudre les différends et régler les conflits est ouverte à tous ceux qui le veulent» et il reconnaît des «trêves locales et ponctuelles quand la situation l’exige.» Il refuse de répondre aux questions de Wassim Nasr sur les aspects communautaires du conflit entre les deux franchises djihadistes, qui recrutent toutes les deux largement dans les groupes peuls.

 

Capture d’écran vidéo 2021

Mondafrique: Koufa clarifie les cibles et les moyens employés par son organisation. Mais sa vision de la licéité des actions varie largement, au gré des situations. Qu’en dites-vous?    

B.B. : Koufa réaffirme dans cette interview que son groupe ne s’en prend ni aux ONG, surtout humanitaires, ni aux légitimités locales, ni, plus généralement, aux civils. «Les institutions humanitaires et les ONG ne font pas partie de notre stratégie», dit Koufa, sauf lorsqu’elles se mettent au service de ses ennemis. Plus généralement il affirme qu’il «ne fait pas partie de notre approche de la guerre de cibler des personnes innocentes ; nous combattons ceux qui nous combattent.» En effet, la majorité des actions menées ces derniers mois au Mali ont visé des cibles militaires. Mais il existe des exceptions. Que Koufa justifie. Quand des villages sont harcelés par les djihadistes, c’est pour de bonnes raisons, dit-il, et cela n’arrive qu’après «avoir épuisé tous nos efforts pour leur exposer nos arguments, leur répéter nos avertissements et avoir consulté les savants.»

Une même action peut être licite ou illicite en fonction de qui la commet et dans quel but. En somme, la fin justifie les moyens. Le même acte de guerre «peut, selon son auteur, être juste, à saluer ou à récompenser, ou erroné, à blâmer et désavouer.» C’est ainsi que Koufa justifie le blocus contre des villes par l’histoire du Prophète et de ses compagnons qui «assiégeaient parfois les ennemis dans des forteresses pendant de longues périodes et les chassaient de leurs pays vers des lieux où ils ne pourraient plus les menacer.» «En cela, ils avaient raison», insiste-t-il.

De même, il refuse de dénigrer les nombreuses exactions contre les civils commises par le groupe frère Ansaroul Islam, qu’il félicite au contraire pour sa guerre. «Nos frères du Burkina (…) ont atteint un haut niveau de Ribat (Garde) et de Djihad dans le Sahel. Et ils ont bien travaillé.» Pour Koufa, les actions du groupe sont licites puisqu’il réagit aux exactions commises par les volontaires de la patrie et punit les civils complices des forces de sécurité locales.  

Hamadoun Koufa, 2021

Mondafrique : que sait-on de la gouvernance de Koufa ?  

B.B. : Koufa se rapproche de la guerre par le droit islamique développée par les Talibans en Afghanistan. Il s’appuie sur le Coran, les hadith et la jurisprudence développée au fil du temps par ses juges islamiques dans les zones qu’il contrôle. Il est vrai que cette justice, perçue comme plus rapide et moins corrompue que la justice de l’Etat, est bien accueillie sur le terrain. C’est cette justice, d’ailleurs, qui a accéléré l’expansion territoriale de la Katiba Macina. La Katiba Macina a aussi prôné davantage de justice sociale et familiale et d’équité entre les communautés peules autochtones et allochtones. Depuis 2016, 2017, les ressources pastorales et les fruits de la location des pâturages dans le delta central du Niger  sont ramenés dans la cellule familiale, afin que personne ne soit laissé de côté.

Les éleveurs de la zone exondée, qui payaient un loyer pour faire paître leurs grands troupeaux dans la zone inondée, ont été entendus des chefs djihadistes du delta, souvent originaires de même communauté. Ils ont obtenu la baisse des loyers et un prix fixe pour l’accès aux bourgoutières, les pâturages situés sur les berges du fleuve. Ceci a créé des  frustrés parmi les gestionnaires des pâturages qui redistribuaient une partie de leurs gains aux services étatiques. Les dioros (ou jowro), (les propriétaires coutumiers des pâturages) se sont appauvris ces dernières années avec la baisse forcée des loyers. Ils sont mécontents de leur perte d’influence, y compris dans la famille. Mais ils ne peuvent rien faire. Certains disent même que désormais, l’hivernage fait trois pauvres : l’herbe (le pâturage), la carpe (le poisson) et le dioro. Koufa a cependant souhaité garder un certain équilibre. Il ne conteste pas que les pâturages appartiennent aux autochtones. Mais il prône une utilisation plus juste des ressources, au nom de l’Islam.

Mondafrique : l’intervieweur d’Amadou Koufa insiste beaucoup sur le dialogue. Amadou Koufa y est favorable mais pas sans conditions.

B.B. : C’est la question la plus intéressante aujourd’hui : faut-il, peut-on négocier avec eux? Koufa répond par l’affirmative. Je pense qu’au-delà de son discours un peu guerrier, il accepte qu’il y a une opportunité et une possibilité de dialogue mais il n’en clarifie pas les formes. Alors que le Mali s’engage dans l’élaboration d’une charte de paix, cette interview apparaît comme un appel au dialogue, certes, mais à condition qu’il soit conforme aux intérêts de l’Islam et des musulmans. Koufa est favorable au dialogue mais imprécis sur sa forme.

Il distingue aussi le dialogue politique de la trêve locale. Le dialogue politique relève d’Iyad et la trêve locale des acteurs locaux. Elle n’est pas forcément durable. Elle est conclue quand «la situation l’exige.»   

 

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Seydou Badian: quand l’armée française manipulait les Touaregs https://mondafrique.com/video/seydou-badian-la-france-manipule-les-touaregs-8-15/ Wed, 23 Oct 2024 01:53:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=21431 A l’occasion de l’élection présidentielle qui se déroulera au Mali en juillet 2018, Mondafrique a rencontré M. Seydou Badian Kouyaté, homme de lettres, ex ministre de l’économie rurale et du plan et ex ministre du développement du gouvernement de Modibo Keita (1960-1968). Reconnu comme une personnalité intellectuelle et politique importante et de référence de la […]

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A l’occasion de l’élection présidentielle qui se déroulera au Mali en juillet 2018, Mondafrique a rencontré M. Seydou Badian Kouyaté, homme de lettres, ex ministre de l’économie rurale et du plan et ex ministre du développement du gouvernement de Modibo Keita (1960-1968).

Reconnu comme une personnalité intellectuelle et politique importante et de référence de la société malienne, il nous a parlé de son expérience et de sa vision d’avenir pour son pays.

Nous présentons cet entretien en 15 épisodes pour une meilleure compréhension de l’espace historico-politique du Mali.

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Mali, les forces armées en pleine déroute face à la coalition du Nord https://mondafrique.com/politique/quand-les-forces-armees-maliennes-rebroussent-chemin/ Wed, 09 Oct 2024 01:10:55 +0000 https://mondafrique.com/?p=119884 Suivi dans tous ses mouvements par les militants touareg de la coalition rebelle du nord, le convoi militaire des forces armées maliennes et de leurs supplétifs russes, parti de Kidal il y a plus d’une semaine pour venger l’humiliante défaite de Tinzawaten le 27 juillet, vient de rebrousser chemin mardi. Les services ukrainiens au secours […]

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Suivi dans tous ses mouvements par les militants touareg de la coalition rebelle du nord, le convoi militaire des forces armées maliennes et de leurs supplétifs russes, parti de Kidal il y a plus d’une semaine pour venger l’humiliante défaite de Tinzawaten le 27 juillet, vient de rebrousser chemin mardi.

Les services ukrainiens au secours des Touareg du Nord Mali

Cible de l’opération, les militants du Cadre Stratégique Pour la Défense du Peuple de l’Azawad (CSP-DPA) ont publié sur leurs comptes en ligne une vidéo montrant de très loin des véhicules soulevant la poussière. Ils affirment que le convoi, qui était en route pour la ville frontière avec l’Algérie, a fait demi-tour. « Le convoi de l’ennemi a rebroussé chemin. Pour le moment, ils ont Kidal en face et Tinzawaten au dos. Visiblement, ils ne sont pas prêts pour une autre aventure, écrit le porte-parole du CSP-DPA Mohamed Elmaouloud Ramadane sur son compte X. 

Des photographies du convoi lui-même et des objets abandonnés dans leur progression par les soldats des FAMA, les mercenaires de Wagner et d’Africaka korps sont publiées quotidiennement par leurs ennemis du nord, reflétant sans doute à la fois l’appréhension de ces derniers et une forme de guerre psychologique.

Une guerre des nerfs sur les réseaux sociaux

Lundi, Ramadane avait ainsi publié une image satellite prise à In-Tifirkit, où l’on peut voir 27 véhicules, dont un blindé, à l’arrêt. Le convoi se trouvait alors à une centaine de kilomètres de Tinzawaten. Deux jours plus tôt, une partie des hommes s’était rendue sur le site de la bataille qui a fait plusieurs dizaines de morts russes fin juillet. On suppose qu’ils cherchaient à récupérer les corps de leurs camarades. Mais cette mission a avorté, les dépouilles des Russes ayant été emportées, d’après les sources au CSP. Les rebelles diffusent d’ailleurs régulièrement des images de leurs prisonniers russes qu’ils disent bien traiter.  

Le 5 octobre, dans un communiqué, le CSP-DPA a accusé les FAMA et leurs alliés d’avoir effectué la nuit précédente une frappe de drone dans la même zone sur deux camions transportant des orpailleurs nigériens sur la route du retour. Selon le CSP-DPA, 7 hommes seraient morts et trois autres auraient été blessés dans cette opération. Les premiers soins auraient été apportés aux blessés par « les forces du CSP sécurisant la zone », précise le communiqué. Des vidéos tournées sur place montrent des cadavres carbonisés et un homme parlant la langue la plus parlée du Niger, le haussa, demandant qu’on les « laisse travailler pour gagner (leur) vie. « 

Le 1er octobre, près de Tin-Assako, un Pantsir brûlé avait été abandonné par l’imposant convoi sur sa route. Le désert met à rude épreuve les véhicules et les moteurs. Le Pantsir est un véhicule antiaérien russe de courte à moyenne portée. Depuis leur rapprochement avec l’Ukraine et peut-être d’autres puissances occidentales, les combattants du CSP-DPA font usage de drones kamikazes et semblent disposer de moyens d’observation aérien, satellites ou drones. 

Une barrière de sable a été érigée par l’Algérie pour protéger sa frontière à Tinzawaten

En prévision de la revanche de Tinzawaten, l’Algérie, dont les relations sont au plus bas avec le Mali, a élevé une barrière de terre pour matérialiser la frontière entre les deux pays et empêcher des incursions militaires maliennes. Selon plusieurs sources, elle aurait également mobilisé des moyens anti-aériens contre les drones des FAMA. Alger est très chatouilleuse sur le respect de son intégrité territoriale. Elle subit également la pression des populations touareg algériennes qui vivent dans les régions du sud. Des milliers de Maliens appartenant aux communautés du nord ont trouvé refuge en Algérie depuis la prise de Kidal en novembre 2023. 

 

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Mali, les rebelles touareg reconnaissent coopérer avec l’Ukraine https://mondafrique.com/international/mali-les-rebelles-touareg-reconnaissent-cooperer-avec-lukraine/ Mon, 30 Sep 2024 05:00:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=118082 Dans une interview, le porte-parole du Cadre Stratégique pour la Défense du Peuple de l’Azawad (CSP-DPA), la coalition rebelle touareg qui a infligé une sévère défaite à Wagner dans l’extrême-nord du Mali, a reconnu l’alliance de son mouvement avec l’Ukraine et précisé que cette coopération en était à sa « première phase. »   Le site d’information […]

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Dans une interview, le porte-parole du Cadre Stratégique pour la Défense du Peuple de l’Azawad (CSP-DPA), la coalition rebelle touareg qui a infligé une sévère défaite à Wagner dans l’extrême-nord du Mali, a reconnu l’alliance de son mouvement avec l’Ukraine et précisé que cette coopération en était à sa « première phase. »
 
Le site d’information français Contre-Poison a diffusé une interview de Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du CSP-DPA. le 9 septembre. Ramadane inscrit la coopération avec l’Ukraine dans la continuité des efforts diplomatiques déployés par son groupe depuis douze ans auprès de tous les partenaires susceptibles d’aider l’Azawad, la grande région du nord du Mali dont le CSP revendique l’indépendance.

« Nous avons établi des contacts avec de nombreux Etats. Ces derniers temps, l’Ukraine est entrée dans la danse car nous avons un dénominateur commun : les mercenaires russes de Wagner, qui ont aussi envahi l’Ukraine. L’Ukraine voit des ennemis là où se trouvent les Wagner et nous, dans l’Azawad, faisons face à cette organisation qui est la cause de malheurs et de destruction dans beaucoup de pays, en Libye, en Syrie, en République centrafricaine, au Soudan et bien évidemment en Ukraine », a dit Mohamed Ramadane.

« La coopération entre le CSP-DPA et les Ukrainiens en est à sa première phase. Il est trop tôt pour révéler sur quels plans l’Ukraine nous a aidés », a-t-il poursuivi.  

 

Sur le champ de bataille, à Tinzawaten, juillet 2024

« Car si l’Ukraine a ses propres combats et fait face à l’ennemi directement, nous menons aussi notre propre combat pour la liberté de notre population. C’est pourquoi il est nécessaire qu’on nous aide, particulièrement sur le plan militaire, afin de stopper l’avancée des criminels de Wagner. Cet appel est valable pour tous les alliés de l’Ukraine et pour tous ceux qui aident à combattre l’impérialisme russe. (…) Car la Russie est une menace pour le monde entier », a-t-il ajouté. 

Le porte-parole de la coalition a précisé que les premiers contacts avec l’Ukraine remontaient au début de l’année 2024. Il a précisé que la Russie était devenue un ennemi de son groupe dès lors qu’elle a décidé d’appuyer le gouvernement militaire de Bamako à travers les mercenaires de Wagner. Des exactions russes sont régulièrement rapportées dans les campements du nord du Mali depuis la chute de Kidal, en novembre dernier. 

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« La Russie a choisi son camp »

« La Russie était auparavant un pays de médiation, qui avait des représentants dans le Comité de Suivi de l’Accord d’Alger et qui connaissait bien l’histoire du conflit qui oppose l’Azawad au Mali. Elle a choisi son camp en prenant partie pour les putschistes de Bamako. (…) Son immixtion dans ce combat ne sera pas sans conséquences au plan juridique car elle a une grande part de responsabilité dans les exécutions extrajudiciaires des civils Azawadiens. »

Pour le porte-parole, si Wagner jouissait d’une certaine autonomie du vivant de son chef Prigojine, c’est bien désormais la Russie qui coiffe la société militaire privée. « Depuis que les mercenaires de Wagner dépendent du ministère de la Défense russe, Moscou répond directement et juridiquement de leurs actions, pas comme du temps où Prigojine était vivant. »

Ramadane ne s’est pas dit favorable au retour de l’armée française mais il a toutefois lancé un appel à l’aide étrangère. « Nous, en Azawad, ce que nous voulons, ce n’est pas une intervention étrangère.(…) Nous ne voulons pas faire de l’Azawad un champ de règlements de compte. Nous savons ce que nous voulons : des partenariats avec la France, l’Union Européenne, avec tous les Etats, même les pays voisins, qui souhaitent nous aider à mener ce conflit jusqu’au bout. (…) L’Azawad peut être une digue pour ceux qui visent la Méditerranée et l’Europe à travers le Sahel. »

Le CSP-DPA affirme avoir mené seul les combats ayant abouti à une cuisante défaite de l’armée malienne et de ses alliés russes, fin juillet, à la frontière algérienne. Cependant, selon plusieurs sources, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, affilié à Al Qaida, serait intervenu à la fin de la bataille, prenant en tenaille la colonne malienne bloquée par une tempête de sable. Au lendemain de cette opération, qui a fait plusieurs dizaines de tués russes, l’Ukraine a affirmé avoir agi aux côtés des rebelles, soulevant un tollé dans la région. Selon des sources de Mondafrique, Kiev aurait formé ces derniers mois des combattants du CSP-DPA, notamment sur l’utilisation des drones kamikazes, en Ukraine et dans le nord-ouest du Mali. 

Mali, des dizaines de miliciens russes tués par les rebelles touareg

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La frappe d’Al Qaida d’une ampleur inégalée au coeur de Bamako https://mondafrique.com/a-la-une/al-qaida-frappe-bamako-au-coeur/ Wed, 18 Sep 2024 15:14:31 +0000 https://mondafrique.com/?p=118518 Un commando du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM ou encore JNIM), l’organisation qui coiffe les différents groupes djihadistes affiliés à Al Qaida au Sahel, a attaqué le mardi 17 septembre au petit matin l’aéroport de Bamako et l’école de gendarmerie du quartier de Faladjé. Les forces armées maliennes ont repris le […]

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Un commando du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM ou encore JNIM), l’organisation qui coiffe les différents groupes djihadistes affiliés à Al Qaida au Sahel, a attaqué le mardi 17 septembre au petit matin l’aéroport de Bamako et l’école de gendarmerie du quartier de Faladjé. Les forces armées maliennes ont repris le contrôle des deux emprises.

Selon de nombreuses sources sécuritaires et civiles jointes par RFI, le bilan pourrait être bien plus lourd : au moins une trentaine de gendarmes et soldats tués, sans doute plus. Car les chiffres varient, selon les sources, qui avancent plusieurs dizaines de blessés, qui ont afflué dans les hôpitaux de la capitale.

L’obsession anti Wagner

Dans ses messages de propagande, le Jnim revendique « une centaine » de personnes tuées ou blessées et affirme avoir infligé « de lourdes pertes aux mercenaires de Wagner ». « On ne sait même pas encore le nombre exact, mais c’est incommensurable », explique avec colère une source sécuritaire malienne.

On ignore en effet le nombre précis de victimes de part et d’autre. Cette attaque fait suite à des menaces répétées du GSIM contre les trois capitales de l’Alliance des Etats du Sahel.

Rebelle touareg du nord Mali devenu le chef dy GSIM, le principal mouvement djihadiste au Mali, Iyad Ag Ghali, qui est devenu une figure centrale de l’avenir du Mali, est passé par l’armée de Kadhafi et fut longtemps très proche des services de renseignements algériens (DRS)

Dans l’une des vidéos filmées dans l’aéroport désert, on voit un djihadiste en treillis, coiffé d’un chèche vert, mettre le feu au réacteur de l’avion présidentiel. Le salon d’honneur est également pris à partie. Plusieurs aéronefs auraient été endommagés, selon diverses sources, dont un appareil des Nations unies. 

A l’école de la gendarmerie, des élèves gendarmes ont été surpris dans leur sommeil, si l’on en croit une autre vidéo montrant plusieurs  corps carbonisés auprès des lits, encore vêtus de leur tenue de sport. 

Le chef d’Etat-major de l’armée malienne, le général Oumar Diarra, est intervenu à la télévision, à partir de l’école de gendarmerie, pour annoncer que « les terroristes qui ont été infiltrés (avaient) été neutralisés et que leurs complices étaient recherchés ». Il est apparu auprès d’un groupe d’une vingtaine d’hommes en civil, des djihadistes présumés, ligotés au sol, yeux bandés. 

Eviter les amalgames

La réponse de la junte au pouvoir ne brille pas par son originalité. Le général Diarra a parlé d’une « tentative d’infiltration un peu complexe » et d’une « situation sous contrôle. » Il s’est également adressé à la population malienne pour lui dire que « la situation était faite exprès ».  Les populations doivent collaborer avec les forces de défense mais « éviter les amalgames ». « L’objectif de ces terroristes-là est de nous mettre dos à dos et d’essayer de stigmatiser les gens par ci, par là. »

Dans un communiqué diffusé plus tôt, le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile avait dit compter « sur la vigilance et l’esprit patriotique des populations tout en les exhortant à signaler aux forces de défense et de sécurité tout mouvement suspect ou fait digne d’intérêt. » Dans la journée, dans la capitale, plusieurs agressions de civils contre des personnes portant des symboles religieux salafistes ou vêtus à la mode nomade peule et touareg ont été rapportées, réveillant le souvenir des ratonnades anti-Touareg de 2012, lors du déclenchement de la rébellion du nord. Certaines sources parlent carrément de lynchages.

La revendication du GSIM 

Dirigé par Iyad Ag Ghalia qui fut longtemps l’ennemi public numéro un de l’armée française présente alors au Mali, le GSIM a revendiqué à chaud l’attaque de Bamako. Un communiqué a annoncé que « les moudjahidine (avaient) pris le contrôle total de l’aéroport militaire Modibo Keita, infligeant de lourdes pertes aux mercenaires de Wagner et détruisant plusieurs avions et véhicules ».

Dans une vidéo diffusée plusieurs jours avant l’attaque, un combattant djihadiste menace directement le colonel Assimi Goïta à visage découvert. 

Selon une source de Mondafrique, près de 400 hommes appartenant aux deux katibas maliennes Macina et Sarma et à la katiba burkinabè soeur d’Ansaroul Islam auraient été recrutés et formés depuis février par le Mauritanien Abou Hamza Chinghetti près de Tombouctou, notamment dans l’utilisation des véhicules kamikazes. Il s’agit ainsi, pour le GSIM, de répondre à l’union militaire affichée par les armées des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), dont l’anniversaire de la création était célébré mardi. La présidence de l’AES est actuellement assurée par le colonel Assimi Goïta. Bamako n’a pas été choisi par hasard.

Des attaques déja en janvier

Un groupe islamiste armé lié à Al-Qaïda a tué au moins 32 civils, dont 3 enfants, et a incendié plus de 350 maisons dans le centre du Mali en janvier 2024, forçant environ 2 000 villageois à fuir, a déclaré Human Rights Watch Human Rights Watch a documenté cette contre les villages d’Ogota et d’Ouémbé, dans la région de Mopti, le 27 janvier. Ces attaques ont eu lieu dans le contexte d’un cycle de meurtres et de violences communautaires commis en guise de représailles dans le centre du Mali. Les autorités militaires de transition du Mali, qui ont pris le pouvoir lors d’un coup d’État en mai 2021, devraient enquêter d’urgence sur ces abus, poursuivre les responsables de manière équitable et mieux protéger tous les civils en danger.

« Des groupes armés islamistes et des milices ethniques attaquent brutalement des civils sans crainte de poursuites », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient agir pour mettre fin aux cycles meurtriers de violence et de meurtres commis par vengeance et mieux protéger les civils menacés. »

L’agrégation de groupes disparates

Comme en Afghanistan où la victoire des talibans a été acquise par l’alliance entre la connaissance du terrain et le maillage territorial, le GSIM agrège un ensemble de groupes disparates : Ansare Dine, créée en 2012 par Iyad Ag Ghali, pour rallier une partie de la communauté touarègue la Katiba Macina d’Amadou Koufa, dont le fief se situe au centre du pays, la Katiba Serma, près de la forêt éponyme, dans le Centre, et la Katiba Gourma, dans la zone des trois frontières communes au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

Par le nombre des structures qu’il fédère mais surtout par son implantation ethnique ouverte aux populations arabe, touareg, peul ou bambara, le GSIM revendique une identité nationale malienne comparable à la dynamique créée par les talibans dans ses alliances avec les structures tribales afghanes.

Tout comme « les frères » de Kaboul, le GSIM a adopté la même architecture organisationnelle que les talibans : Un conseil de chefs, Majilis-Al-Ayan au sommet assisté par une assemblée générale populaire Majilis-Al-Choura.  Comme chez les talibans, et à la différence de l’EIGS, n’il n’y a pas dans le GSIM un « gourou », mais une sorte de « responsable » délégué. Iyad Ag Ghali n’est que « le Mollah » du GSIM, une sorte de « Mollah Omar », de son vrai nom Mohammad Omar, chef des talibans de 1994 jusqu’à son décès en 2013.

Dans le collimateur de la junte

En novembre 2023, le pouvoir judiciaire malien avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur plusieurs séparatistes ethniques et chefs de groupes armés liés à Al-Qaïda, dont Iyad Ag Ghaly, pour terrorisme et blanchiment d’argent. Ce dernier est toujours en liberté.

Human Rights Watch a documenté de manière détaillée les abus généralisés commis par Ansar Dine contre des civils dans le nord du Mali alors que le groupe appliquait son interprétation stricte de la charia, ou loi islamique. Ces abus incluaient des exécutions sommaires, des passages à tabac, des flagellations et des arrestations arbitraires de personnes ayant un comportement décrété comme haram (« interdit », en arabe), notamment la consommation de cigarettes, l’écoute de musique et le non-respect des prières quotidiennes. Une police islamique appelée Hisbah infligeait les châtiments pour ces « infractions, » souvent à l’issue de « procès » sommaires.

Mali, le chemin vers le pouvoir d’Iyad Ag Ghali

 

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Inondations dans le Sahel et le Sahara https://mondafrique.com/limage-du-jour/inondations-dans-le-sahel-et-le-sahara/ Wed, 04 Sep 2024 15:45:22 +0000 https://mondafrique.com/?p=117579 Des inondations monstre sont rapportées depuis quelques jours partout au Sahel, ainsi que dans le Sahara. Une saison des pluies très abondante a fait suite, cette année, à une saison chaude particulièrement longue et intense.   Au Niger, toutes les grandes villes du pays sont désormais affectées, avec des maisons effondrées, des routes et des ponts […]

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Des inondations monstre sont rapportées depuis quelques jours partout au Sahel, ainsi que dans le Sahara. Une saison des pluies très abondante a fait suite, cette année, à une saison chaude particulièrement longue et intense.  

Au Niger, toutes les grandes villes du pays sont désormais affectées, avec des maisons effondrées, des routes et des ponts coupés et des personnes et du bétail en détresse. On ne compte plus les jardins inondés. Même le nord du pays, désertique, affiche des images de désolation sur les réseaux sociaux. A Bamako, Gao, Segou et à N’Djamena et autour du lac Tchad, la situation est à peu près la même. Au total, ces événements climatiques ont fait des dizaines de milliers de victimes lors de centaines d’épisodes. 

Lac Tchad, photo UNOCHA (août 2024)

Cette période de l’année est souvent critique, car elle correspond au pic de la saison des pluies qui gonfle les rivières et les cours d’eau temporaires.

Mais selon le journal en ligne français Reporterre, la quantité de pluie enregistrée en ce début septembre 2024 dans le Sahara témoigne d’un événement météorologique rarissime. « Plus de 500 % des précipitations mensuelles normales en septembre devraient tomber au cours de cet épisode, qui pourrait s’étendre sur deux semaines. Très localement, ce cumul sera même supérieur à la normale de 1 000 %. »

Agadez, 3 septembre 2024

Le Sahara, région la plus sèche de la planète, connaît un épisode pluvieux important une fois tous les dix ans en moyenne. Il faut cependant remonter à 1994 pour atteindre ce niveau de précipitations, le plus élevé jamais observé depuis le début des relevés. « Ce phénomène est attribuable au fait que depuis le mois de juin, la zone dite de convergence intertropicale — une bande chaude et humide de l’atmosphère — se situe bien plus au nord que d’ordinaire, pour des raisons inconnues. »

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