Le réalisateur Daouda Coulibaly, Marseillais d’origine malienne, l’explique : « Wulu, c’est une métaphore, pour signifier le parcours initiatique de Ladji dans une société moderne sans pitié. Lui qui vient d’une société traditionnelle, avec des valeurs transmises par des rites d’initiation (notamment le N’Tomo, évoqué en préambule du film), il va falloir qu’il s’adapte et qu’il découvre une nouvelle forme d’initiation. Celle qui va lui permettre de trouver sa place dans une société mondialisée, où l’argent a une odeur : celle de la corruption et de la drogue. C’est finalement son « initiation criminelle » que le film décrit dans pitié.
Népotisme, encore et toujours !
Ladji (Ibrahim Koma, magnifique et d’un flegme à l’intensité inquiétante), sort de prison et dégote un job : auxiliaire d’un chauffeur de minibus. Au moment où il devrait prendre place derrière le volant, son patron préfère engager un parent. Tel est le fonctionnement de la société malienne.
Seuls ceux qui sont bien nés ou proches de l’élite politique et économique ont un avenir. La tentation des chemins de traverse est alors forte pour tous les autres… Elle l’est d’autant plus que la corruption a atteint le plus haut sommet de l’Etat et de la société malienne, comme ose le filmer Daouda Coulibaly.
Le ton est donné : au delà d’un parcours de vie individuel, c’est toute une société, avec ses couleurs et ses zones d’ombres, qui est décrite à 100 à l’heure.
Dégouté, Ladji claque la porte, mais lorsqu’il découvre sa sœur (la décapante chanteuse Malienne Inna Modja, géniale en bimba avec sa collection de perruques multicolores) en train de se prostituer, il décide d’en finir « avec la galère » et renoue avec un ami qui lui confie un camion « frigorifique » sur le trajet Dakar-Bamako : transport de drogue. Son coup d’essai est « un coup de maître » : le garçon fait preuve d’un sang froid et d’une présence d’esprit qui le font remarquer de son « caïd », le patron français (Olivier Rabourdin) de la très officielle entreprise de transports qui sert de couverture au trafic.
C’est pour Ladji le début d’une brillante carrière qui le mènera à la richesse mais aussi… droit dans le mur.
Frère et soeur
Car derrière la énième description d’une société corrompue (police, armée, personne n’est épargné) aux allures de thriller, c’est le portrait psychologique d’une jeune homme et de son rapport ambigu à sa sœur qui retient l’attention…
Et c’est là tout l’intérêt de ce film audacieux à la réalisation soignée, au montage haletant, aux interprètes détonants : il sait marier habilement le film à thèse (dénonciation d’une Afrique corrompue) à la tragédie personnelle.
Coulibaly revendique ce mélange : « Justement, pour que ce soit efficace, il faut les deux volets. Le volet documentaire, qui est là pour expliquer comment se met en place ce trafic. A ce dernier, il faut aussi associer un volet plus distancié qui nous permet de prendre du recul et du champ par rapport à la réalité et l’évoquer d’une manière un peu plus poétique, onirique comme vous dites. Pour justement être dans l’intimité avec le personnage. »
Un « scarface » désabusé…
Le réalisateur s’appuie sur une série de faits divers: dans le nord du Mali, Ladji a pour interlocuteurs les groupes armés contre lesquels les troupes françaises interviendront bientôt (le film est situé avant l’offensive islamiste de 2012) ; en Guinée, il profite de l’instabilité qui suit le changement de régime ; à Bamako, il arpente les corridors du pouvoir, qui se confondent avec les arrière-salles du crime organisé.
Mais le réalisateur va plus loin en brossant le portrait d’un jeune homme perdu malgré sa détermination à « s’en sortir » et qui n’a l’air finalement motivé que par son besoin de ne pas décevoir sa sœur : ravissante et cynique idiote attirée par « tout ce qui brille » et prête à tout pour goûter au luxe, au calme et à la volupté. Ladji ne veut pas la décevoir et fait tout pour satisfaire son besoin de gravir les « échelons » de la société des privilégiés.
Personnage central, anti-héros à l’amoralité compréhensible, Ladji devient en quelque sorte le porte-parole mutique d’une jeunesse en mal de repères, réduite aux expédients pour s’en sortir, jusqu’à, si nécessaire, basculer dans l’illégalité. Mais à l’opposé du Tony Montana de Scarface (inspiré d’Al Capone) qui finit par se faire abattre parce qu’il a été trop gourmand, Ladji, s’il lui aussi est pris dans la spirale du succès, il ne profite jamais de rien.
Et le spectateur s’attache à ce bad boy impassible, tout comme le réalisateur : « Pour moi, le personnage de Ladji est quelqu’un de bien, qui aurait dû s’en sortir dans la vie autrement qu’à travers une carrière de trafiquant. C’est ça qui m’intéressait aussi dans le projet : partir de quelqu’un qui a toutes les chances de s’en sortir, qui symbolise une jeunesse dynamique, intelligente, travailleuse et qui finalement va se heurter au blocage de la société. Il trouve dans le trafic de cocaïne le seul recours possible pour sa survie. »
Ladji, anti-héros taciturne.
A aucun moment, Ladji joué par Ibrahim Koma ne devient un fier à bras. Le thriller expiatoire de Daouda Coulibaly ne cherche pas tant à dupliquer les standards anglo-saxons qu’à instruire à charge le procès d’un pays gangrené par le népotisme et la corruption. Car pour le cinéaste, les sommes colossales générées depuis plus de dix ans par le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest ont contribué à financer le terrorisme et à déstabiliser le Mali.
Loin de profiter de l’argent accumulé, Ladji – contrairement à cette sœur qu’il n’arrive pas à réfréner – finit par s’envoyer en l’air, au sens propre : dégouté par le monde, dégouté par lui-même.
Une fin abrupte et qui émeut par son laconisme.