Le nouveau livre de Lou Osborn et Dimitri Zufferey, « Wagner – Enquête au cœur du système Prigojine », est une grande enquête sur le groupe mercenaire Wagner, publiée le 12 septembre aux éditions du Faubourg. Elle se concentre, parmi de nombreux aspects, sur les activités du groupe en Afrique.
Mateo Gomezs
C’est plus de 300 pages d’enquête sur « la galaxie Wagner » scrutée par Lou Osborn et Dimitri Zufferey, qui s’appuient sur des années de travail du projet d’un collectif de journalistes. Les journalistes ont fini d’écrire leur livre après la révolte avortée de Evgueni Prigogine en Russie en juin dernier. La mort des chefs du groupe, le 23 août, dans un “accident” d’avion les a pris de court, deux semaines avant la publication.
Il n’empêche, les journalistes réalisent un travail remarquable, avec, notamment, un tiers du livre se concentrant exclusivement sur les activités du groupe en Afrique. Selon eux, après le succès de ses opérations en Syrie, où un Bachar Al-Assad en grave difficulté à cause de la guerre civile a accueilli Wagner les bras ouverts, le groupe s’installe progressivement en Afrique sahélienne lors de la fin des années 2010. “Le groupe y entre en déployant une stratégie autour de trois axes : les services de sécurité au profit des régimes en place, la négociation d’une rémunération en ressources naturelles aux conditions privilégiées et l’organisation de campagnes d’influence agressives destinées à changer les perceptions sur les mercenaires, la Russie et les régimes employeurs.”
Wagner sert à la Russie de deux manières principales: l’extraction de ressources et le prestige diplomatique. C’est un “véritable laboratoire grandeur nature et terrain de conquête pour la politique étrangère russe”, “profitant de la baisse d’influence française sur ses anciennes colonies” pour rétablir une grandeur diplomatique digne de sa puissance d’antan, sérieusement endommagée après la chute de l’URSS. De surcroît, les États africains, souvent menés par des Putschistes, dictateurs ou autres figures autoritaires, apprécient pouvoir compter sur une force de frappe efficace et discrète. « Il y a un réel besoin d’aide militaire, aide de préférence peu regardante sur les questions de droits de l’homme.”
Du Levant au Sahel
L’Histoire de Wagner en Afrique commence donc en Syrie, premier théâtre d’opérations. La guerre civile qui secoue le pays sert de laboratoire à Poutine, qui y teste son influence diplomatique, son armée modernisée… et sa nouvelle arme, la nébuleuse Wagner. “La compagnie prouvera sa détermination en Syrie, en prenant des risques, en s’appuyant sur des renforts locaux, et en bénéficiant du soutien de l’armée russe. Les contrats signés avec ses sociétés de pétrole témoignent de sa crédibilité en tant que partenaire. C’est en Syrie que Wagner va tester son offre. Le Levant sera sa carte de visite, une référence incontestable. L’offre Wagner va permettre à Moscou d’accroître son influence dans le monde durant cette dernière décennie et fait de Prigojine un acteur incontournable pour le Kremlin.” Le franc succès de toutes les opérations russes en Syrie convainc les autocrates en difficulté en Afrique.
Tout s’enchaîne très vite. Entre 2017 et 2022, Wagner se répand comme une traînée de poudre dans le continent. Cela commence, en 2017, par une entrée retenue et expérimentale au Soudan. “Quelque 500 hommes sont déployés pour réprimer des soulèvements contre le gouvernement du dirigeant soudanais Omar el-Béchir. En guise de paiement, Prigojine reçoit des droits exclusifs sur l’exploitation de l’or du pays. M-Invest et Meroe Gold, deux satellites de la galaxie Wagner, mènent des opérations minières, convenues lors de pourparlers auxquels Poutine, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense et le président el-Béchir, ont assisté.” Après le pétrole Syrien, Wagner regarde avec gourmandise une des plus grandes richesses de l’Afrique, les métaux précieux. Le groupe ne se révèle néanmoins pas très loyal. “L’aide russe n’arrivera toutefois pas à empêcher la révolution de 2019 et la chute d’el-Béchir. Wagner continuera de se tenir aux côtés de l’ancien chef de milice, Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemetti, que beaucoup considèrent comme le nouvel homme fort du Soudan.” […] “Le Soudan est un excellent exemple du système W. La galaxie soutient non seulement Omar el-Béchir, mais aussi l’opposition, ce qui l’aide à rester dans le pays.” Pourtant c’est une situation risquée, et le conflit civil qui commence en avril 2023 les met en difficulté, avec notamment l’arrestation de plusieurs cadres d’entreprises minières par les autorités. Le Soudan est néanmoins resté, au moins initialement, une opération à succès, qui a enhardi Wagner et les a poussés à aller encore plus loin en République Centrafricaine.
La colonie Centrafricaine
La Russie se glisse aussi vite en RCA que la France se retire, de 2013 à 2018. A grand coup de contrats de coopération avec des entreprises écran de Wagner, la nébuleuse étend peu à peu sa mainmise sur le petit pays. Au nom de la sécurité, de plus en plus d’hommes et de matériel sont envoyés. “La Centrafrique devient une colonie Russe”, écrivent les auteurs. “Un nouvel accord de coopération est signé le 26 octobre 2021, entre le gouvernement et la nouvelle société-écran de Wagner, accord par lequel la capacité fiscale et douanière de la RCA est détournée. Le système est toujours le même : des dirigeants centrafricains servent de prête-noms, en réalité des Russes sont aux commandes et indirectement cette nouvelle société est peu à peu intégrée à la galaxie Prigojine. Les hommes de Wagner sont bien implantés à Bangui [la capitale] et la mainmise financière se fait désormais au grand jour, ce qui commence à susciter quelques inquiétudes.” […] “Un proche du ministère des Finances avec qui nous sommes en contact s’inquiète d’ailleurs du peu de maîtrise [du gouvernement] sur la compagnie. […] Par an, l’État centrafricain alloue en moyenne 20% de son budget annuel à [Wagner]. Tout l’argent du développement de la République centrafricaine […] est transféré à Wagner. Pour quel résultat ? D’une certaine manière, les Centrafricains sont prisonniers d’une nouvelle forme de colonisation.”
Pas toutes les opérations sont couronnées de succès. L’implantation en Mozambique, notamment, est un échec, principalement sécuritaire: la compagnie n’arrive pas à endiguer la menace islamiste dans le pays, à cause de la méconnaissance du terrain et la culture. Or, sans ces fondements sécuritaires, impossible d’obtenir contrats et ressources. Au Mali, après le coup d’État de 2021 et la fin de l’opération Barkhane, “la nébuleuse peine à convaincre et à s’imposer […] aussi facilement qu’en Centrafrique. Les ressources naturelles se révèlent plus difficiles à obtenir. La junte est incapable de payer une redevance mensuelle, ce qui pousse les mercenaires payés au mois à se mettre en grève et à piller les villages. Ils refusent de participer aux opérations planifiées et mettent la junte sous pression.” De plus, la coopération entre les paramilitaires et l’armée malienne se passe mal. Au Tchad, malgré des opérations de propagande et des tentatives de déstabilisation, Wagner n’arrive pas à faire sauter le verrou Déby, solide allié de la France.
Mais l’aventure ne s’arrête jamais: avec le coup d’État au Niger en juillet 2023, Wagner tente à nouveau de s’immiscer dans les affaires sahéliennes. La machine propagandiste et sécuritaire s’enclenche. Il est encore trop tôt pour dire si ce nouveau théâtre d’opérations est un succès ou un échec pour la galaxie Wagner. Le temps le dira. Dans tous les cas, pour l’instant, il n’y a aucun signe de ralentissement.
Mateo Gomez.