Le 21 octobre 2000, à Ramallah, Jacques-Marie Bourget, journaliste (alors à Paris Match), est très grièvement blessé par un tir. Poumon perforé, veine sous-clavière ouverte, le pronostic vital est engagé. Ce sont les secouristes du Croissant Rouge palestinien qui transportent le blessé à l’hôpital de Ramallah. L’état du reporter y est jugé si alarmant que les médecins demandent son transfert vers un hôpital israélien. Ce n’est pas un problème de compétence mais il est clair que le matériel médical et la technologie inondent les établissements hospitaliers de Tel Aviv, alors que celui de Ramallah est soumis à la pénurie. Etrangement, l’armée israélienne refuse ce transfert. Les chirurgiens palestiniens se mettent au travail avec succès. En la matière ils ont hélas une trop lourde et cruelle expérience. Trente-six heures plus tard le journaliste doit être rapatrié à Paris dans un avion médicalisé. Refus des israéliens de laisser l’ambulance jusqu’à l’aéroport Ben Gourion. Chirac, alors président de la République, se fâche et exige qu’on laisse libre champ au blessé…Qui peut enfin gagner le service de réanimation de l’hôpital Beaujon à Paris
Après des mois de convalescence et de multiples opérations, dont l’une est réalisée par le professeur Christophe Oberlin qui lui rend une main gauche plus valide, J.M. Bourget dépose une plainte devant le TGI de Paris. Une information est ouverte pour « Tentative d’assassinat ». Dans la foulée un expert détermine que le journaliste a été la victime d’un balle de M16 fabriquée par IMI, l’industrie d’arment d’Israël.
Des israéliens muets
Après trois années de silence, les israéliens font connaitre à la France qu’ils refusent de collaborer à l’enquête, à la Commission rogatoire internationale. Cette impossibilité à instruire conduit le juge parisien à rendre un non-lieu. William Bourdon, l’avocat de J.M. Bourget lance alors une action devant la CIVI, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions et autres attentats terroristes.
Après des mois de silence, il est clair que certains magistrats sont inquiets de devoir dire qu’Israël ait pu commettre un acte relevant d’une Commission chargée de réparer les conséquences d’un acte de terrorisme. Après une première audience, les juges rejettent la demande de maître Bourdon. Ils expriment leur point de vue : donner raison au reporter serait mettre en cause des ordres donnés par un état démocratique, en l’occurrence Israël. J.M. Bourget fait appel.
Après de nouvelles années d’attente, le 15 juin, l’audience entend à nouveau William Bourdon. Entre temps Ghislain Poissonnier, éminent magistrat, a publié un article sur le « cas Bourget », dans la Gazette du Palais. Une étude fulgurante qui démontre qu’en déboutant le journaliste, le tribunal s’est trompé. L’ analyse met les magistrats face à leur responsabilité : dire le droit, et recevoir la demande de J.M. Bourget, ou alors se faire complices d’une erreur judiciaire.
Une décision exemplaire
Le 21 septembre l’arrêt est tombé, le tribunal ouvre le droit à l’indemnisation. Il le fait dans des termes forts puisque, s’appuyant sur des témoignages réunis lors de l’instruction interrompue par le défaut d’Israël, le tir dont J.M. Bourget a été victime est remis dans son contexte…Et Israël dans sa position de tireur. Voilà la motivation de la décision :
« Lors de l’enquête, Monsieur Thierry Esch, photographe accompagnant Monsieur BOURGET, précisait qu’“il n’avait pas vu d’où provenait précisément le tir, ni de snipper, ni quoi que ce soit”, mais que là où ils se trouvaient, seuls les israéliens pouvaient être à l’origine du tir. Il ajoutait qu’il lui semblait évident que si le tir provenait de l’hôtel City Inn,
qui se trouvait plus haut derrière les positions israéliennes, ils n’étaient pas à l’abri, et qu’il avait appris plus tard par les Palestiniens, que cet hôtel abritait l’armée israélienne.
A la question de l’enquêteur “Avec le recul, êtes-vous en mesure de localiser l’origine du tir ainsi que la distance? ”, un journaliste présent sur les lieux, Monsieur Alfred Yahobzadeh répondait comme suit : La réponse n’est pas évidente, car en fait il y avait plusieurs positions d’où les tirs israéliens pouvaient venir. L’origine principale des tirs provenait des “snipers” israéliens basés dans l’hôtel City Inn. (…) Il existe également une autre position pour les snipers israéliens qui est une position mouvante dans la mesure où le ou les tireurs se trouvent dans une jeep qui patrouille sur un point haut matérialisé par une petite colline (…) Le meilleur angle de tir semble pour moi provenir de l’hôtel et non du véhicule en mouvement.
Monsieur Laurent Van Der Stockt, autre journaliste entendu dans l’enquête, indiquait qu’à son avis, Monsieur BOURGET avait été visé par un tireur israélien se trouvant dans la jeep stationnée sur la butte située sur la droite des barricades, plutôt que par un tireur posté dans le bâtiment de l’hôtel City Inn, plus éloigné que la jeep en question, et qu’il ne s’agissait pas d’une balle perdue bien que cette thèse ne soit pas à écarter de façon définitive. Même si ce type de fusil M16 était utilisé par les soldats israéliens et que les témoins entendus privilégiaient l’hypothèse d’un tir israélien, en provenance “très probablement” d’une position tenue par l’armée israélienne, de l’autre côté des barricades, l’instruction ne permettait pas de déterminer avec certitude l’origine du tir, ni d’identifier l’auteur du tir, qui pouvait être un soldat israélien ou un civil.
En outre le seul fait que l’infraction ait été commise sur un territoire où ont lieu des affrontements armés ne suffit pas à exclure son caractère de droit commun.
En effet, il n’est pas démontré que ce tir effectué par une personne non identifiée, était constitutif d’un acte de guerre. Dès lors, les violences commises, dont on ne peut affirmer qu’elles résultent d’un fait volontaire, l’hypothèse d’une balle perdue ne pouvant être totalement exclue, présentent le caractère matériel d’une infraction de droit commun, et à ce titre ouvrent droit pour la victime du dommage à une indemnisation par le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d’autres infractions sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale.
Il convient donc de déclarer la requête de Monsieur Jacques-Marie BOURGET recevable. »
Cette décision pèse d’un poids considérable. D’un côté, par rebond, elle admet qu’une « tentative d’assassinat » commise par un agent israélien a pu être commise. De l’autre elle établit que les journalistes ne sont pas un gibier sur lequel on peut tirer impunément. Une bonne nouvelle pour la justice, le droit des journalistes et, par effet miroir, sur le sort fait aux palestiniens.