Théâtre à Tunis, une prostituée rencontre un islamiste

Un lit, une femme en nuisette rouge et un homme aux idées sombres: en Tunisie, une pièce de théâtre met en scène l’improbable dialogue entre une prostituée et un extrémiste islamiste, pour mettre la société face à ses contradictions.

« La Fuite » de Ghazi Zaghbani commence avec l’irruption dans la chambre de Narjess, une travailleuse du sexe lascivement étendue sur un lit, d’un homme en sueur à la longue barbe noire fuyant la police. C’est un islamiste revendiquant des idées extrémistes, qui dit s’entraîner « au combat » dans un camp jihadiste et à qui elle donnera malgré tout refuge.

S’engage alors un huis clos qui durera un peu plus d’une heure, pendant lequel ces deux personnages que tout oppose échangeront des passes d’armes, des piques et au final des caresses.

Une tentative de faire exploser « les contradictions » de la Tunisie, selon le metteur en scène. Un pays considéré comme l’un des plus ouverts du Maghreb et du Moyen-Orient, où les quelques maisons de passe qui subsistent sont légales et où les prostituées dépendent officiellement du ministère de l’Intérieur. Mais aussi un pays meurtri par des attaques jihadistes perpétrées par ses propres enfants, et dont des milliers de ressortissants sont partis rejoindre les groupes jihadistes en Irak, en Syrie et en Libye.

Contradictions
« Il m’a semblé nécessaire de poser plusieurs questions brûlantes », explique à l’AFP Ghazi Zaghbani. « Pourquoi on ne dialogue pas? Pourquoi est-ce qu’on ne s’écoute pas, on ne se regarde pas dans un miroir et on ne met pas à nu ce qui est en nous pour savoir où on va? »

« Le choix des personnages ne s’est pas fait au hasard. Il reflète beaucoup de ce qui est tu, et il met à nu nos contradictions », ajoute le metteur en scène et comédien, qui joue le rôle de l’extrémiste.
Le texte joué en dialecte est adapté du roman en français « La p… savante », de l’écrivain tunisien Hassen Mili.

A L’Artisto, théâtre tunisois conçu pour que les spectateurs soient au plus proche des protagonistes, le décor est minimaliste: un lit, des toilettes et un réfrigérateur contenant une pomme et une bouteille de vin.

Mais si le sujet est lourd, les dialogues sont légers et les saillies provocantes sont accueillies par des rires. Narjess, la prostituée, analyse la situation sociale, parle de liberté, de sexe. L’extrémiste, lui, est dépeint comme une personnalité butée qui n’arrive pas à dépasser ses préjugés. Il refuse de révéler son nom, ce qui pousse Narjess à lui donner le surnom péjoratif de « Lazreg », soit « le Foncé ».

Peu à peu, avec ses questions, la jeune femme l’amène à se confier. S’esquisse alors le portrait d’un jeune diplômé au chômage qui a perdu espoir -comme tant de Tunisiens-, ne sait pas comment se comporter avec les femmes et redoute l’intimité.

‘J’ai longtemps attendu ce rôle’
Nadia Boussetta, qui joue la jeune femme, a-t-elle hésité avant d’accepter ce rôle osé, qui plus est dénudé ? Au contraire, « j’ai longtemps attendu ce rôle », réplique-t-elle en riant. « Sans audace, l’artiste tombe dans la routine et les clichés ».

Elle estime important de représenter une prostituée dans un rôle principal, les travailleuses du sexe étant souvent reléguées au second plan au cinéma comme au théâtre. « Mon message, c’est de faire parvenir la voix de cette partie de la société qui vit une douleur quotidienne entre quatre murs », dit Nadia Boussetta.

Loin de n’être qu’un corps, Narjess finira par amener le jeune extrémiste à se remettre en question et à raser sa barbe « noire comme ses idées ». « Il incombe à tous de s’opposer au terrorisme qui … a peur de la culture et de la pensée », souligne Ghazi Zaghbani, le metteur en scène.

La pièce, présentée en mars à Tunis, doit être jouée en France et en Allemagne à partir de mai. Et à terme, Ghazi Zaghbani ambitionne de la porter sur grand écran.

Avec AFP