Le prédicateur a toujours prétendu qu’il donnait des conférences à titre gracieux. Le livre Qatar Papers révèle qu’il percevait au moins 35 000 euros chaque mois de l’émirat gazier. Une enquête de Ian Hamel
Quand elles n’évoquent pas sa vie sexuelle assez particulière, ses anciennes maîtresses s’attardent sur la radinerie légendaire de Tariq Ramadan. Prétendant qu’il n’avait pas d’argent, le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, leur faisait débourser la suite qu’il réservait dans les palaces.
Officiellement, il affirmait ne percevoir que 4 500 euros par mois de l’université d’Oxford. Ce n’est pas le Pérou, surtout lorsqu’il faut payer un logement à Kingsway, à Londres (son adresse officielle) et à Fourseasons, Westbay, à Doha (adresse publiée dans Qatar Papers. Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe (*). D’autant que son épouse, Isabelle Morisset, et ses deux filles, domiciliées dans l’émirat, ne semblent pas se tuer à la tâche.
Deux appartements à Montmartre
Heureusement pour notre saint homme, le Qatar volait à sa rescousse. Un document de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) révèle qu’il percevait 150 000 riyals, soit 35 000 euros mensuels de la Qatar Foundation, créée par la cheikha Moza, la deuxième épouse de l’ancien émir Hamad, et mère de l’actuel souverain. Ce qui lui a permis de s’offrir deux appartements rue Gabriel-Péri à Montmartre.
Cette somme peut s’analyser différemment. De nombreux “experts“, rémunérés par des pays étrangers, notamment africains, perçoivent des montants souvent supérieurs à 35 000 euros. En revanche, la majorité des Français, en particulier les populations d’origine magrébine, ne touchent pas le dixième de cette somme. Mais le scandale n’est pas là : Tariq Ramadan a toujours répété qu’il servait bénévolement la « cause ». En clair, il ne prenait pas un centime pour prêcher la bonne parole dans le monde entier ! C’était un brave garçon tout dévoué à son prochain. D’ailleurs, il n’avait pas le sou, donnant comme adresse rue Gabriel Péri à Saint-Denis. Alors qu’il a acquis en juillet 2017 deux appartements rue Gabrielle, à Montmartre, pour 670 000 euros. Bref, Tariq Ramadan jouait les fauchés.
« L’indépendance financière », vraiment?
Depuis ces nouvelles révélations, les sites musulmans ne l’épargnent plus du tout. Oumma.com dénonce sa « double vie sordide », et écrit que Tariq Ramadan, « jugé désormais trop sulfureux pour représenter la politique d’influence du Qatar à l’étranger, est devenu un paria dans l’oasis luxuriante du golfe Persique ». Quant à Saphirnews.com, il rappelle que le prédicateur leur avait déclaré « qu’il n’avait pas d’engagement financier dans le travail mené avec le Qatar ». Dans une vidéo, Tariq Ramadan jure même que « la réalité de mon engagement, c’est que le CILE (Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique) est un projet dans lequel j’ai posé dès le départ une indépendance intellectuelle et politique et une indépendance financière ». Le Qatar n’a d’ailleurs pas mis longtemps pour effacer le nom de Tariq Ramadan du CILE, qu’il dirigeait depuis sa création en 2012.
L’appel aux dons
Quelques rares personnes continuent néanmoins de défendre sur Internet le prédicateur. Mais il s’agit, en dehors de sa propre famille, de “trolls“ de plus en plus chichement rémunérés. Plus aucune personnalité du monde musulman n’ose dorénavant le soutenir. D’autant que pour assurer sa défense, suite à des plaintes pour viols en France et en Suisse, les Ramadan n’ont pas hésité à faire appel à la générosité de la « communauté ».
Or, Qatar Papers révèle que « du 1er janvier 2017 au 5 février 2018, trois jours après sa détention, ce dernier compte [à la Société générale] a enregistré pas moins de 729 910 euros de flux créditeurs et 778 269 euros au débit ». Bref, le prédicateur avait largement les moyens d’assurer sa défense, sans demander l’aide de ses supporters, qui se sentent aujourd’hui totalement floués.
Par ailleurs, ces montants versés par le Qatar étaient-ils déclarés ? Tariq Ramadan devra peut-être donné quelques explications au fisc.
Saïd Ramadan, la chute
Tariq Ramadan a également perçu 19 000 euros de la Ligue des musulmans de Suisse et 6 000 euros de Juste Cause, dont l’un des buts est de « venir en soutien aux musulmanes et musulmans qui font face à des discriminations et doivent couvrir des frais de justice ». Résultat, l’avenir du prédicateur apparaît aussi sombre que celui de son père, Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna, disparu en 1995 à Genève. Arrivé en Suisse dans les années 50, il avait pour mission de faire adhérer les musulmans d’Europe à la Confrérie des Frères musulmans. Grassement financé par l’Arabie saoudite, il aurait un peu trop abusé des plaisirs habituellement destinés aux “mécréants“. Discrédité, soupçonné de travailler pour les services américains, britanniques et suisses, Saïd Ramadan est mort abandonné de tous. Pas une seule publication n’a évoqué sa disparition, alors qu’il avait été dans le passé le ministre des Frères musulmans du Maroc au Pakistan.
(*) Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Michel Lafon, 293 pages