Des ouvriers s’échinent sur un chantier de construction dans la bande de Gaza lorsque Ahmad, un garde, aperçoit un étrange bout de pierre sortir de terre, vestige d’une nécropole romaine datant de 2.000 ans.
« Je croyais que c’était un tunnel », comme en creusent à travers ce territoire palestinien les combattants islamistes du Hamas pour tenter de déjouer l’armée israélienne, lance le jeune homme aux abords de ce nouveau site archéologique né d’un enchaînement étrange de circonstances. Après la dernière guerre entre Israël et le Hamas, en mai 2021, l’Égypte a financé la reconstruction d’une partie de Gaza, enclave de 2,3 millions d’habitants sous blocus israélien depuis désormais 15 ans.
À Jabalia, dans le nord du territoire, les bulldozers égyptiens creusaient la terre sablonneuse afin d’ériger de nouveaux immeubles de béton pour des Gazaouis sans logement, lorsque Ahmad a aperçu des pierres étranges émerger du sol. » J’ai alerté les contremaîtres égyptiens, qui ont tout de suite et contacté les autorités locales et demandé aux ouvriers d’arrêter (les travaux) », dit ce Palestinien qui préfère ne pas donner son nom complet.
La rumeur d’une grande découverte circule. Sur les réseaux sociaux, des Palestiniens postent des photos du site. Sous pression, le service des Antiquités de Gaza contacte les équipes de l’ONG française Première Urgence Internationale et de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf).
Mission de ces aventuriers des arches perdues ? Evaluer rapidement l’importance du site, le délimiter, pour éventuellement le protéger. Quelques jours plus tard, l’équipe menée par l’archéologue français René Elter débarque pour découvrir une nécropole romaine perdue depuis des siècles dans les entrailles de Gaza. « Les premiers travaux ont permis d’identifier une quarantaine de tombes qui datent de la période romaine antique entre les Ier et IIe siècles après Jésus-Christ », explique à l’AFP l’archéologue. « La nécropole est plus grande que ces 40 tombes et doit en compter entre 80 et 100″, estime-t-il, notant avoir découvert une tombe décorée de « peintures polychromes représentant des couronnes et des guirlandes de feuilles de laurier » et des « jarres destinées à des libations funéraires ».
Cette nécropole était adjacente à la ville romaine d’Anthédon, second port de Gaza à l’époque, sur la route d’Ascalon, qui est aujourd’hui la ville israélienne d’Ashkelon, située à la sortie de l’enclave palestinienne.
Les « trésors » de Gaza
En Israël et dans les Territoires palestiniens, l’archéologie est un sujet hautement politique, de nombreuses découvertes ayant été instrumentalisées pour justifier les revendications de chacun des peuples.
Si l’État hébreu dispose d’un arsenal d’archéologues qui rend compte d’un nombre impressionnant de trésors antiques, ce secteur reste largement en friche à Gaza.
« Pourtant, il n’y a pas de différences entre ce que l’on peut trouver à Gaza et de l’autre côté de la barrière, c’est la même grande histoire », dit M. Elter. « À Gaza, beaucoup de sites ont disparu à cause du conflit et des chantiers de construction, mais le territoire est un immense site archéologique qui nécessite de nombreuses équipes d’experts. »
Des piquets et des grillages ont été plantés autour de la nécropole romaine, surveillée en permanence par des gardes pendant que les ouvriers continuent de faire pousser les étages de béton dans les édifices voisins en construction.
« Nous tentons de lutter contre le trafic d’antiquités », explique Jamal Abou Rida, directeur des services archéologiques locaux qui assurent la protection la nécropole jusqu’en janvier 2023 en espérant trouver des bailleurs pour financer les fouilles.
À Gaza, la population est plus habituée à enterrer les morts qu’à les déterrer. Depuis la prise du contrôle en juin 2007 par le Hamas, ce microterritoire appauvri a connu quatre guerres, et des tensions à répétition.
« L’image de Gaza est souvent associée à la violence, mais son histoire regorge de trésors archéologiques qu’il faut protéger pour les générations futures », dit Jihad Abou Hassan, directeur local de l’ONG Première Urgence.
Autre défi important à Gaza : la pression démographique. En 15 ans, la population dans de ce territoire d’à peine 362 km2 est passée de 1,4 à 2,3 millions d’habitants, d’où la construction effrénée de nouveaux immeubles.
« Certains évitent de rapporter aux autorités s’il y a une découverte archéologique sur un chantier par peur de ne pas être dédommagés » en cas d’arrêt des travaux, explique M. Abou Hassan. Résultat : « nous perdons chaque jour des sites archéologiques », d’où l’importance d’une « stratégie de défense du patrimoine » pour préserver l’histoire et former des archéologues locaux, souligne-t-il.
Au cours des dernières années, son ONG a contribué à former 84 techniciens en archéologie afin de préparer la relève et offrir des perspectives d’emploi alors que le chômage dépasse les 60 % chez les jeunes.
Pierres vs pierres
Un des rares succès en la matière est la préservation du monastère byzantin de Saint-Hilarion, le plus grand du Proche-Orient, où les archéologues ont identifié un atrium, des bains et un large ensemble ecclésiastique, dont quatre églises superposées.
Ouvert depuis quelques années au public ce site témoigne de l’époque où Gaza était une terre de passage, des pèlerins originaires de tout le monde méditerranéen s’y arrêtant sur leur route vers des monastères du Sinaï égyptien ou Jérusalem.
« Nous recevons environ 14.000 visiteurs par an, dont des écoliers », se félicite l’archéologue palestinien Fadel al-Otol, 41 ans, qui s’est passionné pour les ruines antiques à l’adolescence en squattant un site au pied d’un camp de réfugiés avant d’approfondir ses recherches en France.
« Enfant, pendant l’Intifada, je cherchais des cailloux pour les lancer sur les militaires (israéliens). Aujourd’hui, je cherche des pierres pour prouver aux militaires que nous avons une grande histoire », raconte-t-il en déambulant sur le site de Saint-Hilarion.
Et là, Fadel, à quoi rêves-tu ? « Que nous fassions toutes les fouilles sur tous les sites de Gaza et qu’ils soient tous accessibles au public, afin de montrer l’histoire et la culture de Gaza au monde entier (…) car si rien n’est fait des sites disparaîtront à jamais ».