Attaquant rapide et fonceur dans la vie, le malien Salif Keita, Ballon d’Or africain en 1970, et pionnier de l’expatriation sportive en Europe, est décédé. Mondafrique lui rend hommage.
L’anecdote a fait le tour du monde : à son arrivée à Orly en France, le 14 septembre 1967, Salif Keita ne trouve pas meilleur moyen de rallier Saint-Etienne, que de prendre un taxi. Après moult palabres, le jeune footballeur malien, muni d’une lettre d’engagement des Verts, alors champions de France, persuade le chauffeur de faire les quelque 500 kilomètres qui séparent l’aéroport francilien de la cité forézienne. Il en coûtera 1060 francs, une petite fortune à l’époque, aux dirigeants de l’Association sportive de Saint-Etienne, qui ne s’attendaient pas à le voir débarquer à cette date.
International à 17 ans
Si l’histoire peut aujourd’hui prêter à sourire, elle en dit long sur le tempérament de Salif Keita, prêt à tout pour arriver en temps et en heure à Saint-Etienne malgré le vol de tout son argent lors d’une précédente escale à Monrovia. Ce fils d’un modeste camionneur est animé depuis son plus jeune âge d’une folle envie de réussir. Trois années plus tôt, âgé de 17 ans à peine, il est devenu le plus précoce international de la jeune histoire de son pays. La valeur n’attend décidément pas le nombre des années. Salif n’a même pas soufflé ses vingt bougies, qu’il dispute déjà sa première finale de Ligue des Champions africaine sous les couleurs du Stade Malien en 1965. Une défaite, qui sera suivie d’une seconde, deux ans plus tard, dans les rangs de l’AS Réal de Bamako, l’un de ses clubs de jeunesse.
Survient alors l’une des rencontres qui va changer la vie de Salif Keita. Déjà considéré comme une star dans la capitale et dans tout le pays, l’attaquant, déjà aussi complet qu’imprévisible dans le geste, tape dans l’œil de Charles Dagher. Ce Libanais installé à Bamako, grand supporter de l’AS Saint-Etienne, voit en le jeune buteur un crack susceptible d’apporter à son équipe de cœur la puissance et l’efficacité qui lui font parfois défaut dans la surface de vérité. Et de prendre la plume pour alerter les dirigeants stéphanois du talent de Salif Keita. Plusieurs lettres sont échangées, et le président des Verts, Roger Rocher, se laisse convaincre et invite la supposée pépite malienne à venir passer un essai. Un vol mouvementé et une interminable course de taxi plus tard, et voilà Salif Keita dans la place forte du football français de l’époque. Son rêve de gloire peut devenir réalité.
Emblème de l’AS Saint-Etienne
Une fois sa situation administrative réglée, le jeune Malien va rapidement rassurer les dirigeants stéphanois, que l’« affaire » du taxi aurait pu échauder. Dès son premier match sous ses nouvelles couleurs, la recrue se met les supporters dans la poche en marquant un but. Le premier d’une très longue série, avec des statistiques de plus en plus impressionnantes. 12 buts en 18 matchs de première division lors de la saison 1967-1968, sa première, Salif Keita s’épanouit auprès des stars chevronnées de l’équipe et conquiert Saint-Etienne l’ouvrière. Les fidèles du « chaudron » de Geoffroy-Guichard, le stade de la ville, ont vite fait de le surnommer la panthère noire. Alors à la recherche d’un emblème marquant, les dirigeants vont jouer la carte du félin. Un concours est lancé auprès de l’école des Beaux-Arts. Est finalement retenu le dessin d’un nouvel écusson rond, mettant en scène une panthère qui se précipite sur un ballon.
Désormais emblématique de l’appétit offensif de son équipe, la panthère ne cesse dès lors de sortir ses griffes. De plus en plus rares sont les défenseurs qui lui résistent. Auteur de 21 buts en Championnat durant des deux exercices suivants, Salif Keita joue en outre un rôle clé dans la conquête de la Coupe de France lors du doublé de 1970, avec 9 buts en 10 matchs dans l’épreuve. Hors terrains aussi : le jeune attaquant ne s’écrase pas devant son président, qui le sous-payait et souhaitait le voir jouer avec une licence amateur malgré ses performances.
Marseille, le rendez-vous manqué
Le meilleur est encore à venir. Si l’année 1971 voit l’Olympique de Marseille s’emparer du titre national, le buteur, à l’apogée de son talent inouï de finisseur, fait trembler les filets à 42 reprises dans l’élite française. Seul le canonnier de l’OM, l’« aigle dalmate » Josip Skoblar, fait encore mieux avec 44 buts. Salif Keita termine Soulier d’argent européen derrière le Yougoslave. Le mano à mano entre les deux avant-centres a donné des idées aux dirigeants marseillais. Un pont d’or est adressé à Salif Keita, qui rejoint Josip Skoblar à la pointe de l’attaque phocéenne, malgré l’opposition de son président Roger Rocher.
Lors de son premier match face à… l’AS Saint-Etienne, la recrue claque un doublé. La suite ne sera pas toujours aussi belle, et l’expérience marseillaise ne dure qu’un an. L’OM, contraint par le règlement à n’aligner que deux étrangers extracommunautaires sur la feuille de match, le pousse à prendre la nationalité française. Refus net de l’intéressé : « Je ne veux plus qu’on aille contre ma volonté, faute de quoi je demanderai à revoir en fin de saison les conditions de mon engagement à l’OM. Le Mali est une jeune République et, au-delà du football pro, mon avenir est là-bas. Que penseront tous les jeunes Noirs qui m’idolâtrent si j’acceptais aujourd’hui ne plus être un Malien à part entière ? », lâche Salif Keita. Le divorce avec Marseille est consommé, et l’attaquant cède en fin de saison à la drague insistante du FC Valence.
Là-bas, les buts continuent de s’empiler, mais leur auteur ne retrouve pas la popularité qui était la sienne lors de son passage à Saint-Etienne, de ses 142 buts en 186 matchs et de ses trois titres de champion de France. Trois ans plus tard, cap est mis sur Lisbonne et le Sporting Portugal. Un nouveau contrat de trois ans et Salif file terminer sa carrière dans la lucrative Ligue nord-américaine, au New England de Boston. Il y restera six ans. Le temps pour Salif Keita de vivre confortablement ses dernières années de footballeur. Mais aussi pour celui qui n’a jamais négligé les études (il devint bachelier lors de son séjour à Saint-Etienne) de décrocher un Bachelor Degree à la Suffolk University.
Retour au Mali
Mais l’histoire d’amour entre Salif Keita et le football n’est pas terminée pour autant. Jamais oublieux de ses racines, l’attaquant ne va pas vivre son après-carrière en nouveau riche, entre vie de patachon et galas de bienfaisance pour se donner bonne conscience. Il tient parole et rentre dans son pays natal en 1985, devient brièvement directeur technique de la Fédération malienne avant de se lancer dans la détection des jeunes talents. Un premier centre de formation à son nom est ouvert en 1993. La structure deviendra par la suite un club professionnel évoluant en première division malienne et parvenant en 2010 en finale de la Coupe du Mali. La démarche servira de base à la relance du football malien, avec depuis deux podiums mondiaux pour le Mali en Coupe du monde juniors (1999, 2015), et trois places de demi-finalistes à la CAN pour l’équipe fanion.
Lorsqu’il est élu président de la Fédération malienne en 2005, Salif Keita devient le premier ancien joueur à accéder ainsi au pouvoir sportif. Il restera quatre années à la tête de l’institution avant de la quitter, usé par l’inertie du pouvoir et les jeux politiciens. Décoré par la Fifa en 1996, Un stade porte, depuis septembre 2009, son nom à Cergy-Pontoise. Il a reçu en 2013 la Légion d’Honneur de la France, où l’hebdomadaire France Football l’a classé meilleur joueur africain de l’histoire du Championnat (et 4eme étranger). Son nom reste présent sur les terrains grâce à son neveu Seydou Keita, milieu de terrain de l’AS Rome et des Aigles du Mali. Bon sang ne saurait mentir.
L’avis de Mahamet Traoré, créateur du site malifootball.com
« Au-delà de sa fabuleuse carrière, Salif Keita est un visionnaire. Très tôt il a compris qu’il fallait préparer l’après-football. C’est pourquoi, il a toujours continué ses études pendant toute sa carrière pour passer d’un CAP à ses débuts à un Bachelor Degree en Management lorsqu’il raccrochait ses crampons. Une fois sa carrière terminée, contrairement à beaucoup d’autres de sa génération, il est rentré directement en Afrique et s’est lancé dans l’entreprenariat. Ce qui lui a bien réussi comme reconversion! Conscient que le football, c’est la formation des jeunes, il a ouvert le Centre Salif Keita, devenu une référence eu Mali et en Afrique en matière de formation des jeunes footballeurs. Sa reconversion est un cas d’école dont les footballeurs actuels doivent s’inspirer ! »