Deuxième épisode des séries d’été de Mondafrique consacré ce mardi aux ex chefs d’Etat africains. Nationaliste chevronné, farouche opposant aux islamistes, qualifié de « président stagiaire » par Bouteflika pour avoir démissionné avant la fin de son mandat, l’ex président algérien Liamine Zeroual garde aujourd’hui encore une image d’homme intègre et droit. Au point que de nombreux citoyens réclament son retour
Servir dignement. Telle était la devise de Liamine Zeroual. Il est le seul ancien président de la république algérienne encore en vie. Il est aussi le seul président élu sans fraude particulière avec « seulement » 61,3% des voix et 25% pour son opposant islamiste Mahfoudh Nahnah. Il reste populaire, Liamine Zeroual s’était retiré dignement sur ses terres à Batna, sa ville natale et capitale des Aurès, depuis sa passation de pouvoirs à Abdelaziz Bouteflika en 1999.
Le « président stagiaire »
Son dernier discours a provoqué un vrai séisme politique, c’était un 11 septembre de surcroit mais en 1998, il avait annoncé en direct sa démission à mi-mandat. Alors que doit penser aujourd’hui Liamine Zeroual de son successeur qui quatre mandats plus tard, s’accroche à son fauteuil médicalisé ? Déjà lors de la passation des consignes entre lui et le nouveau président, Zeroual était surpris par la légèreté des convictions de Bouteflika. Ce denier lui avait demandé en off : « pourquoi as-tu démissionné ? ». La réponse est celle d’un homme de principes : « j’ai refusé que l’on m’impose la réconciliation nationale qui pardonne tous les criminels ». Et le commentaire du président entrant marque la grande différence entre eux : « tu aurais du faire semblant d’accepter et ensuite n’en faire qu’à ta tête ». Et c’était le dernier échange entre eux. Peu reconnaissant, Bouteflika déclare quelques temps après cette rencontre : « fini l’ère des présidents stagiaires ». Elégant ! Zeroual ne l’oubliera jamais.
Aussi se souviendra-t-il toujours des trahisons dont il a fait l’objet alors qu’en 1994 les « décideurs » ont fait appel à lui pour qu’il prenne la tête de l’Etat. Engagés dans le combat anti-islamistes, la majorité des « décideurs » étaient surnommés les DAF (déserteurs de l’armée française) et ils avaient besoin d’une caution de l’armée nationale de libération pure et dure. Liamine Zeroual avait fait donc le compromis entre les dialoguistes et les éradicateurs. Ainsi s’était mise en place la politique de la « Rahma » (clémence) pour affaiblir les rangs des islamistes. Mais les décideurs voulaient poursuivre jusqu’au pardon général, Liamine Zeroual avait donc démissionné.
Muré dans un silence digne, Zéroual a boudé la cérémonie du serment constitutionnel qui marque le début du troisième mandat de Bouteflika en 2009. Alors que tous les autres anciens présidents algériens y étaient : Ben Bella, Chadli Bendjedid et Ali Kafi (cela ne les avaient pas empêché de mourir plusieurs mois plus tard). En effet Liamine Zeroual était farouchement opposé à la modification constitutionnelle qui autorise la présidence à vie, et ce bien avant le printemps arabe. Zeroual avait alors confié à ses proches que la constitution adoptée en 1996 permettait une véritable transition démocratique car non seulement le mandat présidentiel n’était renouvelable qu’une seule fois, mais elle équilibrait aussi les pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement, responsable uniquement devant les élus du peuple.
Symbole de la lutte antiterroriste
Pour rappel parmi les modifications de la constitution en 2008, le Premier ministre devient un chef du personnel dont les pouvoirs se limitent à la signature des RTT de ses ministres dont nombreux sont ceux qui occupent des emplois fictifs. Depuis Zeroual a soigneusement évité de rencontrer son successeur lors de toutes ses visites à Batna. La plus remarquée est celle de septembre 2007 puisqu’un attentat suicide avait été commis dans cette ville peu avant l’arrivée du Président Bouteflika et où Quatorze personnes ont péri et une soixantaine d’autres ont été blessées. Le président en exercice s’était rendu au chevet des blessés et avait souhaité rencontrer en vain, Liamine Zeroual symbole de la lutte anti-terroriste. Ce dernier a renouvelé son refus de toute rencontre lors des autres visites de Bouteflika à Batna mais en respectant les formes : il se déplace à Alger avant chaque arrivée de son successeur à Batna.
Dans un pays où la rumeur dissocie difficilement le grade de général ou tout autre responsable politique, à l’affairisme ambiant, la réputation d’intégrité de Liamine Zeroual est sans tâche. Il a même refusé de mettre un pied dans la villa du nouveau Club des Pins où seuls les anciens présidents ont statutairement le droit de résider. Son parcours inspire le respect. Dès 1957, alors âgé d’à peine 16 ans, il rejoint l’Armée de Libération Nationale. Dans l’Algérie indépendante il enchaine les postes de commandement. Promu au grade de général en 1988, un an après il prend la tête des forces terrestres avec un projet de réorganisation de l’armée algérienne. Cependant dès 1990, Liamine Zeroual démissionne de l’armée en désaccord avec Chadli Bendjedid qui penchât pour le projet du général Khaled Nezzar.
Coups d’éclat
Nommé, dans la foulée, ambassadeur en Roumanie, Liamine Zeroual quitte Bucarest un mois après son arrivée, il se retire de la vie publique et fait valoir ses droits à la retraite. Après la démission de Chadli Bendjedid et l’assassinat de Mohamed Boudiaf, le pays aux bords du chaos, Zeroual est nommé ministre de la défense dans le Haut Comité de l’Etat en 1993 et devient Chef de l’Etat un an plus tard. Son premier coup d’éclat international est la fermeture des frontières algériennes avec le Maroc en aout 1994, suite aux attentats de Marrakech quand Rabat avait accusé Alger d’en être l’instigatrice. Son second coup d’éclat est sans conteste l’annulation de son entretien avec Jacques Chirac, prévu au siège de l’ONU en octobre 1995 car le président français avait exigé l’absence de tout photographe ou journaliste. Et tant d’autres décisions qui renforcent la fibre nationaliste.
Le paisible retraité est soudainement vivement sollicité à la fin du troisième mandat de Bouteflika. Son retour à la tête du pays est suggéré voire espéré par un grand nombre d’algériens. Des manifestants s’installent devant sa demeure à Batna pour encourager sa candidature. Devant de telles pressions Zeroual réagit en publiant le 20 mars 2014, deux jours après la convocation du corps électoral, une lettre de trois pages où il égratigne son successeur et surtout sans donner aucune consigne de vote, il appelle clairement à l’alternance et au renouvellement générationnel. Telle est la dernière sortie du « président stagiaire » qui cible clairement le « Président CDI ».