Agé de 71 ans, l’ex chef d’Etat tchadien a connu plusieurs vies : la rébellion armée, le pouvoir, l’exil et le retour au pays. Désormais, cet ancien maquisard parcourt l’Afrique pour aider au retour de la paix
Le temps n’a pas eu d’influence sur la chevelure et la voix de cet ancien chef rebelle tchadien. La corpulence, la voix et le regard n’ont pas changé non plus. Malgré les vicissitudes et les difficultés inhérentes à la vie d’une personnalité de sa trempe, Goukouni Weddeye donne l’impression de traverser le temps sans altération. Seul son nom continue de varier : Oueddei ou Weddeye, selon les écritures. En 1979, quand il a fait son entrée à N’Djaména à la tête des Forces armées populaires (FAP), branche du mouvement du Front de libération national du Tchad (Frolinat), il avait ce visage émacié avec une chevelure abondante, marque des rebelles tchadiens de cet époque, occultant la petite barbe et la moustache qui ornent ce portrait.
Un nomade olympien
Né en 1944 à Zouar, dans l’ancienne sous préfecture du Tibesti dans la zone septentrionale du Tchad, région qui a toujours opposé un refus tant aux forces coloniales qu’à celles du premier régime tchadien après la colonisation, celui qui accédera à la magistrature suprême en 1979, est le fils du chef traditionnel des Teddas le Derdei Oueddei Kichidemi.
De son enfance passée dans les zones de pâturage à côté des chameaux et chamelles, Goukouni Weddeye a gardé ce calme olympien et cette sérénité qu’on reconnait chez tous les nomades qui ont séduit les autres chefs de tendances politico-militaires, forçant le consensus autour de sa personne.
Sans avoir fait d’études supérieures, il a eu les valeurs de sagesse et de tolérance transmises par mon père. Né dans une fratrie de huit enfants, il décrit sa mère comme « une femme modeste qui ne s’occupait que de son foyer ». Il a d’autres frères et sœurs issus de quatre mères différentes. En bon chef de village, son père était un polygame.
A 18 ans, fonctionnaire dans l’administration française avant l’indépendance, Goukouni Weddeye était secrétaire dactylographe des chefs de district français, car le BET (Borkou Ennedi Tibesti) était resté jusqu’en 1964 sous l’administration coloniale. En 1963, il cumule le poste de secrétaire à la sous-préfecture de Bardaï avec celui de secrétaire ad hoc du Tribunal coutumier. Coup de destin : en 1965, il est arrêté et transféré à la prison de Faya-Largeau où il a passé trois jours en prison avant d’être libéré et affecté sur place contre sa volonté.
Courrier confidentiel
C’est en avril 1968, deux ans après le départ en exil de son père Derdé Kichidemi en Libye, que Goukouni Weddeye rejoint la rébellion. Celui qui sera plus tard le chef de l’Etat tchadien profite alors du mécontentent général grandissant dans le Tibesti causé par la mauvaise gestion administrative des éléments de l’armée nationale tchadienne qui ont remplacé les colons français. Il était agent d’administration à Faya-Largeau et s’occupait de la gestion du courrier confidentiel envoyés par les sous-préfectures ou qui venaient de Fort-Lamy à destination du préfet ou de son adjoint.
D’abord comme simple combattant partant en patrouille, faisant la sentinelle ou la corvée, Goukouni Weddeye sera hissé à la tête de la 2ème armée du Frolinat qui opérait dans la région du BET et baptisée ainsi en référence à la 1ère armée du Frolinat dans le centre et le centre-est du pays. Son ascension à la tête de cette force rebelle sera favorisée par les divisons et les défections dans l’armée révolutionnaire et particulièrement par la mort de Mahamat Ali Taher, l’initiateur du Frolinat dans la région du BET.
Il est l’un des responsables de la détention de l’ethnologue Françoise Claustre entre 1974 et 1977 et du commandant Pierre Galopin, agent du service de renseignement auprès du régime tchadien, exécuté sur décision des chefs rebelles qui l’accusaient d’avoir divisé la rébellion dans le Tibesti entrainant des combats fratricides entre les factions.
Le coup de force d’Hissen Habré
Le destin de celui que l’on appelle affectueusement par Goukouni, son prénom, bascule totalement en 1979 lorsqu’il entre à N’Djaména à la tête de sa tendance politico-militaire les Forces armées du populaires (FAP) venues apporter leur soutien à Hissen Habré, chef des Forces armées du nord (FAN) qui combattaient l’Armée nationale tchadienne (ANT) du Général Félix Maloum.
Après les accords I et II de Kano en mars et avril 1979 et de Lagos en août 1979 entre la dizaine des tendances politico-militaires qui s’entredéchiraient dans des guerres fratricides au Tchad, Goukouni Weddeye devient par consensus président du gouvernement d’union nationale de transition (GUNT) de mars 1979 en avril 1979 avant d’être remplacé par Lol Mahamat Choua entre le 29 avril et le 03 septembre1979. Goukouni Weddeye devient à nouveau chef de l’Etat du 3 septembre 1979 au 7 juin 1982.
Une trêve de courte durée s’installe à N’Djaména où cohabitent, le doigt sur la gâchette, une dizaine de tendances politico-militaires prêtes à en découdre, malgré les accords de réconciliation conclus au Nigeria.
Ce qu’on redoutait arriva en mars 1980. Hissein Habré, à la tête des FAN, et le GUNT, dirigé par Goukouni Weddeye, regroupant les autres formations politico militaires déclenchent une guerre civile. Soutenu par le régime libyen, les forces du GUNT chassent les FAN de la capitale en décembre 1980. En janvier 1981, le GUNT dirigé par Goukouni Weddeye annonce dans la capitale libyenne la fusion du Tchad avec la Libye suscitant un certain émoi au niveau international. Le 7 juin 1982, Goukouni fut chassé avec son gouvernement de N’Djaména par les forces d’Hissen Habré, soutenues par l’armée française, qui a mis en déroute les troupes de Goukouni et du GUNT lâchées par les Libyens.
L’exil doré à Alger
Pendant cinq ans, de 1982 à 1987, Goukouni Weddeye toujours à la tête du GUNT en exil, continue le combat contre le régime de Habré. Il séjourne dans différents pays de l’Afrique de l’Ouest avant de choisir en 1987 Alger comme lieu d’exil.
En 1993, il regagne le pays pour assister à la Conférence nationale souveraine (CNS). Mais quelques mois après, il repart pour son pays d’exil, à cause d’incompréhensions avec le régime d’Idriss Déby Itno.
Après 22 ans d’exil, il annonce son retour au Tchad le 19 août 2009 à l’issue de pourparlers avec le régime tchadien sous les auspices du feu Omar Bongo Ondimba. Il affirme ne pas vouloir jouer de rôle politique. « J’ai décidé de revenir m’installer définitivement au Tchad pour être utile à mon pays. J’ai pris cette décision parce que je voudrais que la paix s’installe définitivement au Tchad », disait-il.
Le médiateur
Si depuis son retour, il n’a occupé aucun poste officiel au sein du régime de Déby, Goukouni Weddeye n’a pas chômé. Il s’est impliqué dans la recherche de la paix. En avril 2010, il parraine un accord de paix entre le gouvernement tchadien et différentes factions du Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad (MDJT) qui opéraient dans le nord du pays.
En février 2014, il représente le président Déby au sommet préparatoire de la conférence mondiale sur la paix, la sécurité et le développement humain qui s’est tenue en aout 2014 à Seoul. Goukouni Weddeye s’est rendu également à Niamey en février dernier, avec l’aval du président Déby, où il a rencontré le président Mahamadou Issoufou pour obtenir son aval au processus de négociation entre tribus touaregs et touboues qui se font la guerre dans la région du Fezzan dans le sud-ouest de la Libye. Pour empêcher le Sud libyen de devenir un sanctuaire de terroristes, Goukouni Weddeye mise sur une réconciliation des tribus locales particulièrement les Toubous et les Touaregs. « Si on a ramené la paix au Mali pour laisser la Libye prendre feu, on n’a rien résolu », disait-il.
Depuis le 25 mai dernier, à l’issue de la 16ème conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui s’est tenue dans la capitale tchadienne, l’ex-chef d’Etat tchadien a été nommé envoyé spécial de la CEEAC dans les pays des Grands Lacs. Son expérience dans le dialogue et la recherche du consensus devront l’aider dans sa tâche qui consiste à s’occuper en particulier du Burundi, mais également des crises qui secouent plusieurs pays d’Afrique centrale, notamment la Centrafrique, la République démocratique du Congo.
L’homme qui murmurait à l’oreille de Déby
Beaucoup d’analystes estiment que la neutralité affichée publiquement par Goukouni Weddeye ne va pas durer. La situation politique de nature instable au Tchad risque de faire évoluer sa position. Sur l’échiquier politique national, l’ancien président du GUNT jouit d’une certaine considération des acteurs politiques nationaux de toutes les régions ; car pour eux Goukouni connait bien les problèmes du Tchad. « J’ai été et je reste persuadé que Goukouni Weddeye est l’un des hommes idoines autour desquels on peut amorcer un processus de réconciliation inter-tchadienne » a affirmé l’ancien Premier ministre tchadien Abdelkérim Fidèle Moungar.
« Goukouni Weddeye est un des rares hommes susceptibles de faire entendre raison au président Idriss Déby, de lui rappeler quelques idées simples, de dire à Idriss Déby les vérités parfois désagréables, qui sont toutefois le prix de la paix », a ajouté l’ancien chef du gouvernement tchadien.
Mais ses détracteurs objectent son âge avancé et surtout son caractère porté toujours vers le compromis alors que, soutiennent-ils, pour le Tchad, il faut une main de fer pour prendre à bras le corps les problèmes auxquels le pays fait face.