Pilier de la grande équipe des Léopards du Zaïre, Joseph (« Jeff ») Kibonge Mafu y a gagné un surnom, Gento, et un titre de noblesse, Seigneur. Seigneur Gento, a fêté ses 78 printemps. Voici le portrait de ce grand milieu (très) offensif
Joseph Kibonge Mafu vient au monde le 12 février 1945 à l’hôpital général de Leopoldville, future Kinshasa, dans ce qui est encore le Congo belge. Il grandit dans le quartier de Kasa-Vubu, en plein cœur de la cité, avant d’aller avec ses parents s’installer quelques années à Bukavu (alors Costermansville), dans la province du Sud-Kivu. De retour à Kinshasa, le jeune adolescent, bon élève, se fait aussi remarquer pour ses talents de footballeur. Il intègre l’équipe de V Sport, bientôt radiée, puis se fait recruter par l’Association sportive Vita Club. Fondée en 1935 et basée à l’origine dans le quartier de Kananga, cette équipe est déjà l’une des plus prestigieuses et titrées d’une ville qui vibre pour le football.
La star de V Club
Milieu offensif mobile et inspiré, capable d’évoluer sur tout le front de l’attaque, Joseph Kibonge, désigné footballeur de l’année 1965, réussit des débuts prolifiques sous la tunique des « Dauphins Noirs », ainsi que l’on surnomme les joueurs de « V Club ». De dauphins, Kibonge et ses compères de l’attaque, Kembo, Mayaula et Makanga, se muent en requins dès qu’ils pénètrent sur une pelouse. Avec sa redoutable escouade offensive, Kibonge va conduire son équipe vers plusieurs titres nationaux à compter du début de la décennie soixante-dix. 1970, 1971, 1972, 1973 : les années se suivent et se ressemblent pour Joseph Kibonge et ses coéquipiers, sacrés champions du Zaïre avec l’implacable régularité d’un métronome.
Egalement représenté dans les Coupes africaines par le Tout Puissant Mazembe Englebert, équipe de Lubumbashi, le football zaïrois domine l’Afrique au tournant des années 1960-1970. En raison de son charisme, de son talent et de son caractère, Joseph Kibonge, déjà capitaine de l’AS Vita Club, devient le détenteur du brassard des Simba (Lions). Dès 1965, l’année de ses grands débuts, le jeune homme dispute sa première phase finale de Coupe d’Afrique des Nations, en Tunisie. Le « Congo Léopoldville », repêché, perd ses deux matchs, faute d’expérience. Mais, on le verra, Joseph Kibonge et les joueurs du sélectionneur Trouet Mokuna sauront en tirer les conséquences.
Tombeur du roi Pelé
Conscient du potentiel promotionnel du football pour la jeune nation congolaise, le chef de l’Etat, le maréchal Mobutu Sese Seko, s’efforce de placer Kinshasa sur la carte des grands événements sportifs. Et l’homme à la coiffe en peau de léopard, qui décidera ensuite que l’équipe nationale serait désormais surnommée « Les Léopards », et non plus les « Simba », ne fait pas les choses à moitié. Un beau jour de 1968, l’équipe de Santos, avec en ses rangs le roi Pelé, meilleur footballeur du moment (et peut-être de tous les temps), pose ses valises à Kinshasa. Au programme, une rencontre de préparation, au stade Tata Raphaël (théâtre quelques années plus tard du « rumble in the jungle », le combat de boxe « du siècle » entre Mohammed Ali et George Foreman), contre les Léopards du capitaine Joseph Kibonge. Ce jour-là, le « capi » contribue à la victoire de son équipe (3-2), en suppléant son gardien Kazadi, battu sur un coup franc de… Pelé.
Prestigieux, ce succès surprend moins dans la mesure où, quelques mois auparavant, Kibonge et ses coéquipiers ont gagné en Ethiopie leur première Coupe d’Afrique, en remportant tous leurs matchs, dont la finale face aux Black Stars du Ghana (1-0). Le jeu de tête surpuissant de Joseph Kibonge, son dribble dévastateur et son coup d’œil sûr en font un des hommes de base de ce triomphe continental qui en appelle d’autres. Déjà adopté par ses compatriotes, notre héros du jour sera adoubé par le roi Pelé, posant avec lui pour la postérité après avoir échangé les fanions. De quoi lui donner des ailes et le pousser vers la consécration continentale, en club comme en équipe nationale.
L’accolade de Mobutu
Avec V Club, le numéro un zaïrois incontesté du début des années 1970, Joseph Kibonge goûte enfin aux joies de la victoire en Coupe des clubs champions africains fin 1973, quand les Kinois viennent à bout des Ghanéens de l’Asante Kotoko (2-4, 3-0) en matchs aller et retour. Pas le temps de savourer ce sacre aux yeux de l’Afrique : les Léopards sont qualifiés pour la CAN 1974 qu’ils se sont juré de ramener au pays, près de six ans après leur première victoire. En Egypte, les Léopards sont au rendez-vous et se fraient un passage jusqu’en finale, en sortant le pays organisateur. Soucieux de rattraper le temps perdu après avoir manqué l’édition 1972 sur suspension, Joseph Kibonge soulève le trophée, après avoir dû rejouer la finale face à la Zambie (2-0), un premier match s’étant soldé par un score de parité. Fier de ses joueurs, Mobutu envoie l’avion présidentiel au Caire. Au retour des héros, Joseph Kibonge remet le trophée au chef de l’Etat. Ce dernier ne quitte plus son équipe nationale : dans quelques mois, elle sera en Allemagne la première nation d’Afrique noire à prendre part à une phase finale de Coupe du monde.
La leçon sera douloureuse pour le Zaïre, tombé dans une poule très difficile avec le Brésil et deux bonnes équipes européennes, la Yougoslavie et l’Ecosse. « Nous sommes allées à la Coupe du monde comme de simples amateurs, venus d’un pays d’Afrique noire. On pensait juste à jouer notre football, comme on savait le faire. Or le niveau était différent », racontait Joseph Kibonge sur les ondes de Radio Okapi en 2009. Et pourtant, le régime Mobutu n’avait pas lésiné sur les moyens, en débauchant Blagoja Vidinic, le technicien yougoslave qui avait mené le Maroc quatre ans auparavant au Mexique. Malgré un mois de préparation studieuse en Suisse, les Léopards sont loin du compte pour leur entrée en lice, qui les voit néanmoins limiter la casse face à l’Ecosse (2-0). « Au milieu de terrain, contre l’Ecosse on a tenu le choc, malgré la défaite ce n’était pas décevant », dira Kibonge.
Le naufrage face aux Yougoslaves
Le pire est à venir. Il va se dérouler aux yeux du monde, en marge du deuxième match, contre la Yougoslavie. Mécontents de ne pas voir leurs primes versées dans les temps, les Léopards menacent de ne pas jouer. C’est dans une tension extrême que se prépare cette rencontre. Bilan : des Zaïrois absents, au figuré – ils errent sur le terrain – comme au propre, pour Joseph Kibonge, écarté par Vidinic et une défaite (9-0) parmi les plus cuisantes de l’histoire de la compétition. Le troisième match verra les Léopards limiter la casse face à un petit Brésil (3-0), mais le cœur n’y est plus. L’ingratitude du régime Mobutu sera à la hauteur de la déception. Interrogé sur ces heures difficiles, Joseph Kibonge les évoque sans amertume ni sans langue de bois : « L’entraîneur, paix à son âme, nous avait menti sur la Yougoslavie, en nous disant que les joueurs étaient petits de taille et ne savaient pas jouer au football. On s’est retrouvés contre des grands, de 2 mètres, et bons footballeurs… On ne pouvait rien faire. »
Pour « Seigneur Gento » comme pour ses coéquipiers, une ère faste vient de s’achever. Le football du Zaïre rentre dans le rang. Notre héros du jour termine paisiblement sa carrière à l’AS Vita Club, gagnant encore trois titres de champion avant de raccrocher les crampons en 1980. Retiré des affair08es du football, il reste un observateur attentif des Léopards, revenus sur le devant de la scène africaine depuis la fin des années 2000, avec une victoire au Championnat d’Afrique des Nations (la CAN des joueurs locaux) en 2009 et une place sur la troisième marche du podium lors de la CAN 2015.
L’avis de Kisaki Wa Mukusa, fondateur de leopardsfoot.com
« Joseph Kibonge dit « Gento » fait partid de ces exceptionnels joueurs zaïrois qui ont eu la chance et la malchance d’appartenir à cette génération 74. Chance, parce qu’à cette époque et bien plus qu’aujourd’hui, la sélection des Léopards du Zaïre était une priorité nationale, pour ne pas dire une affaire personnelle du Maréchal Mobutu, ce qui leur a valu de bénéficier de toutes les attentions présidentielles. Malchance, parce que loin des conditions du football actuel et de la médiatisation que connaissent les footballeurs de cette trempe aujourd’hui, Jeff Kibonge, comme tous les autres de cette génération d’ailleurs, auraient pu connaître une meilleure fin de carrière au lendemain de ce Mondial 74 qui les a tous plongés dans l’anonymat. »